L’Europe entretient sa mérule qui progresse…

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Lecture 27 min.

Mercredi 13 novembre

 Comme prévu, le « J’accuse » de Polanski reçoit un accueil enthousiaste du public pour son premier jour de sortie en salles. Mais comme prévu, tous les articles qui en parlent (autant dire dans tous les journaux) inscrivent les accusations de viol dans le décor de leur critique. Le sempiternel débat sur l’indispensable séparation de l’homme et de l’œuvre revient en surface. Á la fin du XIXe siècle, c’est la double famille de Zola qui donnait aux anti-dreyfusards et aux antisémites (souvent les mêmes) l’occasion de s’opposer à son « J’accuse »…

                                                                        *

 Il faut se résoudre à l’évidence : lorsqu’il s’agira de parler de fausses informations, le francophone ne dira pas « fausses informations » mais « fake news ». Cette pollution par immixtion d’anglicismes dans la belle langue française reste parfois un mystère. Quand le terme propre n’existe pas, il est de bonne règle de s’approprier le vocabulaire du voisin (spleen, suspense…) Mais quand le mot existe bien, et depuis longtemps, pourquoi le remplacer par un terme étranger qui n’en est que l’exacte traduction ? (« coach » au lieu d’entraîneur) et risquer parfois la confusion ou le glissement du sens (« supporter » n’a pas la même signification en anglais qu’en français). Cela dit qu’elles soient ou non « fake », les fausses informations continueront à empoisonner le monde, car comme le disait l’espiègle Mark Twain : « Un mensonge peut faire le tour de la Terre le temps que la vérité mette ses chaussures. »

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 Acqua alta. Venise est sous eaux. Les marées automnales de l’Adriatique la contraignent régulièrement de la prudence. Parfois, celles-ci sont plus fortes. Depuis le Moyen-Âge, chaque siècle connut au moins une inondation vénitienne. Il y en eut parfois même à répétitions (4 novembre 1748, 31 octobre 1949, 9 octobre 1750). Les experts évoquent le réchauffement climatique. Soit. On ne va pas stupidement les contrarier. Encore moins les contredire.  Mais on nous signale que la marée haute (acqua alta) de ce jour est presque aussi importante que celle du 4 novembre 1966. Les experts pourraient-ils préciser quel était le phénomène qui avait provoqué une pareille marée cette année-là ? 

Jeudi 14 novembre

 L’une des qualités de Jean-François Kahn, c’est qu’il sait l’Histoire, celle qu’il est bon de se remémorer lorsqu’il s’agit de commenter l’actualité pour appréhender les lendemains. Pas question de jouer au futurologue, encore moins au visionnaire. Non. Les faits, simplement les faits. Il vient de publier dans Marianne une analyse fulgurante de la chute du Mur de Berlin, commençant par constater qu’en 1938, vingt ans après la victoire alliée, la démocratie et les droits de l’Homme reculent partout, et dressant la trajectoire jusqu’à ce que le philosophe Fukuyama décrète la fin de l’Histoire, à la manière de Hegel, tandis que l’on considérait que ce n’était plus le marxisme mais la démocratie libérale qui était devenue l’horizon indépassable. On passera sur les superfluités de Jean-François Revel tandis que l’on méditera sur la dépréciation du mot peuple, celui qui est « bas et sale » mais qui complique chaque fois le jeu des puissances de l’argent lorsque le suffrage universel est amené à s’exprimer. Alors, la droite classique ou la social-démocratie sont amenées à s’allier aux nationalistes pour gouverner en se voilant la face, se refusant d’admettre qu’ils font le lit de situations préfascistes. C’est ainsi que, rongée de l’intérieur, l’Europe entretient sa mérule qui progresse dangereusement. Orban, Kaczynski, Salvini et les autres. Il n’y a pas de raison pour que cela s’arrête. C’est là le constat le plus inquiétant. 

 D’ailleurs, Marine Le Pen se prépare. Tous les sondages l’encouragent.  

                                                                        *

  On ne dit pas « de Balzac », « de Lamartine » ou « de Saint-Exupéry ». Paul Morand méprisait tellement le Général qu’il se plaisait à dire « Gaulle » quand il parlait de lui. Est-ce pour cette raison que les partisans du grand homme prirent le pli de rendre grand aussi le petit de en prônant et propageant De Gaulle ?

