LE MOUR DES JORTS

Une édition originale

Par | Penseur libre |
le
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Lecture 9 min.

Oh lala !...vous êtes sûrement comme moi, dès qu’on parle de décès, de disparition, d’enterrement, de dernier recours, de derniers sacrements, ou encore de mort subite, (et ici il ne s’agit pas de bière, quoique à propos de bière, j’aimerais savoir pourquoi on dit mettre en bière quand il s’agit de déposer la dépouille dans un cercueil, mais bon, c’est un autre débat)…donc, pour en revenir à certains mots dans le contexte de la morbidité, je supposais que vous étiez comme moi, c'est-à-dire un peu allergique, et même beaucoup à cette période de novembre durant laquelle on se souvient subitement que nous sommes tous mortels. Si nous prenons cela par-dessus la jambe, attitude qui pourrait irriter le ciel et afin qu’il ne nous tombe pas sur le rable, on  consacre alors une partie de notre temps et de notre budget, à « honorer » les morts, à nettoyer les stèles funéraires afin d’y mieux déposer nos offrandes apaisantes, qui consistent généralement en plantes vertes et en bouquets de chrysanthèmes, de pomponnettes comme on dit !!!

Alors, avec toute la bonne conscience qu’on a une fois par an, on repense au défunt, à la défunte… on se souvient de sa fin, quand on lui tenait la main, et on dit à tous venants « qu’il (ou elle) n’a pas souffert » !!!

M’enfin, qu’en sait-on ?  Certes il (ou elle) ne se plaignait pas, ne gémissait ni de criait de douleur, mais ça ne veut rien dire ! Les grandes douleurs sont muettes, dit-on ! Ben ça, moi, j’y crois !...Je ne vois pas pourquoi on devrait être serein lorsqu’on dit adieu  pour toujours aux plaisirs que la vie nous offre ! Parce que, faut-il vraiment le rappeler, il y a plus de mauvais moments dans la vie que de bons ! Ces bons moments sont fugaces, ne l’oubliez pas !... Remporter le 100 mètres en moins de dix secondes ne fait pas oublier les multiples heures d’entrainements qu’il a fallu pour en arriver à accomplir l’exploit ! Prendre 3 semaines de vacances à la Costa del Sol, ne doit pas  nous faire oublier qu’il a fallu onze mois de travaux pénibles pour le corps et l’esprit, afin de mériter ces 21 jours de délices !!!

Et le coït, me direz-vous !!!...Et bien oui, parlons-en du coït, nommée souvent la petite mort…qui ne dure qu’environ 15 à 20 secondes ! …alors qu’il faut des heures si pas des jours de patience et de séduction pour parvenir à décider le ou la partenaire, à accomplir l’acte jusqu’au bout !!!

Et puis, quand le ou la partenaire n’est plus là, quand il a passé les larmes à gauche, quand on l’a enseveli, quand les pelletées de terre ont recouvert la maudite boite de Pandore, on se retrouve tout con, tout seul, face au miroir, un miroir aux alouettes, dans lequel l’image spéculaire ne ressemble en rien à ce qu’on croit qu’on ressemble…alors il faut bien relever la tête, se redresser, regarder autour de soi et admettre qu’on n’est pas sur une ile déserte ! Les gens comme vous et moi,  sont légion. Ils foisonnent juste à coté de vous, ils vont et viennent, ils courent, ils achètent, vendent, volent, revendent, mangent et boivent, font l’amour et aussi, font semblant d’oublier que, au bout la route, l’attend patiemment la maudite, la vieille bique, celle qui  avale tout ce qui se trouve à sa portée…  la Camarde ! La grande faucheuse, qui de grands mouvements de bras, d’épaules et de torse, manipule hardiment sa faux ébréchée…laquelle,  croyez-moi, ne vous ratera pas !

Non, non, ce n’est pas utile de faire vos bagages, vous laisserez tout derrière vous, vous abandonnerez tout ce qui vous tient à cœur, vous vous séparerez de ce stupide petit carnet où, sur un des feuillets, il est inscrit un n°de téléfon et une adresse, ce feuillet arraché d’un mouvement brutal que vous avez gardé pendant toutes ces années pour vous rappelez douloureusement que vous n’êtes jamais allé là-bas pour des raisons que vous vous obstinez à oublier…vous laisserez à vos proches des objets parfaitement incongrus qui ne signifient rien de plus que ce qu’il sont, une valeur nulle pour les autres, mais qui, à vos yeux représente une toute petite partie de votre vie, de votre jeunesse, que personne ne connait, à part vous…vous laisserez derrière vous  trois grosses valises de vêtements que personne ne mettra plus jamais et qui seront reconditionnés pour les habitants d’un pays du tiers monde.

