Digital au travail, quid des travailleurs ?

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Le robot agricole de pointe, fabriqué par Sitia, permet d’alléger la pénibilité du travail, de réduire l’usage des herbicides et d’employer moins de travailleurs. Photo © Sitia http://www.sitia.fr/innovation-robotique/plateforme-pumagri/

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Selon une étude de Manpower Group auprès de 20.000 employeurs dans 42 pays, 87% de ceux-ci ne vont pas réduire leurs effectifs de travailleurs mais plutôt engager, en raison de l’automatisation ; car « les robots exécutent des tâches mais n’exercent pas un emploi ». (1)

Plus encore, l’automatisation nécessite la création de nombreux postes à pourvoir, précise la revue Perspective de Proximus. Agoria estime qu’en Belgique il y aurait 584.000 postes vacants non pourvus d’ici à 2030, soit 1 sur 10. Il faut donc impérativement reconvertir 310.000 chômeurs et travailleurs, c’est-à-dire les former pendant plusieurs mois afin qu’ils soient à niveau de la transformation digitale. Et les travailleurs qui gardent leur poste devront eux-aussi passer au recyclage obligatoire. Le slogan est « Activez ! » : activer les personnes sans emploi, encourager la migration économique, travailler plus et plus longtemps, adapter les formations à la demande.

Voilà qui ressemble à la transformation progressive d’êtres humains en robots. Car l’article précise : « l’employabilité des travailleurs ne reposera plus sur leurs compétences, diplômes et expériences actuels mais sur leur capacité et leur volonté d’acquérir les aptitudes qui seront nécessaires à l’entreprise. » Idem pour les dirigeants d’entreprise : « le leader digital doit accepter la possibilité d’un échec précoce. Il doit promouvoir l’apprentissage au sein de son équipe, accélérer le travail et favoriser l’autonomie. »

Ce petit mode d’emploi à l’usage des dirigeants de maintenant - s’ils veulent garder leur place pour demain - est accompagné d’un petit tableau récapitulatif : le travailleur d’hier rassemble des informations et celui de demain partage des informations (pourtant il doit d’abord les rassembler ou alors ce sont les IA qui le feront pour lui ?) ; il ne travaille plus bêtement de 9 à 17 h à son bureau mais où et quand il faut (donc partout et tout le temps, bonjour la création d’un esprit d’équipe et d’une harmonie familiale…) ; on n’a plus besoin de ses connaissances mais on met l’accent sur l’apprentissage (à quoi sert l’école et la formation générale ainsi que  l’éducation permanente qui favorise l’esprit critique ? En fait, on ne discute pas la gouvernance numérique.) ; le travailleur utilisait les appareils de son entreprise, plus tard il devra utiliser tous les appareils (qu’il aura lui-même achetés et dont il devra sans cesse payer l’obsolescence programmée ?) ; avant, il grimpait les échelons de manière traditionnelle ; à présent, il crée ses propres échelons… Mais il y aura toujours un(e) chef, un(e) sous-chef(fe), un(e) chef(fe) du personnel (j’ai horreur du terme « directeur (trice) des ressources humaines. je suis une personne pas une ressource !)

Tout cela car les consommateurs veulent obtenir tout ce qu’ils veulent 24/H sur 24, nous assène un autre article de cette revue… Qui les a habitués à cela, sinon les entreprises et leurs fausses promesses, les illusions qu’ils nous inculquent à grand renfort de publicités ciblées? Les entreprises n’ont pas le choix : selon une étude du MIT (Massachussets Institute of technology) celles qui mutent en digital sont 26% plus rentables que leurs concurrents car elles plument bien plus vite leurs clients qui achèteraient 90% plus souvent et dépenseraient 60% de plus…  Qui va pouvoir dépenser à ce rythme ? Certainement pas le client qui a perdu son emploi et qu’on n’arrive pas à « activer » ni à « recycler »…