Vendredi 15 novembre

 Nous voici seulement à la moitié du mois le plus triste, le plus cafardeux, le plus dépressif. Quinze jours s’imposeront avant de le quitter (encore heureux qu’il ne se soit pas mis sur son trente et un…). C’est le mois des morts (Toussaint, Armistice…), le mois où les jours allongent sans cesse, le mois où, même de jour, il fait nuit.

 Est-ce pour cela que deux nuits de novembre marquèrent notre civilisation ? Celle du 10 au 11, où Descartes, en 1619, découvrit « les fondements de la science admirable ». Celle du 23 au 24, en 1654, où Pascal connaît une extase mystique, sa fameuse « nuit de feu », à la base du non moins fameux « pari de Pascal ». Par référence aux joueurs de cartes, de jacquet ou de dés, le philosophe s’adresse aux hommes en recourant à leurs propres armes, le jeu, afin de parier sur l’existence de Dieu. S’Il est, ils auront tout gagné ; s’Il n’est pas, ils n’auront rien perdu. Soit. Mais en 2019, dans le « tout gagné », que signifie encore « tout » ?  

 De l’écrivain-aventurier Sylvain Tesson (Prix Renaudot 2019 pour « La Panthère des neiges », éd. Gallimard) :

 « Je ne crois pas en Dieu mais je crois en l’impératif de faire semblant qu’il existe. »

Samedi 16 novembre

 En décidant d’intituler son film « J’accuse », Roman Polanski laisse penser qu’il a réalisé une histoire de l’Affaire Dreyfus. C’est bien de cela qu’il s’agit, mais avec en pivot essentiel Marie-Georges Picquart, le colonel qui révéla toute la supercherie. Zola, l’auteur de l’article au titre évocateur, est quasiment absent, tout comme Clemenceau, le directeur du journal qui le publia, et qui du reste fut celui qui trouva le titre. On ne voit rien du pays en feu, notamment chez les intellectuels, Jaurès et Péguy d’une part, Maurras et Barrès de l’autre ainsi que tant de noms célèbres qui menaient le combat au-delà du débat. Le parti-pris du réalisateur est de tout concentrer sur l’armée, ce qui donne à Jean Dujardin l’occasion de réussir une prestation remarquable, et à Louis Garrel celle de démontrer l’aspect fade et terne du capitaine Alfred Dreyfus. Mais ce n’est pas le problème. De même qu’en 1977, éviter d’envoyer le meurtrier Patrick Henry à la guillotine était, pour Robert Badinter, lutter pour l’abolition de la peine de mort ; rendre son honneur au capitaine Dreyfus était, pour Zola, Picquart et leurs amis, avant tout, rétablir la justice. 

                                                                        *

« Sur cette terre, ma seule joie mon seul bonheur

C’est mon homme

(…)

I’ m’fout des coups

I’ m’prend mes sous

Je suis à bout

Mais malgré tout

Que voulez-vous

Je l’ai tell’ment dans la peau

J’en suis marteau

(…) »

 Les militantes féministes ont-elles déjà lu ou entendu les paroles de la chanson « Mon homme » interprétée passionnément par Mistinguett et plus tard par Édith Piaf ?

 Si elles sont conséquentes avec les objectifs de leur combat, une décision s’impose : interdire la diffusion sur antenne ? La vente de disques ? Débaptiser les artères et autres lieux qui portent le nom de ces gueuses… Brûler les livres qui les mentionnent dans l’histoire de la chanson française. Un même bûcher pour Piaf que pour Polanski s’impose.

Dimanche 17 novembre

Comme dirait l’ancien commissaire européen Louis Michel, les anglophones exercent « un véritable terrorisme » pour imposer leur langue partout en Europe. Il a raison. Non seulement on les laisse faire mais parfois même on les assiste avec zèle, comme jadis les collabos. Manu Leroy est le chef du département Marketing à l’Union belge de football. Sous sa direction, on vient de remplacer le blason des Diables rouges. Désormais, plus de mots néerlandais et plus de mots français. Il est écrit sur le logo : « Royal Belgian ». On lui demande la raison. Il répond qu’il y avait trop de lettres. Comme les adversaires de Mozart trouvaient qu’il y avait trop de notes dans ses œuvres, ainsi que le montre le film de Forman. Il y a longtemps que l’anglais grignote les murs de Bruxelles en Perrin Dandin. Les Flamands veulent imposer leur langue et n’y parviennent pas, le français, passivement, résiste. Alors l’anglais surgit en modus vivendi pour mettre tout le monde d’’accord. La France oublie souvent qu’hormis Paris, Bruxelles est la seule des 28 capitales européennes à être francophone.