Vous laisserez dans une cachette spéciale, la photo de la bienaimée, la première et la seule que vous ayez aimé dont personne de saura l’identité avant 50 ans ! Vous laisserez aussi au terminus, un stylographe dont l’encre a séché depuis longtemps, quelques crayons, une boite de gouache entamée et trois pots d’acrylique contenant les couleurs fondamentales. Un de vos descendants emploiera peut-être encore les quelques pinceaux en poils de martres qui ne seront pas trop usés pour revisiter le portrait d’Andy Warhol…

Eh oui, quand on n’est plus là, on laisse des tas de souvenirs derrière nous, des choses auxquelles parfois, se sont attachés nos proches, des choses auxquelles on tient, qui n’ont strictement aucune valeur…des choses qui nous ont appartenu deviennent, pour quelqu’un d’autre, des sortes de talisman, des « gri-gri » porte-bonheurs…

C’est la montre-gousset de mon père, dira-t-il …et il ajoutera : je sais qu’elle ne fonctionne plus, qu’il manque la petite aiguille, que  le verre est fendu, que ce n’est que du plaqué-or…mais un jour, quand j’aurai les moyens, je la ferai réparer, peu importe ce que cela coutera, pour moi c’est un souvenir !...sa valeur est inestimable !!!... Et puis un autre dira : Regardez-moi cette photo en noir et blanc sur carton rigide, c’est le portrait de mon arrière-grand-père maternel ! Regardez comme il est beau avec ses moustaches en guidon de vélo, avec sa lavallière, son faux-col empesé et ses boutons de manchettes en or, gravées à ses initiales…Je ne la jeterai jamais c’est la seule photo de lui que nous ayons, c’est la famille ! … alors je la garde précieusement !

Ben oui, c’était comme ça dans le temps, on se faisait tirer le portrait, c’était un grand jour, on avait pris un bain, on mettait son beau costume, celui qu’on ne met qu’aux mariages ou aux enterrements…on faisait une pause, et puis on prenait la pose !... Il ne fallait plus bouger, si on bougeait  c’était raté, ce serait flou ! alors on ne respirait plus pendant au moins 20 secondes tout en souriant bêtement et en posant une main dominatrice sur le dossier d’une chaise ou mieux encore sur  l’épaule de l’épouse corsetée qui regardait l’objectif d’un œil rond et dubitatif …

 

Maintenant, à notre époque ça ne se passe plus vraiment comme ça ! On ne se prépare plus pour être pris en photo ! On prend   des instantanés! Sur le vif, à l’instant même où ça se passe, au 200ième de seconde…On en prend tout le temps des photos, que ce soit avec le petit numérique, le Smartphone ou un appareil plus sophistiqué ; on peut en prendre à chaque instant de la journée et de la nuit, en hiver, en automne, au pôle Sud ou en nouvelle Guinée !!! Ainsi, on immortalise le premier sourire du dernier né, ses premiers pas, son nouveau manteau d’hiver, son premier cartable…Des photos ?... Ho ! il y en à la pelle, pour chaque personne, pour chaque famille, pour chaque réunion de famille, pour chaque fête, que ce soit à Noël, à Pâques ou la saint Glinglin !...on immortalise les anniversaires, les remises de diplômes durement acquis, les  noces de diamant et celle de papier, on fixe pour l’éternité les traits du (de la) partenaire bien-aimé(e), du super galant si séduisant dont on était folle avant qu’il ne vous quitte pour une autre, sans s’être justifié, sans avoir dit adieu ... et puis plus tard, bien plus tard, on regarde avec émotion les visages des aïeux : la grand-mère ou le grand oncle qui, à plus de 86 ou 103 ans, nous ont quittés sans espoir de retour... mais qui, grâce à la photo, et même au film (qui n’est qu’une suite de photos après tout), resteront à tout jamais dans nos toutes petites mémoires de poisson rouge !!!

Moi personnellement, je préfère regarder des photos plutôt que d’aller sur le cimetière pour y nettoyer le granit salit du dépôt de fleurs précédent afin d’y déposer des autres, et puis de soi-disant se recueillir en prenant un air pénétré, pour essayer de faire surgir le souvenir de ces morts partis bien trop  tôt, comme on dit ! Et puis la photo, c’est bien plus rigolo qu’un film où l’on  se voit en mouvements, où on se voit trébucher, où on se voit lever les bras à un match de foot ou à un concert des Who !

 

Evidemment, si ceci était une émission de radio, on serait en pleine contradiction : ne serait-ce pas gênant pour celui qui aime les images fixes et/ou animées,  d’écouter un animateur fou qui vous parlerait de photographies !!! (à l’évidence, on ne voit rien en radiophonie)…

Reste l’imagination, heureusement… tel événement, ou encore telle attitude d’un tiers lui ressemblant, fait resurgir son image, l’image de celui ou celle avec qui on a vécu pendant toutes ces années, on le revoit qui revêt sa veste fourrée, qui s’enroule dans son écharpe, qui enfile ses gants…on la revoit, celle qui maintenant repose sept pieds sous terre, on la revoit marcher dans le petit bois où on allait promener, on la voit s’arrêter, se retourner, sourire, faire un signe de la main, puis reprendre sa route en toute quiétude…

Tout cela ne sert à rien : Elle ne reviendra pas, lui non plus. Personne n’est jamais revenu, personne ne revient.

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Merci !

Alors à quoi bon déposer ces fleurs ridicules sur cette pierre froide et impersonnelle, malgré le nom qui y est gravé ?

…a pa peur ?

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