Avec la Croix-Rouge, Abed en quête de sa famille perdue (1/6)

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Abed H. Photo © Jean Frédéric Hanssens

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Lecture 11 min.
Abed a trouvé asile en Belgique. II a tout perdu sauf l’espoir de retrouver sa mère, ses trois soeurs et ses trois frères. C’est sa raison de survivre. Où sont-ils ? Cet espoir, il l’a confié à la Croix-Rouge de Belgique dont le service RLF remue ciel et terre pour rétablir les liens familiaux.

 

Kaboul-Bruxelles, route de l’exil

Abed H. termine ses humanités au Lycée Technique provincial Jean Boets, à Liège. Il a vingt ans. Quand les forces des ténèbres ont assassiné son père, en Afghanistan, le 22 février 2020, il a pris la route de l’exil avec sa maman, ses trois soeurs et ses trois frères, pour échapper à l'horreur. En chemin, il les a perdus, puis a fini par trouver sa terre d’asile en Belgique où il est arrivé après la Noël de cette année marquée par la pandémie.

Sans téléphone, sans papiers et les mains vides au moins avait-il survécu. Abed dit que s’il est effrayant d’avoir perdu sa famille, sa maison et tous ses rêves hormis les cauchemars, ce qui donne envie de vivre, alors, réside dans la possibilité de retrouver ceux que l’on aime ou peut-être d’entendre leurs voix, au téléphone, un jour, enfin.

Cette recherche, il l’a confiée à la Croix-Rouge de Belgique dont le service Rétablissement des liens familiaux , connu comme le « RLF », mène une enquête internationale. Se savoir accompagné l’encourage quand il étudie la nuit pour maîtriser le français et réussir ses études secondaires.

C’est ce qui le pousse à témoigner pour éclairer le travail de la Croix-Rouge. Une action majeure que nous accompagnons, au fil de rencontres dont l’humanité nous imprègne.

Comme en réponse à l’attente d’Abed, le Protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève reconnaît « le droit qu’ont les familles de connaître le sort de leurs membres » (art. 32). Au moment où vous lisez ces lignes, des centaines de milliers d’êtres lancés sur les routes de l’exil, suscitant des réactions de rejet comme des actes de solidarité, cherchent à garder le lien avec leurs proches.

Les chiffres des migrations masquent des destinées qui seraient aussi les nôtres ou celles de nos parents. Car la Belgique, petite terre-carrefour aux frontières tracées par des guerres, rassemble une large diversité d’origines, il ne faut pas perdre de vue cette réalité.

Début 2022, Fatma Delialioglu, la marraine d’accueil d’Abed, m’a demandé de donner un coup de main au jeune afghan qui avait besoin de se raccrocher à des mots comme s’ils étaient autant de balises. Sur la trame du texte initial issu de nos rencontres, il creuse ses souvenirs puis les intègre, dans sa langue maternelle, le dari, à son journal d’exil. D’où un texte en deux langues, qui évolue, et qui est la mémoire de sa famille perdue et l’expression de la volonté de retrouver les siens. Peut-être un peu aussi celui de nous tous, témoins lointains des drames qui déchirent la planète et croisent nos trajectoires improbables.

Fatma vit avec sa famille à Gilly, près de Charleroi. Elle anime sa petite entreprise, une agence immobilière. Chez Abed, elle a ressenti ce besoin vital de mettre au clair son chemin, notamment pour la procédure d’asile, droit obtenu aujourd’hui.

Aussi aux yeux d’Abed, la carte d’identité de résident en Belgique est une preuve de vie à laquelle il s’accroche de toutes ses forces.

Et soudain la violence

Abed est originaire de la province de Kapisa. A quelques heures de bus de Kaboul, Myakhil s’étend près d’une rivière. Des montagnes se dessinent dans le lointain. Les gens vivent principalement de leur potager et d’élevage. Sa langue natale est le dari mais il parle aussi le pachto. Son père est mort. Sa maman, ses sœurs et ses frères, il y pense tout le temps.
Où sont-ils tous? Le recherchent-ils, de leur côté ?

Militaire ou policier, le papa travaillait pour le gouvernement. C’était avant 2021 et la prise de pouvoir des talibans. Il n’affichait pas son statut de fonctionnaire, par crainte, pour ce musulman sunnite, de la haine des extrémistes religieux. Ils n’autorisent pas la musique ni l’école, pour les filles. Alors il faisait office d’instituteur. Abed n’a été à l’école que durant quatre ans car, hors du foyer protecteur tout pouvait arriver, jusqu'à la mort. Dans la maison, malgré les pressions de l’extérieur et les menaces, la famille s’évertuait à vivre en harmonie, avec le jardin pour espace de liberté. Il garde la nostalgie des parfums de la cuisine, quand sa maman préparait les chapatis, cuisait le riz et les légumes du potager, dans les parfums du tandoor. Parfois, ils battaient le tempo sur des casseroles pour chanter, à voix basse. La peur, toujours, les étreignait.

Vint ce jour où le papa partit au travail avec des collègues. Leur voiture a sauté sur des explosifs. Déposé comme un sac devant la maison, son corps déchiqueté, au visage brûlé, aux yeux crevés, a été enseveli, drapé dans un linge blanc. Personne, dans le hameau, n’osait parler d’assassinat.

