L'humanisme, c'est aussi l'expérience de la sensibilité

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
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photo © Laurent Berger
Artiste: Jaume Plensa

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Lecture 6 min.

L’humanisme, ce n’est pas que l’expérience personnelle accompagnée de l’usage de la raison, c’est aussi l’expérience accompagnée de la sensibilité. L’usage unique de la raison et de l’éthique ne peuvent empêcher la barbarie. Notre monde capitaliste qui favorise les échanges commerciaux semble favoriser la paix, la tolérance. La croissance semble favoriser le niveau de vie, l’accès aux soins de santé. Notre monde moderne semble moins violent que celui du moyen-âge. 

Jadis, c’était une autorité extérieure à nous qui nous imposait une morale. Pour savoir ce qui était bien ou mal, laid ou beau, l’homme se référait à un représentant de Dieu. Le monde avait son ordre à respecter. 

L’humanisme a appris à l’homme à se référer à sa propre conscience, à sa propre sensibilité. Aujourd’hui, c’est ma sensibilité qui me permet de prononcer un jugement de goût en matière esthétique, qui me permet d’être touché par un dessin d’Otto Dix. La subjectivité personnelle a remplacé l’ordre extérieur, transcendant. En outre, ma sensibilité avec l’expérience acquise me permet d’accepter le mariage homosexuel, de défendre l’idée qu’une femme puisse disposer de son propre corps et avorter. Mes positions par rapport à certains débats ne me sont pas seulement venues par l’usage d’un raisonnement parfaitement rationnel. Ma défense de libertés individuelles provient de ma sensibilité qui s’est développée grâce à un environnement favorable.

C’est pourquoi à l’école, je déplore le manque d’accès à la sensibilité personnelle. Je suis persuadé que le monde ne sera pas moins agressif, moins brutal si les relations humaines ne sont pas basées que sur la nécessité de toujours produire plus, de contrôler toujours plus. La mécanisation des rapports humains et la rationalisation des activités laissent un vide qui déclare le manque d’imagination, le manque d’empathie. Dans notre monde moderne, il existe plus de gens qui meurent à cause du suicide, du cancer qu’à cause de terroristes! 

En réalité, il existe un réel écart entre le discours humaniste de certains enseignants qui continuent à affirmer qu’en plus d’enseigner l’histoire, le français, la géographie … , ils apprennent surtout à leurs élèves à penser par eux-mêmes, à écouter la voix de leur conscience, à développer leur sensibilité personnelle, à apprendre par l’observation. Les écoles évaluent les individus en leur mettant des notes précises. Les notes sont une invention récente qui a écarté l’école de sa vocation humaniste. A l’époque médiévale, un apprenti cordonnier ne recevait pas un bout de papier indiquant qu’il avait obtenu 80% ou 90%. 

Le professeur de français que je suis, sait que les talents nécessaires à la compréhension de la littérature, à l’énonciation de sa sensibilité par rapport à une peinture ne correspondent pas toujours aux bonnes notes que les élèves sont sensés obtenir. L’obsession de tout vouloir mesurer objectivement  accroît le pouvoir de la bureaucratie au détriment de l’acceptation de la subjectivité humaniste. Or cette objectivité  des notes est-elle la réalité? Cette objectivité qui est rassurante n’est-elle pas une fiction imposée qui contrôle les productions humaines? Cette rationalisation de l’enseignement n’est-elle pas aussi une fable comme l’idée d’un Dieu qui saurait partout, qui serait ce qui bien ou mal, beau ou laid?

L’humanisme a donc été amputé d’une dimension importante, celle de l’acquisition de la sensibilité. Durant ma jeunesse, je n’aimais pas trop le vin; petit à petit en grandissant, j’ai appris à aimer la diversité des vins que j'ai goutés. La sensibilité n’est pas innée, elle se développe progressivement. De même qu'à 15 ans, j’étais plutôt pour la peine de mort pour les individus irrécupérables et très dangereux, cette position m’était directement imposée comme si j’avais écouté un principe extérieur évident et incontestable, mais peu à peu l’expérience, l’observation m’ont guidé vers une position plus personnelle qui me permet d’affirmer aujourd’hui que je suis contre la peine capitale. De même, aussi, mes jugements en matière esthétique m'incitent à préférer un tableau apparemment laid mais qui exprime toute l’horreur de la guerre vécue par un soldat traumatisé à un tableau apparemment beau qui célèbre une formidable victoire. C’est ainsi que je continue à défendre un humanisme qui ne se base pas seulement sur l’usage de la raison mais qui favorise la formation de la sensibilité. 

Nos sentiments ne donnent pas seulement comme l’affirme Yuval Noah Harari dans Homo Deus, du sens à notre vie privée, mais aussi aux processus politiques et sociaux. L’école devrait apprendre aux élèves à se référer à la profondeur de leurs sentiments personnels pour pouvoir voter plus tard, au lieu de voter pour ce parti parce qu’il est à la mode. De ne pas être directement contre l’avortement à cause d’une morale qui ne provient d’aucune expérience personnelle. A ne pas rejeter directement une oeuvre d’art parce que l’ordre commun dicte qu’elle est laide, mais à pouvoir prononcer un jugement de goût personnel qui provienne de ses propres émotions, de ses propres sentiments. 

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Dans ce monde moderne pacifié en surface, plus ouvert, où le progrès scientifique, médical  a augmenté notre espérance de vie (bien qu’elle recule depuis quelques années), où notre niveau de vie s’est nettement amélioré, où les acquis sociaux sembleraient se maintenir, nous devons néanmoins constater que nous sommes de plus en plus malades, que nous mangeons plus mais pas nécessairement mieux, que le nombre de psychopathes dans les postes de direction semble progresser, que les hommes politiques pensent plus à leur carrière personnelle qu’au bien de la cité.

Je ne rejette pas bêtement le capitalisme d’une manière univoque, car je reconnais les bons côtés qu’il a introduits dans notre société moderne mais je déplore qu’il délaisse le contenu sensible de l’humanisme. Si le monde se porte mieux jusqu’à présent, c’est surtout grâce à cette idée que ce n’est pas un ordre supérieur divin qui régit le monde, mais bien grâce au fait que les hommes ont appris à prononcer une opinion qui soit personnelle. La tolérance n’est pas qu’une histoire de Raison mais surtout une expérience qui autorise l’ouverture d’esprit. Si les écoles sont régies par la nécessité de l’objectivité absolue, elles se privent de ce qui a fait la révolution humaniste: l’affirmation de la subjectivité! Le voyageur spirituel est celui qui peut désobéir aux conventions, aux coutumes rigides pour poursuivre son chemin. La confusion entre religion et spiritualité engendre un malentendu permanent qui éjecte la sensibilité au profit d'un univers rationnel froid, austère.

 
 
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