La morale selon Paul Klut

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Renaud Leclercq (à gauche) et Jean-Louis Leclercq, vagabonds complices, emmènent les spectateurs de l'autre côté du miroir, là où le rire, en filtrant la lucidité, force à réfléchir sur ce monde de fous qui est le nôtre. Photo © SD.

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Certaines répliques trottent en tête, obsèdent, reviennent en force au fil des jours. L'autre soir, en poussant la porte du centre culturel d'Anderlues, pour assister au spectacle portant ce titre bizarre, "Le Grand Foire", je ne m'attendais pas à une telle virée. En scène, deux comédiens. Le père et le fils. Sûr, ils ont des traits communs. A commencer par un humour funambule cheminant sur le fil du quotidien, sur le mode décapant, force Harpic. Car ils piquent, ces diables de causeurs. L'aîné, Jean-Louis Leclercq, dans la peau du nommé Paul Klut, monte à la tribune pour un discours politique qui dérape, se rétablit, fait mouche, emmène le public comme les moutons de Panurge, en rigolant à gorge déployée. Quand l'absurde s'imprègne de raison, il s'impose. Face à Jean-Louis, Renaud, alias Maurice le Sancho de ce Don Quichotte, sort de l'ombre pour exécuter un rap qui pousse à se lever et à danser la gigue en se demandant ce qui nous prend. Bref, à Anderlues, les gens ont vite compris que la soirée ne serait pas ordinaire. Du comique à la sauce super banzaï, la plus forte qui soit servie dans les meilleures baraques à spectacles du Royaume.

La mise en scène de ce duo de fabulistes est signée Martine Willequet. A la régie et à l'éclairage, Luc Jouniaux retrace les silhouettes des artistes qui se donnent un mal de chien pour secouer un public qui ne demande que de se changer les idées. L'assistance, si elle n'était pas aussi nourrie - à part les bols de chips pour faire passer les chopes - qu'en la salle de la gare de Watermael-Boitsfort, en avait vu passer déjà, des artistes. Avec une préférence pour les comiques car la vie n'est pas rose et qu'il ne faut jamais rater une occasion de se gondoler. Klut,  personnage créé par Jean-Louis Leclercq est cynique, désenchanté, prophétique, moraliste et ramène tout à une blague de comptoir pour ne pas crever de cafard quand il voit la société en proie aux vils tourments de l'extrême droite qui plante ses idées dans trop de têtes qui ne savent plus à quel saint se vouer. 

Donc Paul Klut monte à la tribune pour dire que l'on va droit dans le mur. Il cherche à répondre au "pourquoi" qui vient à l'esprit des quidams qui pensent plus à leurs fins de mois qu'à l'avenir de la planète. Chemin faisant dans sa réflexion, il se lance dans des commentaires qui finissent par déboussoler le public, de vanne en vanne, de pensée profonde en idées loufoques. On ne se risquera pas ici à essayer de résumer le propos du grand Klut. Le commentaire est une pirouette qui évite cet effort. Bref, le grand homme serait la somme des travers de toutes sortes de personnalités qui occupent les tribunes mondiales et locales. Ah le pouvoir! Klut/Leclercq joue avec les mots. Finit par leur faire dire des choses qui marquent mine de rien. Ainsi, quand il fait le portrait du brave gars qui héberge des réfugiés afghans dans sa cave, qui leur donne du boulot en noir et leur pique leurs sous, sans se départir de sa bonne conscience, on se souvient d'une remarque ou l'autre entendue de gens si braves mais qui ont de moins en moins peur de dire qu'ils sont racistes, parce qu'au fond, on en a marre des droits de l'humain quand on craint pour le lendemain...

Vers la fin, le public se demande comment il se retrouve debout, face au grand Klut, qui lance "Camarades, nous f'rons front" en se tapant le poing sur le ciboulot. Et chacun, chacune, de se taper le front. Soutenu par son clown blanc, le grand politique incite à la solidarité et à la vigilance. "Nous f'rons front", contre quoi? Tout. Par exemple l'interdiction, au théâtre, de couper son gsm, intolérable atteinte à la liberté. Ou pour que toutes les clés de toutes nos maisons, voitures et coffres de banque, soient identiques, car ce serait tellement plus pratique. Ou pour que les religions incompatibles s'unissent en gommant les différences qui les distinguent et sèment la discorde. Tout à la fin, ce grand pudique qui se méfie comme de la peste de la guimauve des bien pensants de tout poils, appelle l'assemblée à faire front contre les semeurs de fausses valeurs. Le tout emballé dans un geyser de jeux de mots, attitudes matamoresques, avec, toujours en contrepoint, le brave Maurice qui tente en vain de placer son mot. Qui aura balancé sa silhouette avec une élégance comique et poétique dont dont on se souviendra. Vous savez quoi? Allez écouter "Le Grand Foire", c'est dingue. Dingue, y a pas vraiment d'autre mot. Faut l'voir pour le croire. 

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