Le Covid-19 dicte le rythme européen

Les calepins

Par | Penseur libre |
le
commentaires 0 Partager
Lecture 18 min.

Mercredi 1er avril

          (Cette année, Poisson d’avril ne comporte qu’un seul  s  )

 Les papys font de la résilience. Boris Cyrulnik a montré le chemin. Des itinéraires se balisent. L’Europe est malade de son chacun pour soi. Le vieux Delors a senti le danger. Il est sorti de sa réserve. Son cadet, Étienne Davignon, 87 ans, autre grande figure de la construction européenne, monte à son tour au créneau afin de plaider pour une véritable solidarité entre les pays membres face aux dettes qui apparaîtront lorsque la crise sanitaire s’éteindra. Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du Soir, appuie l’appel de Davignon qui s’inscrira dans le réseau Léna ; ce qui signifie que samedi, de nombreux journaux européens fort lus publieront la tribune de l’ancien vice-président de la Commission. Die Welt sera de ceux-là. Angela Merkel en aura donc connaissance. Ce serait naïf de penser que Delors et Davignon, en un discours commun, pourraient influencer la chancelière. Cependant, lui faire prendre conscience qu’elle porterait le coup fatal à l’Union européenne, devant l’Histoire, pour une Allemande venue de l’est, ça, c’est possible. Partant, elle mesurerait l’ampleur du fardeau…

                                                                        *

 Réflexion pour l’après-Covid-19 : « La crise héroïse les travailleurs modestes qui risquent leur vie pour maintenir les services essentiels, à commencer par les personnels de santé, dont le dévouement au bien commun est soudain mis en exergue. Elle suggère une planification lucide du modèle de développement pour sortir des énergies fossiles, une préservation des industries stratégiques qui garantissent la souveraineté nationale (l’industrie pharmaceutique, par exemple, dangereusement dépendante de la Chine pour certains matériels). Elle met surtout en évidence les cruautés de l’inégalité et replace au premier plan la question sociale. (Laurent Joffrin, in Libération, 1er avril 2020)

Jeudi 2 avril

 S’appuyant sur « La Conjuration des imbéciles », le célèbre roman de John Kennedy Toole, Béatrice Delvaux, éditorialiste en chef du Soir, fustige un quatuor de chefs d’État (ou aspirant sérieux) qui mettent à mal le village planétaire. Sans doute d’ailleurs pourrait-on aisément augmenter la liste en y adjoignant d’autres personnalités nuisibles (Viktor Orban par exemple …), moins dangereuses parce qu’à la tête de nations moins déterminantes dans la marche du monde. Restons donc avec Donald Trump, Jaïr Bolsonaro, Boris Johnson et Matteo Salvini. Ces quatre gaillards ont un autre point commun que leur manière loufoque d’exercer leur pouvoir : ils ont tous été élus démocratiquement. Ce ne sont pas des dictateurs. Lorsqu’ils parviendront au terme de leur mandat, ou bien ils s’en iront cultiver leur jardin, ou bien ils solliciteront de nouveau les électeurs. Il importe d’oser affronter la pertinence du suffrage universel (qui n’est âgé que de trois quarts de siècle), sans jamais perdre de vue la fameuse réflexion de Winston Churchill : « La démocratie est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres… » Mais on remarquera que cette phrase, prononcée au Parlement britannique le 11 novembre 1947 (alors qu’il avait été battu aux élections et qu’amer, il ferraillait dans l’opposition contre le gouvernement Atlee …), cet éclat concernait « la démocratie », c’est-à-dire un gouvernement pour le peuple et par le peuple, et que le suffrage universel n’est en définitive que la méthode la plus égalitaire de la faire fonctionner que l’on ait pu inventer.