                                                                        *

 La bien-pensance a changé de camp. Désormais, les curés sont à gauche. Mais ce ne sont pas des prêtres-ouvriers. Ce sont les amants d’Anastasie, la sainte aux ciseaux. 

Lundi 18 novembre

« L’art de vivre franco-belge ». C’est ainsi que veut s’identifier le magazine bimestriel JV, publié à Bruxelles sur papier glacé par un groupe d’exilés fiscaux français et vivant à 90 % de la publicité. On imagine bien que les articles de ce luxueux périodique ne dégagent pas un civisme effréné, pas plus qu’un plaidoyer pour l’égalité des citoyens. Du reste, les fondateurs avouent l’ambiguïté du titre. Ils évoquent Juliette Drouet et Victor Hugo, bien sûr, pour qui la dualité France-Belgique compta, mais ils prennent aussi le couple en otage afin de glorifier leur incivisme. JV, c’est aussi « J’y vais » ! [C’est ici, quand la confidence est transmise, que le rire gras du nouveau riche implose]. Cette récupération malséante d’une image emblématique dans le patrimoine de la gauche est typique des mouvements d’extrême droite. Les exemples ne manquent pas. Si, à grande échelle, le parti de Marine Le Pen s’est emparé du thème de la Laïcité en s’appropriant aussi les aspirations du monde ouvrier que les partis de gauche avaient délaissées, des gestes moins flagrants - perles additionnées en un patient dessein – illustrent la méthode. En France, le maire de Hénin-Beaumont, Steeve Briois, haute figure du RN, arbore le buste de Jaurès dans son bureau. En Belgique, l’avocat Modrikamen, du même tonneau, rachète le journal Le Peuple, « quotidien de la Démocratie socialiste », etc. Et ceux qui prônent « l’art de vivre franco-belge », ont-ils suivi le même chemin ? Mais bien sûr ! En creusant un peu, l’on s’aperçoit que l’un des fondateurs, Alain Lefebvre, a créé en 2016 le « Cercle Pol Vandromme » une association qui se veut défendre « la pensée rebelle » et qui, pour l’heure, se contente d’organiser cinq ou six fois par an une conférence dans la salle d’un grand hôtel bruxellois. Pour l’heure… Les invités à leur tribune se nomment Alain de Benoît, Patrick Buisson, Alexandre Devecchio, Théo Francken, Robert Ménard… Et, bien entendu, Éric Zemmour. Du cimetière de Saint-Mandé où elle repose, Juliette envoie des ondes à son Totor au Panthéon. Doivent-ils se retourner dans leur tombe ? Oh que non ! Ils auraient beau faire ! Á force, ils confondraient l’envers et l’endroit…!  

                                                                        *

 Les arguments ne manquent pas pour faire l’éloge de « Parasite », le film du fabuleux cinéaste coréen Joon-ho-Bong qui reçut la Palme d’or à Cannes au printemps dernier : la débrouillardise des pauvres, leur talent pour bluffer les riches, la naïveté voire la bêtise de ceux-ci, que l’aisance financière rend gagas, l’inversion des codes moraux fomentant la décadence, l’injustice sociale transformée en système de normalité assumée, la tricherie comme mode de subsistance, etc. Conduit dans une narration dont on se demande où sera le paroxysme, on se dit en fin d’émois que ce qui captive le plus, c’est l’art de provoquer tantôt le rire tantôt l’horreur, de créer le rire grâce à l’horreur, de montrer l’horreur par le biais du rire. Et ça, c’est le portrait du monde dans lequel chacun vit. Et c’est sans doute pour cela que ce film fut couronné.   

