Le droit d’être cathophobe ou islamophobe

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Le combat des dessinateurs de presse pour la liberté d'expression. Dessin de Kianoush.

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La France s’enfonce encore une fois dans une querelle entre intellectuels dont elle a le secret. Mais ce genre d’échanges passionnés est encore intensifié par les réseaux sociaux sur lesquels certains intervenants s’excitent sur quelques mots sans même prendre la peine de vérifier la totalité d’un texte, la subtilité d’une pensée, le déroulement d’un raisonnement.

Ainsi, le philosophe français Henri Peña-Ruiz s’est vu traiter de raciste parce qu’il avait prononcé la phrase : « On a le droit d’être islamophobe. », lors de son discours sur la laïcité aux #AMFIS2019, à savoir l’université d’été de La France Insoumise. Voici sa phrase complète : « Le racisme, qu’est-ce que c’est ? Mise au point : c’est la mise en question des personnes pour ce qu’elles sont. Mais ce n’est pas la mise en question de la religion. On a le droit, disait le regretté Charb, disait mon ami Stéphane Charbonnier, assassiné par les frères Kouachi en janvier 2015. On a le droit d’être athéophobe comme on a le droit d’être islamophobe. En revanche, on n’a pas le droit de rejeter des hommes ou des femmes parce qu’ils sont musulmans. Le racisme, et ne dévions jamais de cette définition sinon nous affaiblirons la lutte antiraciste, le racisme c’est la mise en cause d’un peuple ou d’un homme ou d’une femme comme tel. Le racisme antimusulman est un délit. La critique de l’islam, la critique du catholicisme, la critique de l’humanisme athée n’en est pas un. On a le droit d’être athéophobe, comme on a le droit d’être islamophobe, comme on a le droit d’être cathophobe. En revanche, on n’a pas le droit d’être homophobe, pourquoi ? Parce que le rejet des homosexuels vise les personnes. On rejette des gens pour ce qu’ils sont, et là on n’a pas le droit de le faire. Le rejet ne peut porter que sur ce qu’on fait et non pas sur ce qu’on est. »

Tout est dit, clairement. Le philosophe l’a réexpliqué lors des conférences proposées à Liège à l’occasion des cinquante ans de la laïcité organisée belge francophone.

De la peur à la haine

Il reste que l’usage des mots est sans cesse déformé. Littéralement, islamophobie signifie : la peur, la crainte de l’islam, donc de la religion. La haine des musulmans (donc des personnes) pourrait être nommée « misomusulman » (comme on peut être misogyne !). Mais la pratique langagière a tout mélangé et l’islamophobie est devenu le concept intégrant à la fois la peur de la religion mais aussi le rejet des musulmans comme l’antisémitisme est une haine des juifs. On devrait donc dire « antimusulman » et garder islamophobe dans sa première acception. Mais allez changer ce qui est devenu une mode, un prêt à penser, instrumentalisé non seulement par les racistes et les tenants des idéologies d’extrême-droite mais aussi par les intégristes musulmans. Ces derniers discréditent sans cesse la critique légitime d’une religion. Des associations juives sionistes ont fait de même avec l’antisémitisme en diffusant dans toute l’Europe et au Parlement européen la notion de critique d’Israël comme étant de l’antisémitisme ; ce qui équivaut à détruire une de nos libertés fondamentales : la liberté de pensée et d’expression, le droit de critiquer une politique, un Etat, des gouvernements sans être automatiquement attaqué pour racisme.

Donc, on ne peut être taxé d’antimusulman quand on prononce une critique de l’islam, d’un Etat ou de gouvernements musulmans car on n’attaque pas des personnes en tant que telles ce qui, pour le coup, serait du racisme.

Ce qui est bien réel et bien compréhensible, c’est la peur des intégristes musulmans surtout après les horreurs des attentats terroristes qui ont frappé durement quantité d’innocents jusque dans nos villes.

