L’Europe en danger de perte de mémoire

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Samedi 1er décembre

 Les revendications des Gilets jaunes sont peut-être louables, défendables, légitimes, mais elles sont complètement occultées par les casseurs qui s’en donnent à cœur joie. Dès le matin, les échauffourées ont débuté. 5000 policiers CRS contrôlent l’avenue des Champs-Élysées ? Qu’à cela ne tienne, nous irons avenue Foch, rue de Chaillot et bien entendu à l’Arc de Triomphe. Des voitures et du mobilier urbain incendiés ; plus de 200 personnes interpellées, près de 100 blessés ; des magasins saccagés ou pillés… Non, monsieur le Président, on ne gouverne pas contre le peuple. Même François Bayrou vous le dit, et devant la nation, via les micros d’Europe 1.

Dimanche 2 décembre

 Andres Manuel Lopez Obrador (dit AMLO) prête serment. C’est le premier président de gauche que connaît le Mexique. L’impétrant s’écrie : « Les pauvres d’abord ! » et développe trois objectifs principaux dans son discours d’investiture : la lutte contre les inégalités, contre la corruption et contre la violence. Est-ce si imbuvable comme programme ?

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 La COP 24 ouvrira ses travaux demain pour quinze jours en Pologne. Déjà, comme à Bruxelles, des manifestations apparaissent dans plusieurs capitales qui plaident pour des avancées. Les défilés sont joyeux, festifs. Cela change avec les carnages qu’entraînent, malgré eux sans doute, les Gilets jaunes. Les couvertures médiatiques sont aussi lancées à grande échelle. Si deux ou trois décisions-phares parvenaient à naître de ce grand rendez-vous, les pays qui se sont placés en marge de l’accord de Paris –  en particulier les États-Unis – pourraient se retrouver isolés, montrés du doigt par le reste de la planète.

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 Zemmour se dit islamophobe. Mais dans sa correspondance avec Tariq Ramadan révélée par la Justice, il le complimente souvent et termine sa lettre par « Je vous embrasse ».

Lundi 3 décembre

 Et maintenant l’Andalousie où pour la première fois depuis la mort de Franco, l’extrême droite parvient à obtenir un score qui lui permettra d’envoyer des députés au parlement régional, la plupart de leurs suffrages ayant été siphonnés aux socialistes. Comme en Suède, la droite classique est donc à l’heure du choix : ou bien accepter une grande coalition pour marginaliser Vox, le parti fasciste, ou bien gouverner avec lui afin de rejeter les socialistes dans l’opposition. Le dilemme risque de valoir aussi pour les élections législatives de l’an prochain. On avait crié No pasarán ! … Et ils étaient passés quand même…

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 Ils étaient élégants et fiers, ces soldats français de ’14 qui partaient au front. L’armée avait soigné leur tenue. L’une des caractéristiques principales était la garance, cette teinture rouge qui donnait de l’éclat aux pantalons… Tant de beauté lumineuse leur conférait une cible idéale pour les soldats d’Outre-Rhin. La garance des teinturiers ne fut pas non plus évoquée dans les commémorations de ’14-18. Ce mot aux charmantes consonances réapparut à la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais cette fois sous les traits d’Arletty dans Les Enfants du paradis, le chef-d’œuvre de Marcel Carné. D’une guerre l’autre, le prénom effaça des mémoires les défauts de la culotte.

Mardi 4 décembre

 Dès la fin du XIXe siècle, l’Asie donna l’impression d’occuper une place croissante dans les échanges internationaux. Ainsi naquit en Occident le mythe du « péril jaune ». Celui-ci est cyclique. Oublié dans les décennies centrales du XXe (et pour cause), il revint dans les esprits au cours des années cinquante lorsque la Chine s’inscrivit dans une émergence considérable sur le plan économique. Nouvelle éclipse. Á la fin des années soixante, pour la saveur du jeu de mots, « le péril jaune » donne naissance au « péril jeune ». Aujourd’hui, revoici le péril jaune en phase croissante. Mais ce n’est plus l’Asie qui inspire son usage, ni même la Chine seule. Désormais, le péril jaune est illustré par des citoyens vêtus de gilets ordinaires à couleur fluorescente. Cela ne veut du reste pas sous-entendre que le péril jeune n’existe plus. En ce moment par exemple, Emmanuel Macron est confronté aux deux, tandis qu’un troisième semble pointer : le péril en la demeure.

Mercredi 5 décembre

 Qu’est-ce que c’est que cette pagaille ? Tandis que son Premier ministre défend l’idée d’un moratoire sur l’augmentation des carburants à l’Assemblée, le Président songe à l’annuler purement et simplement. Il l’annonce en début de soirée. Simultanément, il implore toutes les formations politiques ainsi que les syndicats pour qu’ils découragent les Gilets jaunes à manifester dans Paris samedi prochain. La pagaille enfante la panique. Le flamboyant jeune vainqueur de la présidentielle découvre soudain que son pouvoir est fragile. On en est presque à se demander s’il s’en relèvera.

