Congo - Belgique: créer une mémoire commune

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Quelques pépites artistiques dans les collections de l’AfricaMuseum. Photo © AfricaMuseum

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Dans notre mémoire, l’éléphant était bien poussiéreux mais d’autant plus impressionnant que nous étions petits, la girafe perdait quelque peu sa paille et les crocodiles ne faisaient pas vraiment peur. Par contre, les masques remuaient d’étranges sensations dans nos esprits et dans nos cœurs. Ces étranges fétiches et objets rituels ou coutumiers dont l’utilisation nous était inconnue hantaient notre mémoire. Un continent de mystères s’ouvrait à nous et nous percevions une esthétique autre, une vision différente du monde, des humains, de la nature sans que cela paraisse un art inférieur. Autre simplement. Et fascinant. 

C’était tout cela, le Musée royal de l’Afrique centrale, hymne à Léopold II et à une colonisation dont nous n’apprenions rien à l’école sauf qu’elle avait apporté tellement d’argent à la Belgique que nous étions considérés comme une petite grande puissance dans le concert des nations coloniales des 19ème et début 20ème siècles.

Avec l’indépendance du Congo et les reportages sur les violences à l’encontre des colons belges, nous apprenions par bribes comment en réalité cette colonisation était une exploitation, une oppression terriblement violente et meurtrière contre des peuples. La propagande coloniale était battue en brèche par les témoignages des populations ex-colonisées qui pouvaient enfin prendre la parole. Enfin, nous pouvions revisiter l’histoire, contester ce qui nous avait été imposé comme vision de l’Afrique et plus particulièrement du Congo « belge ».

L’exposition de 2005

Il a fallu attendre 2005, à l’occasion des 175 ans de la Belgique, pour que notre musée poussiéreux s’ébroue quelque peu et révèle aux visiteurs un autre aspect de la mémoire du Congo : la réalité du temps colonial. Belges et Congolais s’exprimaient enfin, tout au long du parcours, sur cette longue histoire du Congo. Le livre publié à cette occasion, « La mémoire du Congo. Le temps colonial » est donc passionnant. Il constitue une première étape essentielle vers la conquête d’une mémoire partagée par les Belges et les Congolais et qui se forge dans l’écrin rénové et modernisé de l’AfricaMuseum qui vient d’ouvrir ses portes aux visiteurs.

On y affronte les récits qui ont été faits des massacres, déportations, mises en esclavage, mutilations, mauvais traitements, travaux forcés imposés aux populations du centre de l’Afrique au cours d’une histoire plus longue que celle de la colonisation. Les responsabilités du colonisateur sont clairement reconnues et détaillées. La transformation forcée de l’économie au profit des colonisateurs est remarquablement expliquée dans ce livre et explique comment la domination administrative, scolaire, sanitaire était organisée, transformant durablement une société, ses tenants de pouvoir traditionnel, ses coutumes et croyances, ses cultures d’une incroyable richesse et diversité.

Récits belges et congolais

La colonisation fait partie de notre histoire commune, reste à la décrypter avec le regard critique de l’historien. Celui-ci se base aussi sur des témoignages recueillis auprès des Belges et des Congolais. A ce propos, j’ai retrouvé dans ma bibliothèque une série de témoignages de colons belges recueillis par Danielle Helbig et datant de 2005. « Paroles du Congo belge » est une suite d’entretiens et de témoignages de coloniaux âgés de 80 à 90 ans. Ils racontent l’industrialisation du pays, la manière dont il était administré, l’opportunité de promotion sociale que cela représentait pour les travailleurs belges, le système de ségrégation raciale dans la vie quotidienne, moins systématique que l’apartheid en vigueur en Afrique du Sud mais bien présent dans l’organisation des villes et des déplacements des Noirs. Des fragments de mémoires passionnants à lire car ils décrivent un contexte que l’on a voulu oublier.

