Un monde sinistre et lugubre

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
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Photo © Laurent Berger

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Lecture 7 min.

Il existe de plus en plus de gens payés pour contrôler, gérer, vérifier notre travail. Des gens qui ne présentent peut-être pas nos connaissances, notre expérience, notre vécu. Ces gens vous regardent de haut, attendent vos projets, vos candidatures. Vous êtes bien sûr obligés de rentrer dans les petites cases que les experts vont cocher devant les écrans. Vous avez donc intérêt à correspondre aux profils exigés, aux concepts inventés. Vous devez adopter la nouvelle langue inventée à la mode. Des gens qui décrivent les besoins des élèves, qui connaîtraient leurs désirs, qui n’auraient peut-être jamais mis les pieds dans une classe. Les donneurs de leçon bien payés, porteurs de recettes contradictoires avec des mots doux.
Ces gens qui lentement vous dépossèdent de votre travail.  Si vous ne suivez pas la ligne demandée, ils vont vous mettre sous tutelle, vous inviter aux séminaires qui vous feront perdre votre temps précieux. Le discours ainsi prend de plus en plus de place. Vous n’avez plus l'espace libre pour l’action parce qu’il vous est demandé de remplir des papiers, de vous justifier. Ainsi un réalisateur de films passe plus de temps à rédiger des dossiers à l’attention de superviseurs, de producteurs, de financiers, d’administrateurs qu’à réaliser des images. L'espace mental de l'individu n'est plus disponible pour les autres puisqu'il est devant son ordinateur à justifier la moindre de ses actions.

Alors  sommes -nous dans une société réellement capitaliste moderne ou dans une société féodale rétrograde? Flexibilité libérale ou multiplication des hiérarchies:  enseignant, co-directeur, directeur, coach, conseiller pédagogique, chargé de mission. Plan de pilotage imposé où l’on va passer des heures à parler de ce que l’on fait au lieu d’agir. Le retardement de l’action et l’uniformisation suivent leur cheminement dans les esprits contrôlés. La dégradation de l’initiative personnelle en découle, la dépression se poursuit.   L’individu n’ose plus agir, il attend de voir s’il correspond bien aux normes de production imaginées dans les bureaux.

Est-ce que je me permettrais de juger un chirurgien qui opère alors que je n’ai jamais opéré? De même, est-ce que je m’autoriserais à reprocher à un enseignant son manque de bienveillance alors que je n’ai jamais été confronté à des classes nombreuses?

Alors les prochains directeurs d’école seront-ils encore des enseignants, des intellectuels, des artistes, des pédagogues de terrain? L’armée d’agents administratifs qui vérifient le niveau des élèves par le taux de réussite, s’intéresse-t-elle réellement à l’épanouissement personnel et l’enrichissement culturel des adolescents? Les acteurs internes de l’école seront-ils encore maîtres de leurs actions?

Les écoles sont sommées de demeurer ouvertes, malgré la pandémie, malgré le manque de moyens sanitaires, il faut bien que l’armée des futurs militaires prête à s’enfermer dans des emplois de plus en plus inutiles soit prête au bruit de la sonnerie! Malheur! En dehors de l’école, il n’y aurait point de salut pour nos jeunes! Trouver un emploi, tel est la priorité! Lire un bon roman, inutile! Passer du temps à jouer de la musique expérimentale, c’est du grand n’importe quoi! S’épanouir dans l’écriture, enfin, vous rigolez ou quoi!
Le discours dominant, l’école, c’est l’emploi assuré, alors, on vante les mérites de l’enseignement à distance où le lien social disparaît. S’installe alors une hiérarchie entre ceux qui pratiquent le plus de vidéo conférences et les récalcitrants. En pédagogie de terrain, il faut s'adapter au terrain, aux élèves qui changent, aucune recette miracle ne fonctionnera à tout jamais. Le mode d'emploi fonctionnel établi hors contexte ne peut surpasser le dialogue avec les vivants. Compter sur la présentation de beaux documents ne peut surpasser des heures passées avec les êtres humains. L'infirmière connait mieux les besoins de ses patients que les administrateurs enfermés dans leurs beaux bureaux.

La société accueille de moins en moins les marginaux. La possibilité donnée aux gens de se tenir à l’écart se fait de plus en plus rare. Participez aux formations à la mode. Ne sortez pas du commun sinon on vous accusera d’être dépressif, négatif, râleur! Allez aux séminaires prescrits!

L’école risque de devenir de plus en plus bureaucratique, autoritaire, oppressante. La réputation, l’expérience de celui qui pratique sur le terrain seront méprisées, déconsidérées, voire inutiles car ce sont les experts avec leur jargon absurde qui vous diront ce qu’il y a lieu de faire à votre place. Votre témoignage personnel n’aura plus d’importance. Votre propre vécu sera effacé et à la place, de beaux tableaux en Powerpoint apparaîtront lors de réunions longues et lassantes!  Je vous avoue que je préfère être dans ma classe avec mes élèves plutôt que d’écouter la religion à suivre, le nouveau credo du jour, les nouvelles réformes qui nous disent de changer pour changer, alors que rien ne change, que la paralysie générale s’affirme, que la peur s’installe, que la délation s’accroît

"Alors monde moderne qui promeut la liberté individuelle ou société féodale qui aime la hiérarchie" pour la hiérarchie pour reprendre les mots de David Graeber dans son excellent livre, Bullshit Jobs, déjà évoqué dans mon article précédent. Les agents contrôleurs prolifèrent avec une armada de questionnaires, de sondages, d’évaluations pour rendre les choses plus efficaces, alors que la sinistrose ambiante se déclare!

La pensée n’est plus le vin dont les rêveurs sont ivres, Victor Hugo aurait dû remplir bien des formulaires, des dossiers, des évaluations pour être reconnu aujourd’hui. La pensée est au contraire soumise à ceux qui vous dépossèdent de votre propre réflexion sur votre travail.  Je m’interroge sur l’école mise sous la tutelle d’un pacte d’excellence ou d’un plan de pilotage. La gestion remplacera l’imagination. La production brisera la création. Tout discours marginal ne sera plus entendu! Il suffit de voir le harcèlement en augmentation vis-à-vis de l’adolescent différent, habillé pas comme les autres, qui ne pense pas selon les normes.

Un expert détient la vérité sur ce qui plait au public, il a réalisé un rapide sondage sur le genre de films qui plairait au plus grand nombre: votre créativité importera dés lors très peu. En fait,  il n’est pas étonnant de voir à la télévision des séries policières qui se ressemblent toutes entrecoupées de publicités encombrantes vendant toutes les mêmes voitures! Comme je peux voir les manuels scolaires se ressembler. Certains ressemblent à un fourre-tout bien agréable à première vue. Marketing oblige, le souci de plaire prime sur la nécessité d’instruire.

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Quelle est encore la valeur sociale de l’école pour ces managers qui débarquent? Etre utile aux autres? Ceux qui sont vraiment utiles aux autres sont-ils aussi bien payés? Si tous les instituteurs disparaissaient du jour au lendemain, nos enfants seraient peut-être contents au début, mais à long terme, cela serait autre chose, pourtant leur salaire n’est pas terrible!

Je me souviens de cet inspecteur qui m’avait affirmé que la poésie était inutile pour les jeunes, car ce n’est pas avec ça qu’ils vont trouver un emploi!  Veut-il d’un monde sinistre et lugubre?

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