Enseigner l'éthique de la transgression

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
le

Photo © Laurent Berger

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S’il est nécessaire d’envisager l’importance de la règle choisie, acceptée, légitime, il est tout autant important d’apprendre à transgresser. Donc, de faire comprendre aux élèves que la transgression intelligente et créatrice peut exprimer un système de valeur qui désire s’affirmer contre un autre système qu’il s’agit de dépasser. Le pédagogue, que j’apprécie, continue au-delà des contraintes administratives, à défendre l’imagination et la désobéissance responsables. Un enseignement se limitant trop souvent à la production de tâches mécaniques, à l’obéissance aux consignes qui visent la suprématie de l’objectivité au détriment de la personnalité et de la subjectivité, sépare les élèves de la créativité. Reproduire serait donc l’obsession actuelle visant à l’évaluation permanente au détriment du neuf, de l’innovation. Pourtant, certaines entreprises avancées redonnent de la valeur à la création par l’apprentissage du lâché prise. Dans le mot, il existe le mot trans qui permet au créateur d’être dans son propre espace temps sans qu’aucune pression extérieure ou intérieure ne le dévie de sa trajectoire, de ses propres projets à la fois individuels et collectifs. 

Transgresser, c'est en quelque sorte franchir un cadre éthique ou moral que l’on estime rigide, limité. Un cadre qui affirme qu’il faut faire tout comme ça parce que cela a toujours été ainsi. Transgresser contre le statut quo, contre c’est comme ça  pas autrement, on l’a toujours fait, ainsi vont les choses. Transgresser, c’est vouloir entrer dans un autre espace temps. C’est comprendre que le cadre peut bouger se transformer comme les électrons libres parce que tout ce qui vit évolue, change.
Après les séquences pédagogiques, les tâches problèmes, voici venir la mode des unités d’apprentissage qui découpent, segmentent, divisent le temps de manière arbitraire, avec l’obligation de noter tout le faire à faire dans un découpage où doit être justifié pour amener les élèves à la réussite de ce qui est demandé: à savoir reproduire et non pas à se dépasser. La primauté du savoir faire sur le savoir être découpe l'être humain du goût de l'innovation. 

Transgresser, c’est ne pas se conformer à des règles considérées comme acquises, intégrées et acceptées de tous, c’est franchir une limite, une ligne interdite, lorsque notre liberté de conscience l’exige.La désobéissance responsable s’accompagne toujours d’une obéissance. Antigone a désobéi à l’ordre masculin en obéissance à la loi naturelle et sacrée des rites funéraires à respecter. La  transgression intelligente n’est pas un acte nihiliste mais bien un acte où la conscience de l’homme s’affirme, elle est un acte responsable. Comme les militantes anglaises du suffrage universel qui ont connu la prison en désirant un monde plus juste. 

Le malentendu est l’assimilation de la transgression au désordre alors que  c’est bien le pouvoir qui crée le désordre, qui divise, qui détruit tout. La transgression désire l’ordre sans le pouvoir, l’autodiscipline contre la discipline imposée de manière arbitraire, capricieuse, variant selon les intérêts des dominants. La transgression peut vouloir dépasser les lois qui sont des conventions, des coutumes qui changent selon les raisons du pouvoir, afin de retrouver les lois naturelles de notre libre arbitre. C’est cette éthique qui devrait être enseignée à l’école. Sans transgression intelligente, le risque est de ne plus voir surgir que des déviances, des actes nihilistes, des actes non créateurs mais bien des actes désespérés. 

Il faut distinguer la transgression de la déviance, de l’escroquerie. L’innovation, donc l’ émancipation se déclare contre l’ordinaire, la coutume, la légalité, l’ordre établi. C’est au nom d’une conception différente du bien, donc d’une norme convenue, que l’on transgresse. Donc, deux logiques s’affrontent en concurrence, la logique de l’organisation, de la règle, et celle de la création, de l’émancipation. La transgression demande d’abord l’observation, ensuite la curiosité, enfin la capacité à dire non pour affirmer le oui. Une transgression qui ne fait que dire non n’est pas créatrice car elle s’est arrêtée en chemin, elle est amputée. C’est donc une société du désespoir, de la dépression, du suicide spirituel, à savoir dans notre société dite moderne, régulée, que des jeunes se livrent à des actes nihilistes. 

Je dénonce ainsi ce que nous pourrions appeler un suicide spirituel où nous nous soumettons à la loi de la rentabilité et du chiffre. Un monde rationnel où les jeunes n’apprennent plus à se révolter de manière intelligente. La transgression intelligente des sorcières qui soignaient indépendamment de l’ordre des médecins masculins. Notre société rationnellle et bien ordonnée qui assure la légalité n’est-elle pas justement celle qui crée de plus en plus des non valeurs, laissant de plus en plus les hommes dans le désarroi, la passivité.

Il est surprenant de constater que des élèves développent une phobie par rapport à l’école, ils se trouvent dans l’incapacité de s’y rendre. Le phénomène du harcèlement qui existe dans toutes les écoles, quels que soient les milieux sociaux, témoigne d’une société qui se brutalise alors il s’agit bien d’une société du contrôle.

L’erreur a été de croire que la promotion de la raison au détriment d’un irrationnel créateur allait éviter la barbarie. L’organisation efficace et rationnelle des camps de la mort est la preuve que l’omniprésence de la maîtrise de nos passions peut être dangereuse. Il n’ y a rien à espérer d’une culture qui ne perturbe pas, qui ne bouleverse pas, qui n’apprend à pas à reconnaître pour les éclairer. A force de dominer ses passions, à force de fermer le couvercle, le risque est de voir l’explosion d’une violence sauvage. En désobéissant à sa mère, en quittant le foyer familial sécurisant, Rimbaud grâce à ses fugues, est devenu poète de nouvelles métaphores, un poète voyant. 

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Alors pourquoi le radicalisme s'est développé dans nos écoles, dans nos prisons? On semble s'en étonner encore. C'est peut-être parce que l'utilitarisme qui domine l'école actuellement ne permet pas à certains  jeunes de trouver un sens. Ces derniers semblent être bloqués dans un appauvrissement de leur imaginaire, ils ne parviennent pas à ouvrir de nouvelles portes, à entrer dans un autre espace temps, donc à se dépasser, à transgresser comme les électrons libres. 

 

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