La maman a dit qu’il était temps de quitter la maison et le pays pour survivre et commença l’exode de la famille, une odyssée qui ressemble aux histoires de tous les exilés forcés de tout quitter pour sauver leur peau. Pourtant chaque voyage s’avère unique.

Abed revoit les camionnettes, l’errance dans les montagnes, parle du froid, de la faim, de la soif et de la peur et de la maladie. Après le Pakistan et l’Iran, à la frontière de la Turquie, la morsure du froid était aussi cruelle que la dérive. Les frères faisaient tout pour protéger la maman et les sœurs. Unis, ils imaginaient la lointaine France, où selon la rumeur, les réfugiés étaient accueillis. Avant, avec le père, ils étaient neuf. Dans la fuite, ils n’étaient plus que huit.

Eux qui se lavaient soigneusement ne supportaient plus d’être sales. La marque du déracinement. Du manque d’un toit. A la frontière turque tous se donnaient la main et la fatigue les a terrassés. Dans le brouillard de sa mémoire, Abed cherche en vain à se rappeler comment les mains se sont dénouées. Il s’est réveillé en Turquie, non loin de la ville de Van, seul au milieu de visages inconnus. Sans papiers. Sans argent. Avec ses vêtements abîmés. Il était groggy et le tumulte régnait sur la frontière.

Le jeune homme s’est raccroché à un couple afghan et à leur enfant. Muhamad Nazar et son épouse ont dit qu’il était le fils d’un parent. Il pleurait, avait mal au ventre, ne pouvait revenir sur ses pas.
Et si sa famille était devant lui, plus loin.

Déjà à Istanbul ?

Vinrent les barbelés, barrière hostile entre les vagues et les bateaux, les nuits et les jours en mer. Ces départs manqués avec le risque de se noyer, les retours sur le rivage et d’autres tentatives. Chacune pouvait être mortelle. Abed ne savait pas nager, il a appris en Belgique. Les vagues étaient hautes, dures, hostiles. A la longue, il s’est retrouvé sur une île proche de la Crête, d’où il a gagné Athènes. Puis il a voyagé avec Omid, Afghan lui aussi. Ils s’évertuaient à capter des mots d’anglais pour se faire comprendre.

A Patras, ils ont vécu un mois sans hygiène dans une ancienne usine. Ils essayaient de franchir les grilles. Jusqu’au jour où il resta accroché aux barbelés, les mains déchirées, un gardien cruel le roua de coups. Des femmes de la Croix-Rouge l’ont recueilli, soigné, donné de l’eau. Elles voulaient qu’il se repose, mais il lui fallait aller de l’avant, coûte que coûte. Leur humanité n’aura pu le retenir.

Abed et Omid ont découpé la bâche d’un camion et la randonnée a repris son cours. En sortant du ferry ils se sont retrouvés en Italie. Le chauffeur les a repérés. Il avait peur et leur a dit de foutre le camp. Pour tromper leur faim, ils ont maraudé des kakis. Abed avait pour tout bagage une bouteille d’eau. Avec le peu d’argent qui restait ils ont acheté des croque-monsieur et deux billets de train pour Milan-Central. Dans la grande gare ils se sont enfin lavés dans les WC. Abed s’est procuré un pantalon porté sous le grand manteau reçu en passant, quelque part. Restait à gagner la France. De braves gens leur ont donné à manger. « La chaleur humaine est plus précieuse que l’argent », dit Abed.

A Morlanwelz, l’abri du centre Fedasil

Après Nice vint Marseille. Puis Paris où ils se sont séparés. Là encore un compatriote l’a aidé à tenir le coup, dans la rue. « Loris m’avait identifié parce que j’ai cette tache sur ma figure, une plaque rouge due à la piqûre d’un moustique ». ll s’est lavé chez cet ami, du côté de la Porte de la Chapelle. Et c’est lui encore qui a suggéré la Belgique, Bruxelles. Un copain de Loris l’a déposé en voiture à la gare du Midi. D’où il est monté dans un train pour la gare du Nord.

Mains vides et cœur lourd, dans la froidure de la fin 2020, la pandémie du covid-19 pesait sur le monde. Ses cheveux étaient longs, il était au bout du rouleau, épuisé, sale.

La police s’est pointée avec un chien. Il a reçu des vêtements et à manger et a erré dans la cité. Avant de se placer dans la file d’attente au Petit-Château, près du canal qui coupe Bruxelles en deux.

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Après les tests du coronavirus et un examen médical, il a été conduit au centre Fedasil de Morlanwelz où, comme un oiseau trouve une branche, il s’est posé. C’est là, plus tard, quand il a récupéré la capacité d’espérer, qu’il lui a été conseillé de contacter la Croix-Rouge de Belgique pour retrouver sa maman, ses soeurs et ses frères. D’où sa demande de recherche, en cours. Qu’il tient à partager pour montrer comment fonctionne le service RLF, où on l’a écouté. Et pour amplifier au maximum l’écho de sa grande espérance.

Textes Marcel Leroy, photos et vidéos © Jean-Frédéric Hanssens
Reportage réalisé avec le soutien du Fonds pour le Journalisme de la fédération Wallonie-Bruxelles.


La semaine prochaine 2/6.
A la Croix-Rouge de Belgique, Delphine De Bleeker explique ce qu’est le service RLF (Rétablissement des liens familiaux), décrit son mode d’action et définit son esprit.

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