Mardi 19 novembre

 En Iran aussi les rues des grandes villes clament leur colère. La répression est déjà sanglante. Il n’y a pas si longtemps, lorsqu’un putsch se déclenchait ou qu’un pouvoir voulait placer le peuple sous un contrôle absolu, on commençait par mettre le grappin sur la radio et la télévision. Désormais, on supprime l’accès à Internet. L’Iran est donc coupé du monde. Mais qu’est-ce qui a provoqué le courroux des Iraniens ? Une augmentation de 50 % du prix des carburants. Le pouvoir des mollahs ne s’intéresse pas assez à la vie politique française. Ils auraient dû s’apercevoir que la naissance du mouvement des Gilets jaunes est liée à la même cause. Cela dit, contrairement à la France, l’Iran est un des plus grands producteurs mondiaux de pétrole. Si l’Iran avait augmenté le prix du camembert, de la baguette ou du p’tit noir et que cela avait provoqué la colère du peuple, la France aurait-elle osé en faire de même ? Comparaison n’est pas raison. Mais on n’imagine pas, en tout cas, que l’accès à Internet soit instauré sur toute la surface de l’Hexagone.

                                                                        *

« Le 28 minutes », l’excellente émission d’Élisabeth Quin sur Arte, propose un entretien exceptionnel avec Pierre Soulages qui, comme Pascal, connut aussi sa « nuit de feu ». C’était en 1979, lorsque le peintre inventa « l’outrenoir » qu’il ne cessa depuis lors de courtiser. Car il ne peint pas du noir, il peint la lumière, et c’est ainsi qu’il est unique. Soulages aura cent ans le 24 décembre prochain. Quelques jours plus tôt, une rétrospective de ses œuvres sera inaugurée au Louvre. Quand on lui en parle, quand il y pense, il est gêné à l’idée que l’on va devoir décrocher des chefs-d’œuvre pour accrocher ses tableaux. Est-ce une coquetterie liée à un excès de modestie ? Peut-être. Qu’il soit à son tour en pleine lumière, ce n’est jamais qu’une logique, presqu’un prêté pour un rendu. 

Mercredi 20 novembre

 Chaque jour apporte un ou deux témoignages accablants pour le président Trump à verser dans le processus de destitution lancé par les démocrates.

 Chaque jour on a l’impression que l’on est au point de basculement. Il fut même souligné que l’on était déjà plus loin que ne le fut Nixon.

 Et cependant, rien ne laisse vraiment augurer d’un départ de la Maison-Blanche.

 L’élection présidentielle aura lieu le 3 novembre prochain, c’est-à-dire dans moins d’un an.

 Peut-être est-il surtout question de le démonétiser que de le destituer. En ce cas, la campagne pourrait atteindre un niveau de tension (de violence ?) inédit.

Jeudi 21 novembre

 La campagne pour les élections britanniques du 12 décembre est évidemment dominée par le Brexit. Cependant, des options socio-économiques vont néanmoins s’affronter. Celles que Jeremy Corbyn divulgue en brandissant le petit livre rouge qui les contient ne sont pas très éloignées des anciennes recettes de la gauche : forts relèvements des bas salaires grâce à une importante hausse des impôts, nationalisations des grands secteurs (énergie, eau, postes…), suppression des frais universitaires, etc. Si le Labour triomphait, un nouveau référendum serait organisé. Le Royaume-Uni pourrait donc rester dans l’Union européenne. En ce cas, une grande partie de son programme économique serait rejeté par l’Union. Le serpent (qui n’est pas monétaire) se mordrait la queue. Bref, on ne sait toujours pas si les Britanniques vont quitter la maison Europe mais on peut être sûr qu’ils ne sont pas sortis de l’auberge.

                                                                        *

 Essentiel pour la fabrication des piles et batteries rechargeables, le lithium est la richesse principale de la Bolivie qui détient 58 % des réserves mondiales. Le Chili et l’Argentine sont aussi d’excellents producteurs. Par le développement gigantesque des appareils de communication, le lithium devient un matériau très prisé. Evo Morales l’avait bien compris mais il n’a pas pris suffisamment tôt les mesures d’exploitation intensives qui pouvaient sortir son peuple de la misère grâce à une nouvelle prospérité. D’autres pourraient s’en charger, mais par le biais cette fois du secteur privé, c’est-à-dire, selon les lois du capitalisme, afin d’enrichir une toute petite minorité au détriment du plus grand nombre.

