En pensant au passager Jozef Chovanec

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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La vidéo, que révèle-t-elle vraiment? Au-delà des images, il faut aller au bout de la vérité en poussant l'instruction le plus avant possible. Parce que c'est une question de démocratie, comprendre est indispensable.

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J'ai beau faire, tenter de penser à autre chose, mais toujours me revient cette histoire dont tout le monde débat, alors que l'instruction en cours semble sans fin, je veux parler de  la disparition du passager Jozef Chovanec, à  Brussels South Charleroi Airport, un jour de 2018. Tant a été dit que j'ai envie d'effacer ce que je suis en train d'écrire, texte dérisoire, au fond, certainement incomplet. Mais je m'y tiens, parce qu'un sentiment d'impuissance et d'effroi m'envahit. Je pense à la veuve et aux enfants de cet homme de 38 ans, qui allait s'envoler vers la Slovaquie et s'est retrouvé dans une pièce de l'immense coquille qu'est un aéroport. Un univers en soi. Avec un côté décor de théâtre, où on passe les contrôles, côté scène, pour se diriger vers les avions. En coulisses, d'autres gens s'activent. Des milliers de gens, dévoués à autrui, et, parmi eux, des policiers fédéraux affectés spécialement à ces gares du ciel où l'on monte dans un Airbus comme on grimperait à bord d'un tram. 

Alors je me demande de quel problème souffrait ce voyageur dans la foule. A quelle angoisse était-il en proie? Je m'interroge sur la conduite des policiers qui intervinrent, semble-t-il pour le calmer. Comme tout le monde, j'ai vu et revu jusqu'à la nausée la vidéo où cette jeune femme en uniforme fait le salut nazi, apparemment étrangère à la scène en train de se dérouler. Et qui finit, à l'hôpital Marie Curie, à Charleroi, par la mort de M. Chovanec. Cette vidéo m'apparaît comme un reflet incertain d'une réalité que je ne parviens pas à saisir, que je ne comprends pas, que je ne reconnais pas. Ces policiers, manquaient-ils des moyens nécessaires pour traiter le passager selon son problème?  Où était passée leur humanité? Avaient-ils oublié de ce qu'ils avaient appris à l'académie de police, à propos des droits de l'Homme? Ou las, fatigués, allaient-ils comme des moutons de Panurge, sans réfléchir à leurs actes mécaniques? Je n'en sais rien, je m'interroge, c'est tout. Je ne les connais pas, forcément. J'aurais pu être à leur place, qui sait? 

Mais j'attends que la vérité, - quelle qu'elle soit - malgré toutes les entraves qui marquent son chemin, sera établie sur cette mort qui revient comme en écho de l'étouffement de Sémira Adamu. Lors des funérailles nationales de cette réfugiée, Toots Thielemans avait joué "Ne me quitte pas" à Ste Gudule, devant la foule au coeur lourd. Il la faudra, la vérité,  parce qu'un jour on empruntera ces couloirs de l'aéroport de Charleroi-Gosselies, si innocents en apparence. Seule la vérité fera reculer cette vision de cette possibilité, celle d'être extrait du flot des passagers, emmené dans une pièce annexe, derrière un panneau, et de sortir du décor démocratique. On pensait que cette déviation de la norme était l'apanage d'états où le droit n'est pas la norme. Par on ne sait quel détournement du quotidien, il est démontré ici que le droit risque de s'effacer pour laisser libre cours à l'obscurantisme. On n'est jamais à l'abri.

La prochaine fois que je me dirigerai vers un avion à BSCA, je penserai à Jozef qui rentrait chez lui et ne revint pas. Quel qu'ait été son comportement, quelles que soient les explications, il faudra aller au fond de cette tragédie pour en comprendre les mécanismes, et, peut-être, en tirer une manière d'être plus solidaire, plus consciente. On est tous concernés. Le passager Josef était européen, voyageait en Europe, et il a fini, dans la foule,  comme un être sans identité, livré à un mécanisme implacable et, quelque part, absurde. 

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