D’autre part, l’histoire s’écrit aussi et de plus en plus par des Africains eux-mêmes. A cet égard, l’essai de Didier Mumengi, écrivain et homme politique congolais et auteur de plusieurs ouvrages historisants, « Réécrire l’histoire », débute par un rappel des premières publications sur l’histoire de l’Afrique noire par des intellectuels africains. Un grand nom et cité : Olaudah Equiano, né vers 1745 à Isseke au Biafra, kidnappé à l’âge de 11 ans et vendu comme esclave en Virginie, acheté par un officier britannique de la Royal Navy qui l’envoya en Angleterre où il apprit à lire et à écrire et ensuite, il se lança dans la lutte contre l’esclavage. Il apostrophe ainsi les Britanniques : « L’iniquité que vous avez commise est grande, et partout où votre commerce et vos colonies se sont étendus, ils sont honteux ; et la grande injustice ainsi que la cruauté avec laquelle sont traités les pauvres Africains crient vers le ciel contre vous… » Une accusation malheureusement toujours d’actualité quand on sait à quel point les viols mutilants, les mauvais traitements et les massacres accablent les populations les plus pauvres du Kivu mis en coupe réglée par des forces paramilitaires, des mafieux au service des grandes entreprises multinationales qui exploitent les richesses immenses de ce Congo sans cesse pillé. Une nouvelle colonisation sur laquelle nous fermons trop souvent les yeux.

Mais les voix des Africains portent de plus en plus par le biais de la littérature, des arts plastiques, de la musique et de la recherche historique. Le travail est ample. Didier Mumengi le résume ainsi : « la mémoire collective reconstruite par l’histoire nationale se doit de cultiver une perspective qui englobe toutes les mémoires parcellaires de la société. A savoir : les horizons propres aux provinces, aux ethnies, aux divers royaumes et empires d’antan, ainsi qu’aux divers mouvements migratoires en lien avec notre histoire. Il s’agit de reconstruire le fil historique qui a rendu possible l‘avènement de la République démocratique du Congo, de la préhistoire à nos jours. »

Une mémoire à croiser avec l’histoire des autres peuples, afin de « réunir les fragments de notre moi dissocié pour retrouver l’unité de notre humanité. », souligne Didier Mumengi. Il suit ainsi les traces de Cheikh Anta Diop clamant que « leurs ancêtres, qui se sont adaptés aux conditions matérielles de la vallée du Nil, sont les plus anciens guides de l’humanité dans la voie de la civilisation. »

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Cette réflexion est à présent illustrée par le nouveau Musée des civilisations noires à Dakar et le « Discours aux Nations africaines » de Felwine Sarr dont le livre « Afrotopia » est le manifeste de cette révolution culturelle qui démontre à quel point les Africains sont acteurs de leur histoire et de leurs cultures. Un processus de « décolonisation » mentale et culturelle qui explique bien le débat actuel sur la restitution des œuvres culturelles et cultuelles confisquées par les colonisateurs et empilées dans les musées occidentaux.

A nous aussi d’agir pour que les échanges culturels s’intensifient entre nos pays et qu’ainsi s’accroisse notre mémoire commune dans un cadre de démocratie réinventée, revivifiée.

  •  « La mémoire du Congo. Le temps colonial », éditions Snoeck / Musée royal de l’Afrique centrale. 2005.
  • « Paroles du Congo belge », Danielle Helbig, Editions Luc Pire. 2005.
  • « Réécrire l’histoire », Didier Mumengi, L’Harmattan. 2017.
  • https://www.africamuseum.be/fr/home
  • A lire aussi : « Bruxelles ville congolaise », un dossier spécial et une approche urbaine de la décolonisation mentale que l’on peut effectuer en se promenant dans la ville et dans sa mémoire de pierre et de métal. Pour regarder en face la statue équestre de Léopold II à côté du palais royal… « Bruxelles en mouvement », publication d’InterEnvironnement Bruxelles, n°297, novembre-décembre 2018. www.ieb.be
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