                                                                        *

 Benyamin Netanyahu soumis à plusieurs chefs d’inculpation. De l’erreur de s’accrocher au pouvoir, de ne pas réussir à s’arrêter à temps… De ne pas avoir suivi l’enseignement de Montesquieu : « Dans toute magistrature, il faut compenser la grandeur de la puissance par la brièveté de sa durée. »

Vendredi 22 novembre

 Il ne faut pas confondre la macron-économie et le macro-économie. Cette dernière, chère aux nouveaux keynésianistes, semble revenir dans les pratiques gouvernementales. L’on est en effet bien obligé de constater que le marché seul ne suffit pas à optimiser les résultats. La puissance publique doit participer à la relance économique. En ce moment, les taux d’emprunt sont tellement bas que les gouvernements ont tendance à augmenter leur déficit afin d’investir dans la consommation des ménages et, partant, de fortifier le marché de l’emploi en créant des besoins. La commission Von der Leyen, qui sera installée le 1er décembre, devra se pencher sur cette tendance que Pierre Moscovici, pourtant socialiste, accepte timidement. Il est vrai que le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la Fiscalité et à l’Union douanière, occupé désormais à faire ses cartons, n’a jamais, au cours de son mandat, démontré son appartenance à la philosophie politico-sociale. Disons qu’il aura été un bon haut fonctionnaire à la disposition de Jean-Claude Juncker.

                                                                        *

 En Inde, des chercheurs sont parvenus à pratiquer des vasectomies réversibles. Un homme qui acceptait une vasectomie devenait à jamais stérile. Ce n’est désormais plus le cas. Cette découverte modifie considérablement la pratique de la contraception. Celle-ci a toujours été réfléchie au départ de la femme, parce que c’est elle qui porte le fœtus, alors que si l’homme peut féconder n’importe quand, la femme n’est fertilisable que pendant une très brève fraction du mois. Plutôt que de s’amuser à féminiser les noms de métier, à inventer stupidement l’écriture dite inclusive ou à déceler de manière parfois douteuse certaines formes de harcèlement, dans le combat pour l’égalité des sexes, une autre manière d’aborder la contraception paraît bien plus judicieuse.

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 Éric Orsenna est un homme merveilleux qui aime la vie. Á l’occasion de la parution de sa biographie de Beaumarchais (« Un aventurier de la liberté », éd. Stock), il a répondu aux questions de Jean-Claude Vantroyen pour Le Soir. Et c’est l’occasion de picorer certaines pensées qui font du bien dans un monde où la gaieté est presque devenue suspecte. « Il nous aide à retrouver l’ivresse de vivre (…) On a l’impression qu’il y a une déprime générale. Beaumarchais nous dit : c’est quand même un cadeau de vivre. » « Il y a beaucoup plus de possibles qu’on ne le croit. Et Beaumarchais le montre remarquablement. » « Mon métier, c’est la vie, la vie complète, la vie fraternelle, la plus humaine qui soit. » Orsenna travailla un peu pour Mitterrand au palais de l’Élysée. Il en tira d’ailleurs un livre savoureux (« Grand Amour », éd. du Seuil, 1993). Cette expérience aurait pu le conduire à devenir le ministre de la Culture de François Hollande. Il est regrettable que ce ne fut pas le cas. Et puis le temps délaye le regret. Retour à Beaumarchais : « Ayant passé l’âge de plaire, il faut fuir le malheur d’aimer. »

Samedi 23 novembre

 La marée était violette. Une cinquantaine de milliers de personnes ont défilé dans Paris, plusieurs milliers aussi dans des grandes villes afin de dénoncer les actes féminicides, arborant des panneaux violets sur lesquels était inscrit le slogan « Ras le viol ». Le droit d’importuner n’est pas évoqué, le harcèlement non plus. On conteste d’emblée les violences, et l’on a le sentiment, à l’analyse, que les violences conjugales sont davantage ciblées, plus difficiles à dénombrer ou même à déceler que des viols hors les murs. Un premier objectif parfaitement atteint aura été de révéler à l’opinion des statistiques effarantes qui, jusqu’ici, auraient pu paraître fantaisistes, exagérées. Dans ta rue, dans ton quartier, tout près de chez toi, une femme a été rouéesde coups à mort par son mari. Ça s’est passé près de chez vous. Rien que l’éclaircissement de cette précision démontre que la mobilisation a été utile. Selon la formule consacrée, plus personne désormais ne pourra dire : « Je ne savais pas ».