« J’ai perdu ma liberté »

A Liège, Zineb El Rhazoui, journaliste, écrivaine franco-marocaine, autrice de « Détruire le fascisme islamique », était journaliste à Charlie Hebdo où la majorité de la rédaction a été décimée par l’attentat du 7 janvier 2015. A cause de ses écrits dénonçant les atteintes aux droits et libertés par les intégrismes musulmans, elle a reçu de nombreuses menaces de mort et vit depuis lors sous étroite protection policière. « Est-ce du courage ? J’ai peur, comme tout le monde. Je me bats pour ce pourquoi mes collègues de Charlie sont morts. C’est de la dignité et pas du courage. J’ai peur de ce qui se passerait plus tard. Le péril qui nous guette est majeur. Comment accepter que des gens vivent dans le monde libre comme moi ! J’ai perdu ma liberté et vous aussi. Notre liberté d’expression est diminuée. La sharia est appliquée par intimidation, par la menace des armes !. » Zineb rappelle que cette situation dure depuis 5 ans pour elle mais depuis 30 ans pour Salman Ruhsdie (la fatwa lancée contre lui par l’ayatollah Khomeini après la publication des « Versets sataniques » date de 1989. Depuis, l’écrivain est sous protection permanente et vit à New York.) Pour eux, il n’y a pas de ville refuge « Toute ville devrait être un refuge, dit Zineb. Nous sommes la partie visible de l’iceberg car il existe de nombreux apostats de l’Islam, des milliers en France, en Belgique et ailleurs ; ceux-là ne bénéficient pas de protection. Ils sont persécutés, obligés de se taire ou de déménager. La société qui les victimise leur demande en plus de respecter l’idéologie qui les condamne à mort ! Moi, je respecte les individus mais pas leur religion. »

Zineb dénonce avec force ces « théocraties islamiques pour qui les femmes sont des citoyennes de seconde zone, qui ne reçoivent que la moitié d’un héritage, qui ne peuvent même pas se rendre au cimetière pour enterrer leurs proches, le pire étant l’Arabie Saoudite où règne un véritable apartheid sexuel. » Elle martèle : « le seul cadre qui émancipe l’humanité est la laïcité. » Et annonce le grand défi que représentent les prochains jeux olympiques de 2024 à Paris où l’on verra des athlètes en hidjab alors que la Charte olympique bannit clairement tout signes idéologiques ou religieux. « Jusqu’où ira la complicité avec cette idéologie où les femmes sont considérées comme inférieures, y compris en France ? » Et de rappeler que le Comité olympique avait exclu l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid.

« Il n’est dangereux de s’exprimer que si on le fait seul. Le blasphème est le plus grand argument de combat des religieux. Ils attaquent les femmes, les hommes laïques en les traitant de racistes. Les Frères musulmans sévissent impunément chez nous, ils essayent de récupérer la laïcité à leur profit et essayent d’obtenir le port du voile partout. Quand verrons-nous des musulmans laïques ? Il nous faut tous nous lever. Nous sommes tous menacés ! », s’exclame Zineb.

La culture, outil d’émancipation

Un autre exemple de courage au féminin nous a été donné par Dounia Benslimane, de l’association « Racines » à Casablanca, un groupe d’activistes militant pour la transformation sociale au Maroc. Par le biais de la culture, ils veulent promouvoir les valeurs universelles de la démocratie, le développement de l’esprit critique des citoyens. « La culture est l’outil d’émancipation pour les citoyens marocains qui se veulent acteurs du changement », dit-elle expliquant que le gouvernement a vu cela comme des actions dangereuses et subversives par rapport à une politique culturelle qu’il veut patrimoniale, patriarcale et folklorique, celle qui plaît aux touristes.

L’association a été dissoute en avril 2019 ainsi qu’une émission satirique sur le Net qu’elle hébergeait. Le gouvernement marocain est particulièrement répressif après les manifestations de protestation des activistes des mouvements sociaux dans le Rif, en majorité des jeunes très pauvres dont certains ont été condamnés à 20 ans de prison. La liberté d’association et d’expression est brimée sans cesse au Maroc, des conférences, des spectacles, des émissions sont interdites par la caste au pouvoir. Les artistes femmes sont accusées de débauche. Dans cette société musulmane, être militant et femmes est doublement pénalisé. Les salaires sont inégaux entre hommes et femmes, des quartiers sont interdits aux femmes, il y a quantité d’interdits religieux incompréhensibles… Or, insiste Dounia, « 6 millions de foyers sont soutenus uniquement grâce au travail des femmes… et elles ne bénéficient d’aucun droit. Au Maroc, la laïcité est un gros mot, on est considéré comme des mécréants ou de athées. Les femmes qui se mobilisent pour l’avortement, pour une sexualité plus libre sont toutes attaquées parce que femmes. Les textes des manuels scolaires sont misogynes et discriminatoires, les jeunes ne connaissent donc que cela. Ils ne voient comme moyen d’expression que les réseaux sociaux ou le désespoir. »