                                                                        *  

 Réflexion pour l’après-Covid-19 : « La qualité de la vie dépend plus du niveau des équipements collectifs que des revenus individuels. Arrêtons le tout-économique. Ce que nous avons de plus précieux : le système de santé, le système d’éducation. » (Marcel Gauchet, in Le Figaro, 26 mars)

Vendredi 3 avril 

 Une douzaine de personnalités allemandes – parmi lesquelles Daniel Cohn-Bendit, Joschka Fischer et Jürgen Habermas – lancent un appel à la constitution d’un « fonds corona » pour aider les pays membres de l’Union européenne les plus touchés par la crise sanitaire. Il ne s’agit pas de mutualiser les dettes ou de créer des coronabonds, mais à tout le moins de faire preuve d’une réelle solidarité. Cet appel est publié par Die Zeit et Le Monde. Demain, d’autres grands journaux européens qui évoqueront la même position le relayeront sûrement. On peut, sans être trop naïf, penser que Merkel ne souhaite pas pour l’instant, en ouvrant son tiroir-caisse, déclencher automatiquement une gabegie collective. On peut s’assurer qu’elle connaît le risque existentiel planant sur l’Europe en cas de refus de solidarité. Il faut donc rester prudent, et confiant. Sans doute ne faut-il pas aller plus vite que la musique. Pour le moment, c’est le virus qui en dicte le rythme.

                                                                        *

 Réflexion pour l’après-Covid-19 : « Cette épidémie ne doit pas être un prétexte pour bâtir un système de surveillance quasi totalitaire. Le respect des droits et des libertés se fait souvent au détriment de l’efficacité. Mais à quel prix serait cette efficacité ? Quel serait l’impact moral et politique d’un tel renoncement ? La démocratie est un bien fragile et inestimable. Les Grecs l’avaient déjà compris : confrontés à la peste d’Athènes au siècle de Périclès, les citoyens athéniens ont renoncé à prendre des mesures d’exception et ont préféré rester attachés à la démocratie. Méditons leur exemple ! » (Gaspard Koenig. « Toutes les libertés suspendues devront être rétablies intactes et non pas amoindries », in Le Figaro)

Samedi 4 avril 

 « L’Europe aura besoin d’une chose plus que tout : la volonté partagée d’un avenir commun où chacun est solidaire des autres. » Cette affirmation est contenue dans une longue communication d’Ursula von der Leyen, présidente de la Commission. Ce texte capital se retrouvera dans tous les médias européens au cours des prochaines heures. C’est un moment important, une étape cruciale dans l’évolution de la crise corona, qui laisse percevoir une volonté de maîtrise du problème loin du chacun-pour-soi. On ne peut pas imaginer que la belle Ursula ait produit cet engagement sans avoir l’avis, sinon le consentement de son amie Angela. Et on ira même jusqu’à lui pardonner ses farfouilles du début de crise. Á peine commençait-elle à prendre ses marques, survint la sale petite bête. Donc, à la guerre comme à la guerre, et bon travail madame la présidente ! 

                                                                        *

 La peur du plombier polonais n’est plus à l’ordre du jour. Du pays de Chopin et de Polanski arrivent des médecins pour aider leurs confrères en Europe du Sud. Et ils sont les bienvenus… 

                                                                        *

 La petite-nièce de feu John Fitzgerald Kennedy, Maeve Kennedy Mc Kean, fille de feu Robert, et son fils de 8 ans, Gideon, ne sont pas revenus d’une sortie en canoë dans la baie de Cheasapeake. Dès la fin des années soixante, Marcel Mariën avait prévenu : « Tous les Kennedy sont mortels ». Un sacré visionnaire, ce surréaliste enchanteur (qui aurait eu cent ans le 29 de ce mois…)

                                                                        *

 Réflexion pour l’après-Covid-19 : « Nous faisons l’expérience que la Terre peut se débarrasser de nous avec la plus petite de ses créatures. C’est très libérateur : nous sommes enfin libérés de cette illusion de toute puissance qui nous oblige à nous imaginer comme le début et la fin de tout événement planétaire dans le bien comme dans le mal, à nier que la réalité en face de nous soit autonome par rapport à nous. (Emmanuelle Coccia, in Le Monde)