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 Pour la douzième année consécutive, la cérémonie de remise du prix du Livre européen est organisée dans les locaux du Parlement à Bruxelles. Le président du Comité de parrainage Pascal Lamy, qui a succédé au père-fondateur Jacques Delors, et le maître de cérémonie Jean-Marie Cavada, accueillent comme il convient leurs invités. France Roque, la dynamique présidente d’Esprit d’Europe, association portant le projet et sa réalisation, les seconde. Cette année, le président du jury est le célèbre metteur en scène polonais de théâtre et d’opéra Krzysztof Warlikowski. Quant aux lauréats, ils sont trois : Géraldine Schwarz pour son récit Les Amnésiques (éd. Flammarion), Paul Lendvai pour son essai Orban, Europe’s new strongman (éd. Hurst publishers, pas encore publié en français), Philippe Sands , prix du Jury pour son essai Retour à Lemberg (éd. Albin Michel). Chacun à sa manière, selon son rôle dans la cérémonie et sa sensibilité au sujet, laissa un propos qui nourrit les mémoires du public. Un constat s’impose : sans qu’elles n’aient été concertées, toutes ces prises de parole avaient un point commun : l’Europe est en danger ! Si bien qu’en sortant de l’hémicycle plus riche de savoirs, on était aussi plus inquiet du vouloir. Les élections européennes auront lieu à la fin du mois de mai. On peut déjà sans craindre de se tromper supposer que la composition du Parlement sera plus brune. Mais dans quelles proportions ? C’est un mystère qui pèse sur l’avenir de l’Union comme l’épée de Damoclès. Et l’on se prend à imaginer ce que sera la 13e édition du prix du Livre européen en décembre 2019 puisque le jury sera confronté à quelques ouvrages déjà parus qui auront évoqué ce triste virage vers l’assombrissement des élans si prometteurs de paix et de prospérité, facteurs de fraternité ou, à tout le moins de solidarité entre les peuples.

Jeudi 6 décembre

 Le journal Le Soir lance son enquête annuelle pour élire le néologisme de l’année. L’idée est généreuse. Mieux vaudrait peut-être énumérer tous ceux qui ont pollué la chère langue française au cours des douze derniers mois, ces mots de substitution, anglicismes pour la plupart, qui colonisent le langage courant, balayant on ne sait trop pourquoi le terme propre parfaitement établi. Il est vrai qu’un terme de substitution n’est pas tout à fait un néologisme… Soit. Le jury se serait penché sur deux centaines de mots repérés ça et là, pour en retenir une dizaine soumis aux lecteurs. Remontada, action de rattraper un retard au score, fut beaucoup employé au printemps dernier pour qualifier quelques exploits spectaculaires de football. Et puis, c’est un substantif qui appartiendrait à la latinité… On peut se demander comment Malaisant (qui suscite un malaise…) n’est pas encore présent dans le dictionnaire. Mais si l’on avait la garantie que l’initiative du Soir serait suivie dans toute la francophonie et, en particulier, en son berceau français, il faudrait promouvoir Infox afin de bannir Fake news déjà si fréquent dans les échanges, et qui a donc – on ne sait trop pourquoi non plus – remplacé ipso facto « fausses informations ».

Vendredi 7 décembre

 En 1961, les éditions Robert Laffont publièrent un récit de Paul Carell, membre éminent du parti nazi, devenu auteur à succès après la guerre dans la littérature militaire. Ce livre décrivait le Débarquement de 1944 sur les côtes de Normandie vu du côté allemand. Son titre, admirablement choisi, reprenait une réflexion que nombre des frères d’armes de faction sur le Mur de l’Atlantique avaient dû prononcer : Ils arrivent !

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 Toutes proportions gardées, c’est un peu à cette réflexion-là que l’on songe en suivant les précautions des Parisiens. C’est une exclamation que bon nombre d’entre eux lanceront demain lorsque les Gilets jaunes pénètreront dans la Ville. On a en effet l’impression que cette belle cité se prépare à un état de siège : les vitrines sont protégées, le mobilier urbain susceptible d’être détourné de son usage démonté, les commerces barricadés, fermés au public, etc. Et bien entendu, des effectifs de police mobilisés comme jamais en nombre et en matériel. Mais que se passe-t-il donc ? Où est le pouvoir exécutif ? Va-t-on en urgence fabriquer un bunker dans la cour de l’Élysée ? Est-ce ainsi que la République est désormais dirigée ? Entre-t-on dans un cycle où, chaque samedi, des artères de la capitale donnent l’impression d’une guerre civile ? Quel contraste avec la fête d’intronisation d’il y a seulement dix-huit mois ! Les Gilets jaunes crient « Macron, démission ! » On a l’impression que c’est la seule décision présidentielle encore susceptible d’arrêter le manège infernal.

 

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