Derrière le mur

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 6 min.

L’inconnu contourna l’immeuble en voiture et puis, à pied. Au premier coup d’œil, le quartier n’avait pas vraiment changé. Dans les détails, peut-être, dans les parfums. A la fenêtre du living, une affiche annonçait que l’appartement était bien à louer comme l’annonçait le journal « Le Soir » à la rubrique « Petites Annonces »
L’affiche annonçait que pour tous renseignements, il suffisait de sonner au premier étage. Le propriétaire habitait juste au-dessus. C’était une mauvaise nouvelle qui fit grimacer l’inconnu. Le propriétaire était un petit homme rond et affable.
- Bien sûr qu’il est possible de visiter ! Aujourd’hui ? Maintenant ?
- Oui, maintenant.
- Veuillez me suivre, cher Monsieur.
L’inconnu suivit le propriétaire dans l’appartement du rez - de- chaussée. Il savait que tout se jouerait dans les secondes à venir. Une seule erreur et tout serait fichu. Quand ils pénétrèrent dans l’appartement, l’inconnu se sentit mal parce que tout avait changé. Non seulement les meubles avaient disparu mais même les murs n’étaient plus à leur place. Il fit un effort terrible pour ne pas défaillir et, pendant quelques secondes, il prit appui contre le chambranle de la porte. Rien n’était resté comme dans son souvenir. Un mur récemment construit barrait à présent l’entrée de l’ancienne cuisine. Une nouvelle cuisine flambant neuve à l’américaine avait été montée devant le mur. L’inconnu fit semblant de s’intéresser aux longues explications du propriétaire sur le loyer, la garantie, les charges et sur le matériel tout récent de la cuisine. C’est alors qu’il commit sa première erreur.- Vous avez construit un mur là.
Le propriétaire le foudroya du regard :  "Comment le savez-vous ?"
L’inconnu s’en sortit en parlant de l’état quasiment neuf du mur aux briques apparentes en comparaison avec la vétusté des autres. Apparemment le propriétaire n’y vit que du feu. Il sortit le contrat de bail que l’inconnu prit le temps de lire pour donner le change.
- Vous signez ici, ici, là et là, cher Monsieur.
- Très bien.
Les deux hommes décidèrent de se revoir dans un mois. Le temps de réfléchir.
- Vous recevrez les clefs dès le paiement du premier loyer.
- C’est tout naturel.
Satisfaits, le bailleur et le futur locataire se séparèrent sur le seuil de l’immeuble.
L’inconnu reprit sa voiture et rentra chez lui, se reposer.
Il était 23h30 quand il gara sa voiture devant l’immeuble. L’appartement du premier étage était encore éclairé. Il patienta en écoutant la radio. Il patienta longtemps. Soudain, les lumières du premier étage s’éteignirent. Il descendit de la voiture sans claquer la portière, sortit de son coffre un sac en cuir et se dirigea lentement vers l’immeuble. Tout à l’heure, il avait remarqué que la serrure de la porte d’entrée de l’immeuble n’avait pas été changée. Il sortit les clefs de sa poche, ses clefs, et pénétra dans l’immeuble. Il n’alluma pas la lumière dans le hall d’entrée ni dans le couloir. Pas nécessaire et trop dangereux.

La serrure de la porte de l’appartement avait été changée. Il l’avait remarqué tout à l’heure mais il avait emporté avec lui du matériel pour crocheter la serrure. Il fallait travailler vite et en silence. Si le propriétaire le surprenait là, devant cette porte, c’était la catastrophe. Il parvint à ouvrir la porte en quelques minutes, presque sans bruit. Ces serrures modernes sont simples à crocheter. Il pénétra dans l’appartement silencieux. Et s’avança jusqu’au mur qui barrait l’accès à l’ancienne cuisine. A présent commençait son travail le plus délicat. Il sortit des outils de son sac en cuir et s’attaqua au mur. Après une bonne heure de travail, il était parvenu à libérer le périmètre d’une brique à hauteur des yeux d’un homme en grattant le ciment. A l’étage, aucun bruit. Il donna un coup sur la brique à l’aide de son marteau dont la tête était protégée par un morceau de caoutchouc pour étouffer le choc. Il avait tout prévu. Il travaillait silencieusement. Toujours aucun mouvement à l’étage. Au troisième coup de marteau la brique frissonna. Au quatrième, elle était descellée. Il aurait pu la pousser dans l’ancienne cuisine mais il craignait que la chute de la brique sur le carrelage ne réveille le propriétaire. Au lieu de pousser la brique dans le vide, il entreprit de la retirer. Cette opération lui prit du temps. A l’étage, rien. Après plusieurs heures de travail, il parvint enfin à faire pivoter la brique et la prendre en main. Quand il l’ôta du mur, un flot de lumière l’éblouit. On aurait dit un écran de cinéma. Elle était là, sa mère, assise dans la cuisine, comme toujours, en train de préparer à manger pour ses enfants. Nourrir ses gosses, les protéger, c’était son combat, son obsession. Il la voyait de dos. Ses longs cheveux noirs attachés comme dans son souvenir. Dans ses bras, un enfant de trois ans, pas plus, dont il aperçut le visage. C’était lui sans aucun doute. Il reconnut sa grosse tête et sa bavette bleue avec un lapin brodé. Elle donnait à
manger à l’enfant et ne se rendait compte de rien. Il aurait bien voulu crier mais la peur de réveiller le propriétaire était trop forte.
- Maman, dit-il d’une voix étouffée à travers l’espace laissé par la brique.
- Maman !
Elle n’entendait rien. Pour qu’elle se retourne vers lui, il songea un moment à faire tomber la brique sur le carrelage mais il ne voulait pas l’effrayer, surtout pas.
- Maman ! cria- t- il.
Elle ne réagit pas mais l’enfant se redressa un peu et l’observa avec attention. Sur son visage apparut un étrange sourire, un sourire plein de condescendance et de mépris. L’homme comprit alors que sa mère appartenait pour toujours à l’enfant à la bavette bleue et que, pour lui, il était trop tard. Il avait laissé passer sa chance il y a longtemps.

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