Dimanche 5 avril

 En période de confinement, c’est tous les jours dimanche. Ou lundi. Ou mercredi… Cependant, certains gestes demeurent arrimés dans une routine quotidienne. Ainsi, le samedi, la presse opère un coup de projecteur sur la semaine qui s’achève. On a eu droit désormais aux prédicateurs. Paroles, paroles… C’est à celle ou celui qui décrit le mieux l’après-Coronavirus. « Il faudra… » est devenue la formule futurologique de l’arrogant « Il n’y a qu’à… » Autant il est heureux de découvrir des moments d’inventivité chez les citoyens ordinaires comme chez les artistes, autant il est fatigant, consternant, irritant d’être pollué par les donneurs de leçons qui expliquent ce qu’il adviendra de l’économie, si… Ou qui démontrent que le gouvernement se fourvoiera quand, etc. Il est tentant et légitime de penser à l’après dans le cadre de la vie privée, où l’espoir de se retrouver en famille, par exemple, nourrit le spleen d’un échange par écran interposé. S’agissant du devenir de la société, la circonspection élémentaire commande que l’on s’équipe de balises en provenance de philosophes ou que l’on tente de tirer les leçons des catastrophes d’autrefois. Sans plus. Et que ne renaissent pas non plus – ou pas encore – les basses querelles politiciennes et les reproches des mécontents professionnels. Celles et ceux qui gouvernent travaillent de leur mieux, en conscience, et prennent les décisions qu’ils estiment les meilleures possibles. Quand des militants écologistes ne se félicitent pas de constater que l’air urbain est meilleur depuis que le trafic a été supprimé, quand des ministres libéraux estiment qu’il faudra nationaliser des secteurs stratégiques, mieux vaut s’abstenir de toute perspective futurologique. Et du reste, répétons-le encore : le curseur de l’après, c’est la durée du confinement.

                                                                        *  

 Réflexion sur l’après-Covid-19 : « Je lis dans l’avenir la raison du présent. » (Alphonse de Lamartine)

Lundi 6 avril

(Danton à Sanson : « Tu montreras ma tête au peuple ! Elle en vaut la peine ! » - C’était un 6 avril, en 1794…)

 C’est le jour des collapsologues. De tous temps, les artistes ont imaginé la fin du monde. Cette vision, plus amplifiée au lendemain de la Guerre de 14-18, notamment à partir du mouvement Dada, a connu plusieurs pistes d’expressions au XXe siècle et des démonstrations naquirent autour de l’esthétique du désastre. Il fallait se douter qu’une théorie scientifique allait finir par émerger. Ce fut le cas en 2015 avec la parution du livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, « Comment tout peut s’effondrer » (éd. du Seuil). Ces deux quadragénaires bardés de diplômes (le premier de plusieurs universités belges, le second de Berkeley) ne sont pas des farceurs ou des fumistes mystificateurs. Ils fondent leur réflexion sur des constats objectifs reliés à des faits ou des annonces logiques et rationnelles. Leur théorie, ils l’ont donc appelée collapsologie, mot-valise construit au départ du latin, ce qui lui donne une valeur de sérieux immédiate. Cette science toute neuve a déjà son centre d’études, l’Institut Momentum, et ses adeptes. Parmi eux, bien entendu, des charlatans inondant les réseaux sociaux de leurs « je-vous-l’avais-bien-dit », et des disciples actifs et engagés, comme Yves Cochet , ancien ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement de Jacques Chirac, plusieurs fois parlementaire, qui, à 74 ans, retrouve une nouvelle jeunesse grâce à la crise sanitaire. Considérer la collapsologie, c’est, en politique, aborder deux sujets nerveux : la démondialisation et la décroissance. Autrement dit : plutôt que de réguler le progrès productiviste, le bannir et, au mieux, lui substituer une autre forme de vie sociale. C’est peut-être autour de ces thèmes-là que se bâtiront demain les nouvelles polémiques.

