Le Coran, ça marche?

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Par | Penseur libre |
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Où va le livre? Et, d'ailleurs, où va cette chose archaïque qu'on appelle journal, magazine, que sais-je?

Dans un petit livre auquel il faudra un jour revenir, Post-Digital Print - La mutation de l'édition depuis 1894 d'Alessandro Ludovico (2012, éd. B42) se trouve reproduite une carte du monde indiquant à quelle date les journaux auront totalement disparus du champ de bataille: au Danemark, ce serait en 2023, en Belgique, faut attendre 2026 paraît-il, en Allemagne, 2030, en Russie, 2036, etc.

Moi Tarzan, toi Houellebecq

C'est à prendre avec une pincée de sel. Plus aucun journal aux États-Unis en 2017, ou en Grande-Bretagne en 2019, comme prétend la planisphère? Nostradamus a fait mieux.

Mais là-dessus, à la mi-décembre 2018, l'annonce de la cessation des activités des éditions Luce Wilquin, fondées en 1992 avec quelque 550 titres à leur actif, dont beaucoup de signatures belges et plusieurs primés. Ce qui frappera sans doute l'une et l'autre, c'est que l'entreprise, arrêtée pour motifs de santé, n'a trouvé aucun repreneur. L'investisseur, pour nommer le fripon par son nom, est resté aux abonnés absents.

Que vient faire ici le Coran? Il est là juste pour accrocher l'attention. Un texte doit avoir un bon titre, dit-on, et même une photo alléchante, va falloir que j'en trouve une. (Le Coran, c'est à prendre au sens générique de livre, le petit livre chéri, al-kitâb comme suggère bien son petit nom, sujet des présentes divagations.)

Bon, dans le même temps il y a le tam-tam autour de la sortie prochaine du nouveau Houellebecq1. Tirage: 320.000 exemplaires, informe La Libre du 21 décembre, précisant que le roman précédent s'est écoulé à 800.000 et que pour l'impression 2019 on n'en est qu'aux projections "initiales". Donc, le livre, la chose imprimée, ça va.

Elle Elsa, lui Denis

Pas pour tout le monde. Rendant compte d'une étude sur le secteur de l'édition en France entre 2007 et 2016, Le Monde souligne que, dans un paysage caractérisé par la surproduction et la mévente (diminution d'un tiers des exemplaires vendus), la moitié environ des gens de plume gagne moins que le smic2.

On n'est plus au temps de Diderot. En ce temps-là, rappelle l'encyclopédiste, le plan comptable de l'éditeur misait sur une durée de dix ans pour écouler un titre sans y perdre des plumes3. Sur dix ans, le terme de "rotation" n'a plus guère de sens. Il y dit plein de bonnes choses, Diderot, et par exemple que "la condition d'un peuple abruti est pire que celle d'un peuple brute".

Il pensait sans doute à l'américanisation du monde - enfin, on peut penser que c'est ce qu'il aurait fait s'il vivait à notre époque, le Diderot. Ça nous est tombé dessus peu après la Seconde Guerre mondiale. Elsa Triolet raconte cela aux premières loges lorsqu'elle note, au lendemain de la victoire des Alliés, que les devantures de librairie évacuent les auteurs de la Résistance pour faire place à la déferlante "Made in USA"4.

On prend un récent Supplément littéraire du journal Le Monde, fin décembre 2018, et il y a 14% de livres étatsuniens (cela monte à un livre sur quatre à l'intérieur du domaine étranger). Idem dans le palmarès publié le 13 décembre 2018 par Le Vif: sur les dix meilleurs ventes de romans dans les librairies sélectionnés, c'est quatre français pour quatre étatsuniens. C'est à peine moins désastreux au rayon du "marché des idées": celui ou celle qui a aperçu un essayiste russe, chinois ou indien sur les tables des libraires, merci de lever la main.

Je dis ça, je dis rien.

1Pour reprendre de plus belle lorsque, le 27 décembre, Le Figaro et Le Monde, Le Soir et La Libre, se donneront le mot pour mettre l'islamophobeⓉ et europhobeⓉ romancier à la Une...

2Le Monde, 9 novembre 2018.

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3Denis Diderot, Lettre historique et politique à un magistrat sur le commerce de la librairie, 1767, éditions Allia, 2012. Une délicieuse petite chose.

4Elsa Triolet, L'écrivain et le livre, éditions Aden, 2012.

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