Aubes
aigrette cendrée du faubourg
dans le gris sale des grandes villes
voilà que l’hiver à la bourre
revient neiger raide et fragile
on voit dans le ciel les baleines
des nuées noires et lointaines
on s’emmitoufle dans la laine
le jour muet met ses mitaines
et de ses doigts blancs et glacés
le jour accroche au flanc blême
de mon sommeil recommencé
sa tendre armure défaussée
je suis de mon rêve l’emblème
et je verse dans le fossé
*
je devine le temps qui vente
derrière la fenêtre fermée
c’était une nuit d’épouvante
une nuit d’ombre et de fumée
à travers les rideaux écrus
perçait une aurore timide
comme rumeur à quoi l’on crut
le ciel était triste et humide
et j’étais pantelant livide
à l’idée du jour qui venait
avec sa robe bleue liquide
et j’étais comme un arbre vide
comme une mer qui pleure du nez
au milieu d’un jour apatride
*
c’est au bout d’un petit moment
comme par un tour de passe-passe
que l’aube se lève et s’efface
la nuit tranquille une eau dormant
les musiques du jour naissant
accompagnent dame lumière
qui claudique danse hume hier
comme un rêve rouge de sang
le pâle rideau de la chambre
laisse passer une rumeur
de rose thé de thym et d’ambre
le tendre et onctueux dormeur
sent doucement durcir son membre
au ventre du sommeil qui meurt
*
le jour est décidément là
j’entends le cri noir des choucas
le bruissement du ciel lilas
j’entends le familier fracas
du camion poubelle qui passe
dans la rue que s’est-il passé
que voulez-vous que ça me fasse
on parle d’un soleil lassé
dont les rais se brisaient au vent
et qui aurait plié l’échine
je fais un rêve émouvant
c’est une drôle de machine
que rêver d’être encore enfant
un rêve fané qui s’échine
*
courant dans l’ombre et la bruyère
qui dans le ciel passent la main
je songe aux faits aux bruits d’hier
qui me ramènent à demain
je suis debout dans l’aube fraîche
ainsi qu’ormeau nu dans le vent
le vent froid qui me frôle et lèche
je m’abrite sous le auvent
du jour qui passe la fenêtre
comme un voleur de faux bijoux
étoile mourant avant de naître
entre les nuages qui jouent
et les branches noires d’un hêtre
le jour se pose sur ma joue
*
dans la nuit encore qui dort
quand s’ouvre une tendre tulipe
la fenêtre est comme à ma lippe
un miel de lumière et d’or
ô lampe des chants et des villes
où l’on vient goûter aux merveilles
d’un neuf et vigoureux soleil
l’ocre s’enflamme au feu tranquille
et danse là près des fontaines
que des canards benoîts habitent
un poète qui perd haleine
entre les nuits rêvées trop vite
et les matins froids des putaines
entre les corps et les lits vides
*
encore un filet bleu respire
entre les volets entrouverts
encore s’insinue à travers
les volets comme un long soupir
comme une eau qui monte et déborde
sensiblement la rive noire
comme les rêves au désespoir
le jour aux ombres qui s’accorde
ce qui n’était qu’une rumeur
dans le ciel obscur se précise
et enfle et coule avec lenteur
et l’aube d’abord indécise
me trouve chantant et rêveur
de mots à ma bouche cerise
*
enfin se déploie le grand jour
ailes d’un goéland géant
oiseaux qui signez le ciel en
des vols vêtus comme de velours
au-dessus des maisons des tours
et dans les chambres au jour qui s’ouvrent
se fait une fête d’amour
un carnaval un feu un Louvre
dans ton sourire qui m’accueille
et dans tes yeux mi-clos qui couvent
je lis les mots de mon recueil
je lis mes poèmes qui mouvent
et de tes gestes de chevreuil
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