Bon anniversaire au CNCD, à l’opération 11.11.11...

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Par | Penseur libre |
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Manifestation lors du Forum Social Mondial de Tunis en 2013. © Photo G.L.

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... Et à toutes celles et tous ceux qui y participent!

Lancé voici 50 ans, avec la volonté de tourner la page du colonialisme, le Centre National de Coopération au Développement avait l’ambition de rassembler ONG et public pour répondre à l’appel des Nations Unies, en particulier de la FAO, en vue de combattre la faim dans le monde. Ambitieux, il mit en place diverses coordinations en charge les unes de la campagne 11.11.11., les autres de l’accueil des réfugiés, des étudiants étrangers, de l’aide d’urgence, de l’envoi des coopérants. A l’époque, le CNCD confia à SOS Faim le soin de choisir quels projets et actions bénéficieraient des fonds récoltés annuellement le 11 novembre.  

Assez vite cependant, le CNCD fut l’objet de critiques de la part d’une partie des ONG, organisations de jeunesse, mouvements de la paix qui ne partageaient pas sa vision trop consensuelle et peu critique à l’égard des tendances néocolonialistes de la coopération officielle belge, entachée de deux défauts majeurs. Le premier d’assurer via la coopération une présence politique dans ses anciennes colonies, le deuxième de lier l’aide belge à la promotion des intérêts économiques et commerciaux belges dans les pays assistés.

Le CNCD était lui-même critiqué pour sa vision paternaliste de la coopération, celle du « rattrapage ». L’aide devait permettre au pays du Sud de rattraper les pays du Nord dans leur modèle de croissance. Toute critique de l’exploitation des ressources naturelles de ces pays au seul profit du Nord était absente.

C’est ainsi que dès 1970, le Comité National d’Action pour la Paix et le Développement (CNAPD), regroupant nombre d’associations, diffusa en masse durant l’opération 11.11.11 un tract « 11.11.11 oui mais » dénonçant une complaisance consistant à donner d’une main aux populations du Sud ce qu’on leur reprenait quatre fois plus par ailleurs… Deux organisations membres, le Mouvement chrétien pour la Paix et un peu plus tard Entraide et Fraternité, furent éloignées du CNCD.

Entraide et solidarité

En 1980, le CNCD/NCOS fut poussé par les Flamands au « splitsing ». Ce fut une aubaine qui permit, avec l’aide d’un grand sage, le ministre d’Etat Pierre Vermeylen, de réorienter le CNCD sur une ligne nouvelle. Il s’agissait de maintenir l’entraide en y ajoutant la solidarité avec les aspirations légitimes des pays du Sud à leur émancipation : la lutte contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud, la dénonciation de la dictature de Mobutu au Zaïre et des complicités dont ces régimes bénéficiaient en Belgique et en Europe, l’information sur l’aide liée aux milieux d’affaires, la mainmise sur nombre d’économies du Sud par les mécanismes de l’endettement et l’intérêt critique pour les mécanismes de coopération instaurés par l’Union européenne.

Ajoutons l’élaboration de conditions nouvelles d’un partenariat fondé sur le respect mutuel, la protection des défenseurs des droits de l’Homme au Sud, le commerce équitable, la souveraineté alimentaire, la défense de l’environnement et des biens communs de l’humanité. Tout cela fut pris en charge collectivement par le CNCD et ses associations membres.

Beaucoup ont considéré cette émergence d’une autre vision de la coopération et des relations internationales comme une alternative permettant à la société civile d’avancer sur la voie d’un « autre monde possible », un monde partageant les idéaux des Nations Unies contenus dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et l’ensemble des conventions pour une sécurité et une coopération internationales.

C’était sans compter sur l’arrogance des acteurs économiques et politiques qui, au cours des mêmes 30 dernières années, ont imposé au monde une vision économiciste et égoïste des rapports internationaux. En 1947 déjà, l’économiste Karl Polanyi dénonçait le risque en disant : « Ne laissez pas l’économie aux économistes mais rendez-la aux acteurs sociaux. Une économie qui mène sa propre vie dévore le social et son environnement. »

Bravo au CNCD car il a pris la mesure du risque en refusant le TINA (there is no alternative) du couple infernal Thatcher-Reagan.

Bravo aux ONG qui ont été en mesure d’acquérir les compétences pour tenir tête aux eurocrates, aux experts de la Banque Mondiale, du FMI, des multinationales. Elles ont obtenu la complicité de politiques, de syndicalistes, d’universitaires et de leurs alter ego du Sud afin de contester les arguments d’autorité de ceux qui dirigent l’économie au profit de l’enrichissement d’une minorité. (Voir le rapport d’Oxfam de janvier 2015 : « Les 1 % les plus riches possèderont plus que le reste de la population mondiale en 2016 »).

Quatre écueils

A l’avenir, plusieurs écueils doivent être évités et je voudrais brièvement en évoquer quatre.

- Le premier : la coopération internationale de l’ONU, des Etats, des institutions internationales et celle des ONG a rencontré son pire échec et ses limites le 4 avril 1994. Il s’agit du génocide commis sous nos yeux en trois mois au Rwanda, au cours duquel près d’un million de Tutsi ont été exterminés, massacrés. Malgré les études, les témoignages, le Tribunal international sur le Rwanda, les commissions d’enquête, le bilan réel de ce crime contre l’humanité et ses conséquences au Rwanda même mais aussi dans la région, dont la mort de six millions de Congolais, de Burundais, n’ont pas été clairement identifiés et encore moins assumés. Il n’est pas trop tard.

- Le deuxième : le retour de l’aide liée. Tant les Etats que l’UE détournent sans vergogne l’aide au développement. D’abord l’aide promise en 2000 à l’aube du Millenium n’a pas été apportée et donc des centaines de milliers de petites filles sont privées d’école, des millions d’humain n’ont pas accès à l’eau potable, etc. Mais, plus cyniquement, ce qui restait des budgets consacrés à l’aide publique au développement sont aujourd’hui détournés pour faire de l’urgence dans les zones de guerre. Des guerres le plus souvent provoquées par ces mêmes pays du Nord, voyons les exemples de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Lybie, et bien d’autres moins médiatisées.

Pire, ces budgets sont utilisés pour soutenir nos entreprises engagées dans les pays du Sud, ou encore pour alléger les coûts de l’accueil des populations du Sud qui cherchent à se réfugier dans nos pays.

Dans sa lutte contre les migrations subsahariennes, l’UE a trouvé plus facilement 4 milliards à allouer au gouvernement turc de M. Erdogan et met en œuvre ce qu’elle appelle les « compact migrations policies ». Il s’agit de conditionner l’aide à des pays tels le Sénégal, le Mali, le Niger, le Nigéria, l’Ethiopie, à la réadmission par ces pays des migrants dits « irrégulièrement entrés en Europe ».

- Le troisième : la concurrence entre ONG et avec les autres secteurs associatifs. Entre ONG : le ministre actuel de la Coopération s’est érigé en CEO de la coopération et avec l’appui d’une firme de consultance a soumis les ONG à des examens de performance propres aux grandes entreprises du secteur privé, mettant ainsi les ONG sous la double pression de la concurrence pour l’accessibilité aux fonds publics et quant au choix des pays où elles peuvent bénéficier de ces fonds pour leurs actions de coopération.

Avec d’autres acteurs associatifs dans les secteurs sociaux, entre autres la santé, le risque est réel de voir de plus en plus d’ONG adopter des méthodes de récolte de fonds et des messages de plus en plus agressifs et simplistes « à votre bon cœur, M’sieur M’dame » qui nuisent voire sont en contradiction avec leur message en matière d’éducation pour le développement et pour une coopération respectueuse des objectifs du Millénaire pour le Développement, adoptés par les Nations Unies.

-Le quatrième : la dictature de l’urgence. Il s’agit enfin de combattre, en coopération comme ailleurs, l’état d’urgence qui prévaut en matière de sécurité comme en relations internationales. La dictature de l’urgence est à l’opposée du travail dans la durée que nécessite la coopération. Elle marginalise le partenariat pour favoriser l’ingérence. L’urgence est un camouflage qui sert le plus souvent les intérêts de nos pays et rarement les populations secourues. C’est, en outre, un réel danger car l’urgence nécessite une forte attention médiatique qui, lorsqu’elle retombe, laisse les populations assistées à l’abandon.

La coopération est donc avant tout une action de partenariat dans la durée qui exige encore et toujours un dépassement de nos clichés : nous serions les « développés » et eux les « sous-développés ». Après avoir été des sauvages, des colonisés, combien de temps faudra-t-il pour considérer les autres, ceux du grand Sud, comme nos égaux ?

En ce sens, une autre révolution culturelle s’impose.

Bon anniversaire et bon courage ce 11 novembre 2016 !

Infos :

http://www.cncd.be/

http://www.cnapd.be/a-propos/

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