Et que revive la politique !

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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L'affiche de recrutement de jeunes candidats au Parlement jeunesse Wallonie-Bruxelles. Sûr que la politique comme cela intéresserait plus de monde !

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Et si notre particratie à la belge était un modèle à bout de souffle ? Trouverons-nous un nouveau souffle grâce à une politique basée sur le débat avec les citoyens, avec les « corps intermédiaires » que sont nos nombreuses associations, syndicats et autres groupes sociaux (y compris les partis d’ailleurs) qui alimentent sans cesse le débat démocratique ?

Il devra être très novateur le souffle politique qui nous permettrait de relever les défis énormes qui nous sont posés, qui dépassent les limites de notre petit territoire pour atteindre celles de la planète.

Il ne faut pas être grand observateur de notre vie politique pour constater que nous sommes entrés déjà dans la période préélectorale, ce qui signifie la grande farce des messages texto, tweets, facebook et autres posts offensifs, vulgaires, simplificateurs, émotionnels et nuls (ici on ne vise pas que GLB !).

C’est aussi le temps du branle-bas de combat des associations, ONG et autres groupements qui font la richesse de notre vie associative et celle de notre démocratie pour autant que nos élus veuillent bien l’écouter. 

« Raviver politique et démocratie » est le thème du numéro spécial de « Politique », la revue belge d’analyse et de débat qui a célébré ses 25 ans d’existence par un numéro spécial paru en mai 2022. Titre : « Alors on débat ? ». Et ces débats sont nombreux vu le fouillis de l’organisation politique belge qui semble inextricable pour le plus grand nombre de citoyens. Seules les communes encore proches des habitants sont un peu mieux connues et encore… Elles sont encore trop le terrain de jeu privilégié des partis à la chasse aux voix, surtout celles des communautés qui y coexistent, et cela au détriment parfois de l’intérêt général de tous les habitants.

Une réforme de l’Etat citoyenne

Et si on redonnait la parole aux citoyens ? La constitutionnaliste Anne-Emmanuelle Bourgaux constate que les six réformes de l’Etat depuis 1970 ont été le fait des « présidents de partis qui, par épuisement (car on négocie souvent dans des châteaux la nuit), produisent un droit de façon très verticale. Il y a peu de monde autour de la table et on conclut de grands compromis, concernant un nombre incroyable de secteurs, de travailleurs, de bénéficiaires de politiques. Ce modèle-là a montré toutes ses faiblesses. », démontre Anne-Emmanuelle Bourgaux. A l’opposé de ce processus « vertical », elle propose la « réforme de l’Etat citoyenne » remettant les citoyens, les secteurs, les bénéficiaires des politiques, les travailleurs au centre du devenir institutionnel, de les impliquer. »

Il s’agit aussi de « remettre les parlementaires au centre du jeu ». Ceux-ci, souvent déboussolés et suivant la discipline de vote de leur parti, sont insatisfaits. Un processus participatif qui les implique réellement pourrait changer la donne. La technique des panels citoyens a été expérimentée. On peut aussi recourir, comme en Suisse, à la technique des référendums, y compris dans le cadre de réformes constitutionnelles. Espacer les élections législatives, régionales, communautaires européennes permettrait aux citoyens d’analyser mieux les enjeux et de rouvrir le débat démocratique.

Ainsi, le parlement pourrait retrouver sa vraie raison d’être : l’équilibre entre l’exécutif et le judiciaire, et pratiquer une meilleure analyse des enjeux démocratiques et de l’avenir du pays et de l’Europe dans le monde.  Le modèle suisse est analysé plus en détail par Caroline Sägesser (CRISP) : par l’organisation régulière de votations, les citoyens peuvent approuver ou rejeter des textes législatifs, des modifications constitutionnelles, proposer des modifications. Cela ne fonctionne bien que dans un Etat véritablement fédéral ce qui n’est pas encore le cas de la Belgique où la fédéralisation se fait progressivement « à reculons » en quelque sorte et « sans que les citoyens ne soient convoqués pour choisir les institutions des entités fédérées ou les doter d’une Constitution. La citoyenneté régionale ne s’est pas construite, alors que dans le même temps, la citoyenneté belge s’affaiblissait au fur et à mesure que la prise de décision politique au niveau fédéral devenait de plus en plus opaque, avec un affaiblissement des débats parlementaires à la Chambre, un Sénat sans grande utilité apparente, et des négociations politiques interminables pour construire un gouvernement fédéral. »

Quant au Sénat, qu’en faire ? Pierre-Etienne Vandamme, chercheur en philosophie politique à l’ULB, le voit bien en Sénat citoyen composé de citoyen.nes tiré.es au sort parmi l’ensemble de la population. Cette seconde Chambre relirait des propositions de lois dans certains domaines. Le processus échapperait un peu plus à la discipline des partis et reflèterait davantage la diversité sociale de la Belgique.

