Il n'est rien de plus difficile à dire aux hommes que la vérité

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
le

photo © Laurent Berger

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Lecture 7 min.

Celui qui énonce une vérité est banni, exclu, il gêne, il dérange, il empêche le système de se maintenir. Un système qui est pourtant malade et qui produit de plus en plus de malades. Un système qui nous donne des injonctions paradoxales. Un système qui n’a pas plus de sens et qui devient de plus en plus agressif. 

Un nouveau terme est encore apparu: unité d’apprentissage. On sait que ça ne marche pas sur le terrain mais vous devez quand-même obéir. On sait que ce qu’on vous demande est absurde, on vous demande de l’appliquer. Ainsi, dans une classe de trente élèves vous allez organiser trois groupes avec trois styles d’évaluation différente: une pour ceux qui ont plus ou moins acquis les compétences, une autre qui permet de passer à l’unité d'apprentissage suivante, une dernière pour ceux qui trainent. On réforme pour réformer sans bien sûr vous donner les moyens nécessaires. On vous demande de faire plus dans une situation réelle qui se dégrade. On vous dira bien sûr que vous exagérez, que vous devez prendre quelques jours de repos, que vous êtes en dépression. Vous devez aimer le système même si ce qu’on vous demande de produire contredit vos valeurs. Ne regardez pas les moisissures aux plafonds, détournez vos yeux des infiltrations, il pleut dans votre local, ce n'est pas grave! Habituez-vous à ce qui n'est pas normal! Surtout arrêtez de vous plaindre tout le temps! Il n'y a qu'à! La solution est là! Celui qui cherche la vérité est dangereux dans une société qui organise l'omerta.  

Un système qui détruit progressivement le sens, qui bannit ceux qui cherchent la vérité, qui réprime les lanceurs d’alerte, qui éborgne ceux qui osent encore se révolter contre l’inadmissible. Un professeur est prié d’accepter,en classe, un élève qui n’a pas son dossier de révision sous peine de recevoir un recours. Un professeur a dû rembourser un oiseau mort dans un parc naturel, parce qu’il a été pris en défaut de surveillance. Le professeur a tort et l’élève cruel avec l’oiseau est ainsi déresponsabilisé ! Les situations absurdes sont nombreuses, vouloir les nommer s’avère difficile tant qu’on est dans le déni car la priorité est donnée au maintien de règles qui ne tiennent pas la route. C’est ce qu’on appelle par euphémisme l’estompement de la norme. Vous voici responsable de tout et n’importe quoi! On vous le demande avec le sourire, si les autres obéissent, vous pouvez obéir également! Sinon vous êtes de mauvaise humeur, jouez le jeu, c’est tout ce qu’on souhaite! 

La société du niveau remplace la société qui émancipe. L’identification s’opère rapidement au détriment de la progression. L’organisation remplace l’initiation. L’utilitarisme remplace la poésie jadis considérée comme un art majeur. Les critères pédagogiques théoriques prévalent de plus en plus sur l’expérience des professeurs qui eux sont sur le terrain. Les enseignants sont traités de la même manière quel que soit leur engagement, quelle que soit l’école où ils se trouvent. La dévalorisation du métier d’enseignant s’accroît au fur à mesure que l’école est privatisée, envahie par la publicité, dominée par le langage de l’entreprise. Le prof a remplacé le professeur, le technicien a remplacé le pédagogue, le manager a remplacé le directeur. L’appauvrissement de la langue, la réduction du vocabulaire, le mépris exprimé envers la culture sont les prémisses d’un système totalitaire. La langue bureaucratique et économique s’est glissée dans nos cerveaux endormis. 

Si la jeunesse est privée de tout espoir, de tout projet d’avenir, il n’est dés lors pas étonnant qu’elle se tourne vers le seul langage qu’elle connaisse: celui de la compétition et de la violence. Si l’enseignement se tourne uniquement vers la production et le concret, cette jeunesse sera par conséquent privée de toute abstraction possible. Or l’enseignement de la poésie et de la philosophie permet cette abstraction. La culture permet de supporter  et de mieux comprendre le monde. Mais la laideur qui nous entoure ne nous permet plus de contempler la beauté possible. 

On demande aux enseignants de changer, de s’adapter aux modes, alors qu’ils n’en reçoivent pas les moyens nécessaires et ne rencontrent pas de reconnaissance réelle de leur travail ! Ils veulent bien s’adapter aux nouvelles technologies, mais ils doivent souvent payer leur propre matériel. La lentille de leur rétroprojecteur est encrassée après quelques mois, elle n’est pas remplacée vu son prix. Une classe ne dispose pas de tenture si bien que les élèves ne voient rien sur l’écran. L’analyse de la peinture aura lieu une autre fois ! Il est curieux de constater que l’on demande toujours plus aux enseignants avec la même enveloppe financière  et dans des classes de plus en plus nombreuses avec un public qui n’est plus le même que jadis, avec des réalités sociales et économiques nouvelles. Comme il est aussi curieux de vouloir que les enseignants obtiennent de meilleurs résultats dans une logique d’entreprise et de rentabilité, alors que l’apprentissage exige une formation et une progression lente. Nous ne pouvons pas mesurer immédiatement ce qu’un professeur apporte à un adolescent. L’adolescent lui-même prendra plus tard conscience du rôle qu’a joué l’adulte qu’il a côtoyé dans sa vie : « Monsieur, je me souviens de vous quand vous nous parliez de Camus ! » Camus qui voulait que l’on nomme les choses. Mais on dirait bien que ceux qui le veulent encore risquent des représailles d’une autorité qui ouvre de plus en plus souvent son parapluie! Ils nous vendent le pacte d’excellence dans des bâtiments scolaires qui tombent en ruine. 

Le néolibéralisme est la première idéologie qui me vient à l’esprit quand j’analyse ce qui vient déstructurer l’école. Une ministre de l’éducation s’adresse à une boîte experte en communication pour vendre sa réforme. Les managers sont consultés afin de demander aux enseignants de faire plus avec les mêmes moyens. Les enseignants deviennent donc des ressources humaines à exploiter. L’école est ainsi attaquée, parce qu’elle est peut-être le dernier espace privilégié qui pourrait échapper à la pensée unique du tout économique et du grand marché. Le tout économique s’impose. Le système utilise la stratégie du choc, il engendre volontairement un désordre qui prend l’apparence d’un ordre, il déstructure les services publics: l’école, les soins aux personnes, il met loin de lui les indésirables dans les prisons, s’attaque aux petits délinquants alors qu’il est lui-même délinquant. Ce système engendre la peur et laisse croire aux gens que le privé fera mieux. Pendant ce temps, la qualité des services rendus aux personnes se dégrade. Ainsi les métiers tels que docteur, enseignant, magistrat, infirmier ne sont pas attirants. Alors, les individus se protègent comme ils le peuvent derrière leurs écrans, téléchargent des applications qui les contrôlent.

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