Terrible constat mais aussi impressionnant témoignage de courage d’une jeunesse qui ne lâche pas prise et veut une gouvernance honnête, une égalité sociale, le respect des droits de tous hors de l’emprise de la religion. Bref, la protection de la laïcité comme espace de vivre ensemble, croyants et non croyants, avec la justice sociale comme moteur de développement.

https://www.liberation.fr/checknews/2019/08/26/qu-a-dit-henri-pena-ruiz-sur-le-droit-d-etre-islamophobe-lors-de-l-universite-d-ete-de-la-france-ins_1747363

http://50ans.laicite.be/50ansdelaicite_journaldujour.pdf?utm_source=sendinblue&utm_campaign=50_ans_merci&utm_medium=email

La griffe de kianoush

Pendant que se déroulaient à Liège les débats célébrant le cinquantième anniversaire du Centre d’Action Laïque, à la Maison de la laïcité de Charleroi étaient exposés les dessins d’un réfugié politique iranien, Kianoush Ramezani, qui sait douloureusement ce que signifie la répression par des religieux au pouvoir.

Rencontrant des étudiants en arts graphiques de La Cambre, le 14 octobre, il raconta son exil d’Iran, ce pays où existent de nombreux dessinateurs de presse mais où peu d’entre eux sont véritablement indépendants. Le régime iranien, malin, a même créé une « Maison de la caricature » gérée par des dessinateurs, en réalité des agents de propagande du gouvernement et qui surveillent les dessinateurs dissidents. On y prime des dessins antisémites, anti impérialisme américain mais rien qui ressemble à une critique des mollahs, par exemple.

C’est ainsi que Kianoush a été surveillé à l’instar de nombreux blogueurs, de journalistes, de dessinateurs qui furent emprisonnées. Pour éviter cela, il a fui en France en 2009. Après avoir appris le français, il a placé ses dessins petits à petits, notamment dans le Courrier International, et se fit surtout connaître par une double page de dessins et d’interview dans Charlie Hebdo. Après l’attentat sanglant de 2011, il constata une montée de l’autocensure dans les médias. Un sentiment de peur chez certains, de politiquement correct aussi mais surtout une autocensure pour raison financière : peur de procès et de condamnations à de fortes amendes.

Quant à la montée de l’intégrisme islamiste, il déclara : « J’ai quitté mon pays à cause de l’islamisme. Voir cela en France, c’est effrayant ! ». Il se disait cependant optimiste : « En Iran, plus de 60 % de la population a entre 15 et 25 ans. Ces jeunes ne pratiquent pas la religion, ils veulent la séparation de la religion et de l’Etat. »

Il entend dessiner, en toute liberté. Pas cette liberté qui s’arrête là où commence celle des autres. Non. Il expliqua : « chaque humain est libre comme une planète sur son orbite propre. Et le choix fait partie de la liberté de l’artiste ». Et l’on comprend que Kianoush ne dessinera pas le prophète pour le plaisir de choquer ou pour faire le buzz. « Le pouvoir du dessin de presse est de transmettre un message que même des enfants peuvent comprendre. C’est un art qui fait agir les gens même accros sur leurs smartphones, qui ont peu de temps pour lire. C’est une image qui parle. »

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Kianoush est aussi le président fondateur d’une association de dessinateurs de presse :

https://www.unitedsketches.org/ . Les membres entendent bien défendre le plus largement possible la liberté d’expression et notamment la critique politique. Ils veulent donner plus de visibilité aux dessinateurs en exil ce qui les protègera contre les menaces et les intimidations. Ils veulent mettre ce métier au niveau des arts contemporains. Et surtout, ils mettent en avant le talent des femmes cartoonistes en organisant un prix international pour lequel 260 dessinatrices ont envoyé plus de 1000 œuvres. Un magnifique succès de participation. On devrait prochainement en connaître le palmarès.

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