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De Bangkok, le pape fait route vers Nagasaki et Hiroshima où il devrait, demain, prononcer un discours que l’on dit très attendu. Bizarrement très attendu d’ailleurs, car il ne devrait pourtant étonner personne. Si le souverain pontife a décidé de s’exprimer sur les sites qui furent totalement ravagés par la bombe atomique les 6 et 9 août 1945, c’est évidemment pour condamner la course aux armements et l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins militaires. Cela ne traumatisera personne tandis que le chef de l’Église catholique aura « fait le job ». On ne peut, par avance, que saluer son geste dans un grand soupir.

 Le Japon est un pays qui connaît une sérieuse baisse de population. Ce fait peu courant complique notamment les prévisions de dépenses sociales que la pyramide des âges laisse apparaître. D’après les sociologues et les démographes, peuplé aujourd’hui de 127 millions d’habitants, ce pays devrait en compter moins de 100 millions au début du siècle prochain. Voilà une situation idéale pour permettre au pape d’inciter à la procréation et de condamner toute forme de contraception !

Dimanche 24 novembre

 Bon. Faisons le point à mi-parcours du mandat d’Emmanuel Macron. La gauche et la droite n’existent plus. D’ailleurs, ce sont des notions dépassées. Il n’y a plus que les vieux idéologues qui croient encore à ce clivage. Oui mais il y a comme un problème (aurait dit Fernand Raynaud) ; c’est qu’il y a toujours des pauvres et des riches, et comme les inégalités croissent, la notion de lutte des classes, elle, n’est pas devenue anachronique. Elle s’exprime différemment, chaque classe trouvant refuge dans une représentation politique. Les très riches, les riches et les aisés s’identifient dans la personnalité de Macron ; les démunis, les désespérés ainsi que ceux qui, fragilisés, ont peur de le devenir, se reconnaissent en Marine Le Pen. Si bien qu’au moment d’aborder la seconde moitié du quinquennat, les observateurs s’accordent tous sur une analyse semblable : le second tour de la prochaine élection présidentielle sera la répétition de celui de 2017, avec cette particularité inquiétante : cette fois-ci, Marine pourrait gagner. Tous les sondages se rapprochent dangereusement du 50/50… Avant que l’intégralité du peuple français ne joue à se faire peur – une activité qu’il affectionne -, le politologue sondeur Jérôme Sainte-Marie fait le point (« Bloc contre bloc : la dynamique du macronisme », éd. Du Cerf). Désormais, on peut observer la vie du microcosme avec un sage recul (en novembre ’80, tous les sondages donnaient Giscard-Rocard à 50/50 ; en janvier 1985, Balladur serait élu dès le premier tour…) en gardant à l’esprit l’hypothèse Le Pen-Macron, juste comme relevant du possible, sans s’énerver, sans se lamenter. Les dés roulent. 

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 Jean-Louis Aubert travaille beaucoup et mûrit. Il est en passe de se hisser comme un des principaux représentants de la chanson française de sa génération. « Qu’est-ce qui vous donne cette ardeur ? » lui demande Bernard Poirette sur Europe 1. Aubert répond qu’il s’inspire de Bouddha. « Ah ! Vous êtes bouddhiste ? » « Non, répond-il, mais Bouddha n’était pas bouddhiste non plus… » Et il s’esclaffe sans se rendre compte qu’il vient d’ouvrir un chantier de réflexions très pertinent. Il y a un livre à réaliser sur les patronymes qui donnent naissance à un adjectif, lui-même qualifiant une pensée, une philosophie ; en relevant l’avis pour le moins essentiel du principal intéressé, géniteur sémantique. Marx clamait qu’il n’était pas marxiste, de Gaulle savait qu’après lui, le gaullisme serait autre, etc. L’enquête vaudrait la peine d’être approfondie.

 

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