Dégâts collatéraux

Pasta

Par | Journaliste |
le

© Wich

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Nous étions quelques amis à table. On papote de choses et d’autres, puis, comme nous sommes des citoyens conscients des réalités de notre époque, il est toujours bon de le faire savoir, nous entamons, sur un ton plaisant, le sujet d’actualité  : la guerre en Ukraine. Une des participantes annonce alors qu’elle a participé à la manifestation organisée par le CNAPD, en faveur d’une solution diplomatique, mais qu’elle s’est trompée de jour et, dans les faits, participé à l’autre qui préférait la guerre sans concessions. Rires. De l’intéressée également.
Le maître de maison ne l’entend pas de cette oreille et asticote sévèrement la dissidente sur son manque de réalisme face à une situation aussi grave et qui menace toute la société occidentale. Civilisée.
Ça commence à chauffer.
Je me tiens plus ou moins à l’écart, car ça prend le chemin de la discussion de Café du Commerce, lieu aussi emblématique que mythique de la Première Guerre mondiale, où chacun tenait, venue l’heure de l’apéro, à faire montre de ses capacités de stratège, de fin politique ou de patriote sans tache.
Bien entendu, aucun des participants n’a la moindre compétence ou les renseignements crédibles et vérifiés dans le domaine où il s’aventure, ni la moindre prise pour changer le cours des évènements. Il fait donc avec ce qu’il a appris dans ses journaux, qui disent la vérité, eux, et se méfie, car il n’est pas dupe, de la propagande de l’ennemi et de sa cinquième colonne. Salaud !
Pour le patriote, les choses sont plus simples  : Foin de conjectures ! En avant, Quel que soit le prix pour ceux qui se font trouer la peau sur le champ de bataille, mort aux boches, sauvons la civilisation, remets-nous ça Maurice, c’est ma tournée.
Revenons à notre amicale soirée. La malheureuse distraite qui, en substance, pense qu’il faudrait mettre autant d’énergie à soutenir l’Ukraine qu’à trouver une solution diplomatique, devient la proie de la meute. Le combat me semble déséquilibré. Mon moi de chevalier blanc toujours prêt à voler au secours de la veuve et de l’orphelin se sent obligé de se jeter dans la mêlée.
Ayant, en préambule, précisé que je ne suis en rien un admirateur de Poutine ou de ses prédécesseurs, les staliniens, puis les néo-staliniens-qui-ne-veulent-pas-en-avoir-l' air, et, à partir d’Elstine, de la kleptocratie, qui grâce à Poutine, s’épanouit sans complexes. (À part Gorbatchev qui tentât de sortir dignement du merdier, mais n’y réussit pas, j’ai une profonde aversion pour les systèmes politiques russes, à part la brève période des soviets réellement indépendants sur lesquels les bolcheviques mirent la main, prenant le contrôle total de la population, avec la grande réussite que l’on sait; les bonnes idées, c’est à tenir vigoureusement à l’écart des voyous. C’est pas facile.)
Revenons à notre soirée. Je m’abstiens, ce n’étant pas le propos, de préciser que je n’ai guère d’admiration non plus, pour d’autres raisons, vis-à-vis des systèmes politiques occidentaux, notamment l’américain dont l’invasion de l’Irak sous le prétexte d’y détruire des armes de destruction massive était aussi crédible que celui de Poutine de dénazifier l’Ukraine. Et il faudrait faire confiance à ces amis des valeurs démocratiques ! par exemple au Chili où ils tinrent Allende comme une menace pour la Libre entreprise et le remplacèrent par Pinochet, cet irréductible chevalier des droits de l’homme.
Mais je fais savoir que je pense aussi qu’une solution diplomatique serait sans doute une bonne manière de raccourcir le conflit.
Tollé  !
— Quoi  !  S'emporte le maître de maison, en se resservant un peu de cet excellent crû qui fait l’honneur de sa cave, ce qu’il faut, c’est soutenir l’Ukraine, sans poser de question. Commencer à chipoter, c’est faire le jeu du Kremlin, donc être complice, en un mot, trahir, pas la patrie, dans les milieux progressistes, on n’ose plus ce concept. Mais enfin, trahir, quoi. Douter, c’est trahir.
Il ne s’agit donc plus d’exposer des points de vue, mais de terrasser l’adversaire, le culpabiliser, le réduire à néant, et tous les moyens (pacifiques tout de même en l’occurrence) sont bons.
La discussion vire au sport de combat et je ne laisse pas ma part aux chiens. Non mais !
Jusqu’à ce qu’un de mes challengers, me dise que si ça ne met plaît pas, je n’ai qu’à rentrer chez moi.
Argument imparable et bienvenu. Je n’y vois en effet aucun inconvénient, vu l’heure, mon âge et la tournure du débat. Je plante là tout le monde.  Ça crée un certain malaise, mais dieu soit loué (le MSV, bien sûr), il ne reste aucun mort sur le terrain.
Peut-être fera-t-on un peu plus attention la prochaine fois qu’on se rencontrera entre amis.
Pas sûr  ! L’humain est incorrigible. Seule la nature en viendra à bout. Mais elle aura difficile, comme on dit en belge.
Comme monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir ( c’est toujours bon à placer dans un article pour montrer l’étendue de sa culture) j’aurais pu être sans le savoir, un émule de ce Nicodème  (ça veut dire « niais », d’après mon correcteur orthographique, ça n’engage que lui) dont Anne Morelli parlait la semaine dernière dans notre journal préféré : déblatérer, pour la galerie, Poutine et son association de malfaiteurs, mais au fond de mon cœur, les soutenir.
Hé non  ! C’est pas si simple ! Avec l’âge, tout se complique !  
On vit dans un monde compétitif. EFFICACITÉ ! Il convient à tout moment d’être prêts à la lutte, déclarer sans ambages une opinion une et indivisible.
Si l’on veut tenir le coup, être EFFICACE, il faut donc s’en construire une à tout propos et fissa, car le monde change.Ferme, même si sûr de rien !
Sûr de rien ! Ce n’est pas possible, voyons ! Il ne faut même pas penser à cette éventualité, ceci pour le repos notre conscience qui ramène sa fraise à tout bout de champ à propos de nos convictions.
— Vite faites ! susurre-t-elle.
Dans l’intimité, la bougresse, ne s’en laisse pas conter, malgré notre résistance.
— Vite faites et anecdotiques ! ajoute-t-elle.
La mienne, fatiguée, sans doute, est arrivée à cette conclusion que pour être à peu près certain de quelque chose, il faut beaucoup de temps et de patience.
Pire ! Depuis le temps que l’humanité s’entre-étripe pour piller les récoltes du voisin, on ne peut pas dire que la guerre soit un évènement. Sauf quand on la prend sur la gueule, même si on n’a pas choisi son camp, même si l’ayant choisi on a des questions sur ce qu’il s’est passé réellement pour en arriver là.
Mais s’il fallait tenir compte de l’avis de tous les mécontents, des chipoteurs, de tous ceux qui doutent...
 Tiens, demandez à Macron et son 49/3  !
Que le Monstre en Spaghetti Volant vous touche de son appendice nouilleux
Ramen

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