La preuve, dans la même revue : n’envisagez pas d’aller garder de poules ni traire des vaches : « L’agriculteur robotisé » est le titre d’un des articles. Car il y a pénurie de main d’œuvre, personne ne veut effectuer un boulot pénible. Les candidats à l’agroécologie, au retour du cheval de trait et à l’abandon des pesticides divers devront attendre leur tour. On lit : « Les agriculteurs semblent avoir trouvé leur salut dans la robotique et les capteurs de dernière génération. La combinaison du machine-to-machine, de l’Internet of things et de l’intelligence artificielle a donné naissance à des possibilités inédites d’optimalisation des processus de culture sans intervention humaine. » Par la grâce du géomapping et des drones, l’avancement des cultures et leur maturité seront suivis par des capteurs et dès que nécessaire des robots récolteront les fruits ou faucheront les blés, les vaches seront traites et les moutons tondus par des robots. Vive la campagne numérique. Comment les agriculteurs paieront-ils tout cela puisque leur problème de financement vient du chantage impitoyable de la grande distribution qui diminue sans cesse les prix au détriment des producteurs ? Pas de réponse à cela dans cette revue à la gloire de l’ère digitale, manifestement inspirée par les textes que l’on trouve sur le site du Forum Economique Mondial de Davos.

Face à ce qui apparaît comme un rouleau compresseur numérique, rêvons de coopératives new look, d’associations, de mutuelles, d’autogestion. Bref, de démocratie du travail (et au travail !), de temps de travail au sens où l’on prend son temps y compris celui de créer, de rêver, de communiquer…

1. Proximus, revue « Perspective », édition 10 de 2019.

Le Colloque de la Laïcité : « IA, mon boss ou ma camarade de travail ? »

Toutes ces questions vous interpellent ? Vous trouverez des réponses et des pistes de réflexion lors du 32ème Colloque de la Laïcité, le 7 mars 2020 de 9 h 30 à 17h au Château du Karreveld à Molenbeek-Saint-Jean.

09h00 Accueil des participants.

09h30 Mot de bienvenue par Hermine Thirion, présidente de AML Molenbeek. Discours d’accueil par Catherine Moureaux, bourgmestre de Molenbeek.   Introduction au débat et présidence de la session : Gabrielle Lefèvre, directrice scientifique du colloque.

09h45 Charles Susanne : « L’intelligence artificielle (IA) est-elle le contraire de l’idiotie naturelle ? »

10h00   Anne Goldberg : « Qu’apporte l’IA dans l’industrie? Quelles sont les technologies émergentes? Comment le monde de l’entreprise soutient une innovation responsable. »

 10h30 Échange avec des jeunes.

10h45 Pause-café.

11h00 Pierre-Paul Maeter : « Quelle sera la qualité des emplois du futur ? Quel statut donnera-t-on à l’activité, principalement dans le secteur non-marchand et celui de l’aide aux personnes ? Que faire face à la marchandisation et à l’individualisation du travail, quel sera l’impact sur la santé des travailleurs ? »

11h30 Échange avec des jeunes.

11h45 Débat général avec le public. 

12h45 Lunch.

14h00 Mateo Alaluf : « Que faire face au non-travail ? Allocation universelle ? Sécurité sociale ? Et comment financer notre système de redistribution des richesses et de justice sociale ? Quel sera le rôle des syndicats et des mutuelles ? Et celui des mouvements citoyens ? »

14h30 Estelle Ceulemans : « Quel regard syndical face à l’IA au sein de l’entreprise ? »

14h45 Isabelle Jespers : « Le défi qui est posé au monde enseignant : se soumettre aux demandes des décideurs économiques ou lancer dans la vie des citoyens critiques et solidaires ? Forger une culture du non-profit, de la solidarité, de la coopération. »

15h15 Échange avec des jeunes.

15h30 Débat général avec le public.

16h30 Edouard Delruelle : Conclusions et pistes de réflexion.

17h00 Verre de l’amitié

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