                                                                        *

 Réflexion pour l’après-Covid-19 : « L’utopie ne consiste pas, aujourd’hui, à préconiser le bien-être par la décroissance et la subversion de l’actuel mode de vie ; l’utopie consiste à croire que la croissance de la production sociale peut encore apporter le mieux-être, et qu’elle est matériellement possible. » (André Gorz, Écologie et politique, éd. Galilée, 1975)

Mardi 7 avril

Du temps où il était ministre des Finances, Wolfgang Schäuble avait souhaité jeter la Grèce en dehors de l’Union européenne, avec, bien entendu, l’accord d’Angela Merkel. Il a fallu que François Hollande ferraille pour qu’Alexis Tsipras, le Premier ministre, reçoive finalement l’appui de l’Allemagne (Hollande ne souligne pas suffisamment le rôle fondamental qu’il joua dans ce cadre-là…) Aujourd’hui, président du Bundestag, Schäuble claironne simultanément dans toute la presse européenne sa volonté de voir l’Union se sortir de la crise par un élan de solidarités internes. C’est de nouveau, vraisemblablement, avec l’accord de la chancelière qu’il s’exprime ainsi. Et du coup, Ursula von der Leyen en remet une couche. On croit rêver. Il y a moins de deux semaines, on s’attendait à l’explosion de l’Europe. L’Allemagne s’est rendu compte que la crise sanitaire revêtait un caractère inédit et qu’un autre monde en sortirait un jour… Dont acte.

                                                                        *

 Andrés Manuel López Obrador est président du Mexique. Ce n’est pas un comique inconscient, comme Trump ou Bolsonaro. C’est au contraire un homme d’expérience, réfléchi, lucide quant à ses responsabilités. Il est montré du doigt parce qu’il n’ordonne pas le confinement de son peuple. Peut-être se trompe-t-il. Mais pour l’heure, sur 130 millions d’habitants, il y a au Mexique 200 personnes infectées par le Covid-19 et zéro mort, c’est-à-dire une proportion dérisoire par rapport, par exemple, aux Pays-Bas où le Premier ministre Marc Rutte s’obstine à ne pas interrompre la machine économique. Les États-Unis sont devenus l’épicentre de la pandémie. Il n’est pas impossible que des citoyens de l’Arizona, du Texas ou de la Louisiane aient envie d’aller passer quelques jours au Mexique, le temps que la crise dépasse son pic et s’apaise. C’est impossible : Trump a bâti un mur frontalier.

                                                                        *

 Parmi les esbroufeurs qui se plaisaient à ironiser bêtement sur le coronavirus figurait le Premier ministre britannique Boris Johnson. Il est désormais aux soins intensifs. Derrière ses foucades de charlatan, Trump doit sûrement prendre des précautions sous les conseils de ses médecins. Dans la même bande, on pourrait s’attendre à ce que Bolsonaro finisse lui aussi par être contaminé tant les fanfaronnades de ce hâbleur paraissent ridiculement provocatrices. De l’autre côté de la planète, leurs équivalents jouent prudence, petit bras et silence radio. Vladimir Poutine et Recep Erdogan ne sont peut-être pas confinés mais ils sont aux abonnés absents.

                                                                        *

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

 Réflexion pour l’après-Covid-19 : « Nous sommes coincés par des exigences managériales et gestionnaires - consistant, en gros, à réduire les coûts au maximum – qui font que nous sommes peut-être hyperadaptés à l’environnement mais que, si l’environnement change, on n’a aucune option. J’espère donc que Covid-19 aura valeur de révélateur et qu’on en viendra à un capitalisme de créativité. Et de générosité. » (Pascal Picq, paléo-anthropologue au Collège de France. « On a cru qu’on était sorti de l’Evolution », in Le Soir)

 

commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte