Cette éducation dite « nouvelle »...

Pour remettre les idées à l’endroit...

Par | Penseur libre |
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Le mouvement d’éducation nouvelle rassemble de nombreux courants apparus pour la plupart surtout au début du XXe siècle et proposant de nouvelles façons de concevoir l’éducation et l’enseignement.

Un peu d’histoire

Cependant, ses racines peuvent remonter loin dans le temps. Plusieurs historiens de l’éducation n’hésitent pas à considérer Montaigne, Rousseau comme des précurseurs de cette mouvance et parfois même Rabelais et (pourquoi pas ?)... Socrate. Plus judicieusement, pour le 19e siècle cette fois, Frœbel, Pestalozzi et même Tolstoï (oui, l’écrivain) sont également cités parce qu’ils ont eu au moins le mérite de créer concrètement une école (tandis que Jean-Jacques Rousseau n’a guère mis en pratique ses conceptions sur l’éducation, son livre Émile ou De l’éducation étant plutôt un essai philosophique). Fin du 19e siècle, début du 20e, on constate également l’émergence d’initiatives comme celles de Paul Robin à l’orphelinat de Cempuis ou d’Edmond Desmoulins avec l’École des Roches, « new school » à la française... Francisco Ferrer, fondateur de l’École moderne de Barcelone, est lui aussi souvent cité dans cette mouvance, lui qui payera ses engagements de sa vie.

C’est probablement à cause de l’ambigüité de l’adjectif «  nouvelle  » que ce mouvement est un véritable patchwork où l’hétéroclite le dispute à la dispersion. On y retrouve des pédagogies aussi différentes que celles de Steiner, philosophe, Decroly et Montessori, médecins, Freinet, instituteur, ou des théoriciens comme John Dewey et dans une certaine mesure Ferrière, des psychologues comme Claparède et Piaget, des inspecteurs de l’enseignement comme Roger Cousinet, promoteur du travail libre par groupes. C’est ce qui fait à la fois la richesse et la faiblesse de l'éducation nouvelle. On peut en effet affubler toute méthode ou pédagogie de «  nouvelle  », simplement parce qu'elles proposent des façons de voir ou des pratiques qui n’existaient pas auparavant et qui marquent leur époque. Ce seul critère de nouveauté ne suffit pourtant pas évidemment pour leur appliquer l’étiquette d’«  éducation nouvelle  ».

Naissance de l’éducation nouvelle

Il semble que l’expression « école nouvelle » soit apparue avec Cecil Reddie lorsqu’il fondit sa New school en 1899 à Abbotsholme en Angleterre. Dans la foulée, plusieurs écoles nouvelles voient le jour en Europe, d’abord en Allemagne puis en France, au point d’aboutir à la création d’un «  Bureau international des écoles nouvelles  ».

Mais avant la guerre de 1914, les écoles nouvelles ne dépassent pas la centaine en Europe et ne concernent qu’environ trois-mille élèves issus souvent des classes privilégiées. Les expressions « école active » ou « pédagogie active » sont aussi parfois utilisées. Cet adjectif est également ambigu. Il ne suffit pas en effet de mettre l’élève en activité, encore faut-il que ces activités aient du sens pour lui et s’intègrent dans un projet plus général d’émancipation sociale. C’est pourquoi l’expression «  pédagogie active  » qui fait florès ces derniers temps et sert de nom à de nouvelles écoles peut recouvrir beaucoup de pratiques différentes, certaines n’hésitant pas à mêler les ingrédients de plusieurs pédagogies dans un melting-pot incohérent qu’elles croient original.

Adolphe Ferrière (1879-1960), un des fondateurs du mouvement, propose, déjà en 1912, une charte de l’éducation nouvelle qui comporte pas moins de trente points permettant de définir une école «  nouvelle  ». Heureusement, un peu bizarrement, Ferrière précise que les écoles seront tenues de n’en respecter qu’une quinzaine pour être reconnues !

Parmi ceux-ci, le fait de fonctionner en internat à la campagne, le contact avec la nature, le naturisme, la vie au grand air, la culture du corps, le travail manuel, l’autonomie des écoliers, la coéducation, etc. Le premier de ces points n’a guère de pertinence aujourd’hui et certains autres sont difficiles à respecter dans les écoles urbaines, par exemple. Cette charte est adoptée lors de la création de la Ligue internationale de l’éducation nouvelle au Congrès de Calais en 1921. L’édition d’une revue (Le lien) rassemblera dès lors régulièrement les témoignages de participants particulièrement cosmopolites.

Ferrière définit ainsi l’éducation nouvelle  : «  J’appelle “Éducation nouvelle” un mouvement pédagogique contemporain qui n’est nouveau que parce qu’il s’adapte aux besoins nouveaux de la société d’aujourd’hui. Il n’est point théorique, mais pratique. Il s’est affirmé tant en Europe qu’en Amérique par la création de cent écoles nouvelles qui, toutes, rompent avec une routine séculaire et tendent à rendre l’instruction et l’éducation à la fois plus psychologique et plus sociale.  »

De son côté, Célestin Freinet qui assiste au Congrès de Nice en 1932 critique cette appellation  : «  Nous disons bien École Moderne et non École nouvelle parce que nous insistons beaucoup moins sur l’aspect nouveauté que sur celui d’adaptation aux nécessités de notre siècle... Nous avons à faire naitre l’avenir au sein du présent et du passé, ce qui nécessite non point un spectaculaire appel de nouveauté, mais de la prudence, de la méthode, de l’efficience et une grande humanité.  » Cela n’empêche pas le mouvement d’enseignants qu’il crée d’être perçu comme un mouvement d’éducation nouvelle même si Freinet l’a baptisé à de multiples reprises «  école moderne  ».

À contrario, la pédagogie Steiner a été en quelque sorte embrigadée dans le courant de l’éducation nouvelle, alors que les préoccupations de son initiateur étaient plutôt d’ordre philosophique (occulte et ésotérique avec l’anthroposophie) et qu’il ne s’est intéressé que tard à la pédagogie, après avoir marqué surtout l’agriculture de son empreinte. Après sa mort, les Anthroposophes et les écoles Steiner ont entretenu des rapports troubles avec le régime nazi. Ce sont les enfants calmes et créatifs des écoles Steiner et la «  nouveauté  » (encore elle) des pratiques pédagogiques (le retour à l'artisanat, l'étude des grands mythes, etc.) qui ont probablement impressionné les responsables de la Ligue internationale d’Éducation nouvelle au point de les intégrer dans cette mouvance.

De même, la pédagogie Montessori a souffert des bons rapports qu’entretinrent longtemps Benito Mussolini et la « dottoressa ». Ce n’est en effet qu’à partir du moment où le régime a voulu l’obliger à faire porter un uniforme à ses élèves qu’elle s’expatria en Espagne, en Indes puis aux Pays-Bas.

L’on comprend donc aisément que ces pédagogies avaient des difficultés à se retrouver sous la même enseigne. D’une part, des pédagogues prônant la liberté d’expression et des pratiques démocratiques dans l’école et d’autre part, des pédagogues ne se préoccupant de ces questions que du bout des doigts et en cheville avec les pouvoirs en place. D’un côté, des pédagogues qui cherchaient à défricher les chemins qui menaient à une organisation de la classe qui favorise les initiatives de l’élève et son autonomie et de l’autre des enseignants misant sur la liberté totale de l’enfant et l’adolescent face aux exigences scolaires. D’un côté, des médecins, des psychologues et des théoriciens, de renommée internationale certes, mais qui abordent l’éducation par le biais scientifique et de l’autre des instituteurs soucieux surtout de trouver des solutions aux multiples problèmes que pose la gestion d’une classe, tout en ne négligeant pas d’élaborer une théorie de manière dialectique en s’appuyant sur leur propre pratique.

Freinet lui-même ne se reconnait guère dans les aspects formels qu’entretient la Ligue dans sa communication vers le public et durant ses congrès.

Élise Freinet résume ainsi le congrès de 1932 à Nice, où Freinet rencontre Montessori  : « Le congrès de Nice fut tout entier dominé par le prestige de Madame Montessori. Un train spécial avait amené son matériel ; de nombreuses salles lui avaient été réservées dans ce vaste Palais de la Méditerranée.  Des enfants idéalement sages et beaux, mais comme d’un autre âge dans leurs fanfreluches rococo, évoluaient au milieu du matériel de luxe qui les sollicitait. Nous les regardions avec une sorte d’étonnement manier en silence, avec dextérité, les surfaces et les cubes, et tous ces objets de l’immobilité qui conduisent parfois à des virtuosités de racine carrée ou de racine cubique nous plaçaient dans une atmosphère de singes savants... Nous pensions à nos petits élèves hirsutes et débraillés, si spontanés dans leurs gestes et dans leurs élans, et le souvenir de nos classes bourdonnantes s’imposait à nous et nous empêchait de comprendre peut-être ce qui se cachait de vérité dans les jeux des petits prestidigitateurs ».

Qu’ont-elles donc alors en commun ?

Mais alors qu’ont en commun ces tendances si diversifiées ? Si l’on peut considérer les pédagogies Freinet et Decroly comme cousines lointaines (même si la première se décline suivant un axe expression – communication – socialisation tandis que l’autre favorise plutôt un axe observation – expression - association), il est difficile de trouver des points communs entre elles et les autres pédagogies les plus présentes dans l’éducation nouvelle comme Steiner ou Montessori ou encore dans l’école de Summerhill d’Alexander Neill. Si ces pédagogies mettent souvent l’enfant au centre de leurs préoccupations, elles ne le font pas de la même façon ni pour les mêmes raisons. Des substrats d’ordre idéologique, philosophique, politique et même religieux peuvent aboutir à proposer des pratiques pédagogiques et une attitude vis-à-vis de l’enfant qui apparaissent semblables, du moins à un œil non exercé.

Et l’éducation nouvelle aujourd’hui  ?

Où en est-on  La ligue internationale d’éducation nouvelle a tenu huit congrès entre 1921 et 1946. Sept autres rencontres entre 2003 et 2017. Une première Biennale internationale de l’Éducation nouvelle, organisée par six mouvements pédagogiques se réclamant de ses principes, a également eu lieu à Poitiers du 2 au 5 novembre 2017 et une autre en 2019.

L’état d’esprit de l’éducation nouvelle traverse donc encore les initiatives actuelles de rénovation de l’éducation et de l’enseignement, mais le travail d’approfondissement et de clarification est, semble-t-il, toujours à recommencer.

Henry Landroit

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Ce texte est écrit en orthographe nouvelle (www.orthographe-recommandee.info)

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