Les fonctionnaires sont aussi des experts

Le sociologue Jean-Paul Gailly signe un autre article très intéressant concernant les fonctionnaires de l’Etat, mis à l’écart par des cabinets ministériels devenus pléthoriques et fortement politisés. Ajoutons que la crise de confiance entre l’administration et les ministres est encore amplifiée par le recours par ceux-ci à des cabinets d’experts très coûteux qui, pourtant, ne connaissent pas mieux les problématiques gérées par les administrations. Or, il existe des modèles qui fonctionnent fort bien comme au Danemark où « ce sont des fonctionnaires qui fournissent aux ministres l’assistance technico-professionnelle sur des éléments juridiques, économiques ou sur toute analyse d’impacts techniques d’une politique particulière. » Dans ce système, les directions générales des administrations sont les interlocutrices privilégiées des ministres, souligne Jean-Paul Gailly. (…) « ce sont elles qui organisent cette assistance, délèguent aux autres hauts fonctionnaires de leurs départements, coordonnent le travail. » Les Pays-Bas fonctionnent avec un système similaire. L’avantage est que ces fonctionnaires voient la politique sur le long terme et échappent plus facilement aux pressions des lobbies dont on vient de constater l’effet ravageur qu’ils ont sur nos instances démocratiques.

L’auteur de cet article constate que « l’expertise qui existe au sein des administrations est insuffisamment prise en compte dans les débats publics. » Consulter ces fonctionnaires et permettre le débat en commissions avec eux permettraient peut-être d’éviter les trop nombreux cafouillages dus à la rapidité voulue par des ministres ou des parlementaires, ou simplement, à leur ignorance des dossiers.

Ces fonctionnaires sont aussi des citoyens et, en principe, ils connaissent leurs dossiers.

La vie large

La lecture de cette revue « Politique » est stimulante. Elle nous permet d’imaginer un autre système politique belge, plus démocratique et adapté aux changements profonds que vit notre pays.

Un président de parti vient lui aussi de démontrer qu’on peut avoir une vision large de notre futur, ce qui peut inspirer nos partis politiques mais surtout les citoyens déboussolés par la complexité des enjeux climatiques, énergétiques, sociétaux. Le professeur de théorie politique à l’ULB, Paul Magnette, par ailleurs président du Parti Socialiste, s’est fendu d’un « manifeste écosocialiste » passionnant tant il ouvre des pistes d’actions politiques innovantes et urgentes. Il part en effet du constat que « la politique, orpheline de toute transcendance et revenue des illusions révolutionnaires, avait besoin d’un horizon. La transition climatique nous l’offre. Il nous reste à définir une méthode. » Dans le chapitre « Pour le peuple, par le peuple », Paul Magnette aborde lui aussi la manière d’associer aux discussions politiques « tous ceux qui peuvent exprimer les nécessités écologiques et humaines d’une société donnée ».  « La confrontation des visions respectives des élus, des experts et de citoyens profanes est réputée favoriser un apprentissage collectif. », dit-il. L’élu intègre ainsi de nouveaux éléments d’analyse et de proposition. Tandis que « les experts et les citoyens font l’expérience de la difficile conciliation des points de vue et des propositions entre elles et avec le corpus des engagements constitutionnels, européens et internationaux que notre droit incorpore. »

Le but de cette démocratie revivifiée serait de poursuivre l’évolution politique de nos Etats sociaux où plus de la moitié de la richesse produite est socialisée et redistribuée au travers de mécanismes de la sécurité sociale, de la fiscalité et des services publics. Un rappel fondamental en cette période de résistance de l’ultralibéralisme mondialisé qui a su si bien séduire les populations par les mirages de l ’hyper consommation. Déjà, près de la moitié des postes de travail relèvent du secteur public ou non marchand et échappent donc à la logique capitaliste. Il faut poursuivre cette évolution, « prendre le capitalisme en tenaille » « en multipliant les institutions qui limitent son aire de jeu, et en amplifiant les mécanismes qui le soumettent à la règle démocratique. », écrit Paul Magnette. Celui-ci se réfère plusieurs fois à l’économiste Karl Polanyi, à redécouvrir d’urgence. Il en conclut : « c’est de la résistance à l’extension continue de la logique marchande que découlent les mobilisations écologiques et sociales, les combats contre les discriminations fondées sur le genre ou l’origine ethnique et ceux des victimes de l’exploitation coloniale. Et c’est de la prise de conscience de l’identité de leur intérêt et de la source commune de leur souffrance que découleront les solidarités accrues entre ces luttes. »

Paul Magnette appelle l’Union européenne à abandonner son « absurde gouvernance budgétaire » et les « mécanismes de marché » auxquels elle a trop fait confiance pour s’engager à faire changer les règles du commerce mondial et venir en aide aux pays qui sont le plus affectés par les dérèglements climatiques. « Il faut désormais imposer à l’agenda européen une planification écologique globale, un nouvel ensemble de ressources propres contribuant à réguler la mondialisation (taxe carbone aux frontières, taxe sur les transactions financières, taxes sur la fortune) et jetant les bases d’une sécurité sociale supranationale, dont la garantie d’emploi et le revenu de base pour les jeunes pourraient être les premiers jalons. »

Sous la plume de Paul Magnette, le socialisme renaît de ses cendres sous forme d’écosocialisme. Ce livre, « La vie large » est tout un programme électoral en soi. Il est aussi une leçon d’histoire de l’évolution de nos sociétés européennes où le capitalisme le plus féroce a été bridé par un socialisme basé sur les luttes syndicales et autres.

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Nous sommes à la croisée des chemins. Ce livre représente une base de débats citoyens, quelles que soient les opinions politiques des électeurs.

  • « Alors, on débat ? Raviver politique et démocratie », Politique, spécial 25 ans, n° 119, mai 2022.
  • Paul Magnette. « La vie large ». Manifeste écosocialiste. Ed. La Découverte. Octobre 2022.

 

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