Jane Eyre

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le

© Serge Goldwicht

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Lecture 4 min.

Il est vieux et marche lentement. En rue, les mendiants, les migrants et les autres le voient venir de loin. Aujourd’hui, il pleut et la jeune femme africaine à qui il donne quelques centimes tremble de froid malgré sa couverture pourrie. Il lui propose en français de s’abriter chez lui, à une cinquantaine de mètres d’ici. La jeune femme n’a rien compris car elle vient du Nigéria et ne parle qu’anglais. Ce n’est pas un problème pour le vieil homme professeur de littérature anglaise à la retraite. Il reformule sa question. La jeune femme se lève pour le suivre. Elle est plus grande et plus belle qu’il ne l’avait imaginé. Arrivés dans son appartement, il lui montre sa chambre, : « Faites comme chez vous, je dormirai sur le canapé. ». Il lui sert un verre d’eau et lui prépare des œufs et du pain.Pendant qu’elle mange, il la questionne et elle raconte son histoire. Orpheline, elle a été recueillie par sa propre famille qui l’a considérée comme un être inférieur. Elle y a travaillé comme gouvernante et institutrice et a été martyrisée. Maltraitée par ses cousins, elle a tenté de s'échapper en se mariant mais tous ses projets de mariage ont capoté l’un après l’autre. Sa vie est une impasse. C’est pourquoi elle a fui le Nigéria pour tenter sa chance en Europe Le vieux professeur est ému aux larmes par le récit tragique de la jeune femme mais aussi parce que son destin ressemble presque mot pour mot au destin de Jane Eyre, le roman de Charlotte Brontë qu’il lit et relit sans cesse. Jane Eyre, il adore. Elle est toute sa vie. Il en est persuadé, cette femme est Jane Eyre. Il se la représentait rousse, elle est noire. Il se l’imaginait belle, elle est magnifique. Il a épuisé sa vie à écrire des livres sur Jane Eyre et à donner des cours et des conférences dans le monde entier sur le roman. Même sa femme en a eu marre : « Cette Jane Eyre te rend fou, mon pauvre ami ! ». Et voilà qu’elle apparaît devant lui. La jeune femme déclare s’appeler Cherifa mais le vieil homme ne veut rien savoir et l’appelle Jane. D’après lui, ce prénom lui va comme un gant. Le vieil homme annonce à Jane qu’à partir de ce jour, si elle le veut, elle peut vivre avec lui dans son appartement. Soulagée, la jeune femme accepte. Quitter la rue, elle en rêvait. Cà fait longtemps que le vieillard n’a plus partagé ses jours avec une femme aussi belle et sensuelle que Jane. Avec le temps, il se prend à espérer devenir Rochester, l’homme qui épouse Jane Eyre à la fin du livre. Sa Jane à lui squatte la salle de bain pour y prendre douches sur douches : « La rue est si sale. Je ne supporte plus mon odeur ! ».

Plusieurs fois, le vieil homme a tenté d’apercevoir la beauté africaine nue à travers le trou de la serrure de la porte de la salle de bain. Tous les jours, il lit et relit le roman de Charlotte Brontë en se persuadant que la femme qu’il héberge est Jane Eyre et qu’il est Rochester. Très vite, il tombe amoureux de cette femme belle et élégante qui a bouleversé sa vie.

Six mois s’écoulent sans qu’ils s’en aperçoivent. Tous les soirs, le vieillard lit des passages de Jane Eyre à la jeune femme ravie. Un matin, on frappe à la porte. Le vieil homme laisse le roman grand ouvert sur la table et va ouvrir. C’est la police. Un agent lui annonce qu’un voisin l’a dénoncé. Il cache une Africaine sans papier chez lui. C’est illégal.

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Le vieil homme est abasourdi. Il comprend seulement qu’on veut lui arracher son amour. Il panique et son premier réflexe est de tout nier. Le flic veut entrer dans l’appartement pour vérifier. Le vieillard, vaincu, laisse faire. Le flic passe toutes les pièces en revue, de la chambre à la salle de bain mais il ne trouve pas Jane car elle a disparu. Le vieil homme n’ose pas regarder le livre ouvert sur la table de peur de donner des idées au flic. Il ne songe pas une seconde qu’aux yeux du policier, ce livre n’est qu’un livre et pas l’endroit où s’est dissimulé Jane.

Le vieil homme reprend sa vie solitaire. Il lit et relit Jane Eyre, surtout le passage où elle épouse Rochester. Ah, s’il l’avait rencontré plus jeune ! A l’âge de Rochester, sa vie aurait enfin commencé.

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