L'ombre de Simenon, au Mundaneum

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Au Mundaneum de Mons, Laurent Demoulin, conservateur du Centre d'études Georges Simenon de l'Université de Liège, a parlé de ces archives dont rêvent bien des institutions.Photo ML.

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En ce 11 novembre 2019, la pluie brillait sur les pavés des rues de Mons. Montant vers le Mundaneum où se déroulait la troisième édition du festival Nuit Blanche du Noir, on se demandait vers quelles contrées on s'aventurait, cette fois encore. La veille, Didier Daeninckx,  qui connaît la ville par coeur, était revenu sur un des lieux de sa mémoire. D'autres auteurs, en provenance des pays du Nord, avaient répondu à l'invitation des dames de l'association InCulQ. Elles remuent ciel et terre pour provoquer des rencontres entre des romanciers et le public qui écoute, interroge, vibre, s'attarde, se penche sur des livres. Le Mundaneum, avec l'internet de papier et ses fiches par milliers dans les tiroirs, distille une atmosphère tirée des pages d'un livre lu tard le soir, en hiver, à la lueur d'une lampe douce.

Georges Simenon aurait peut-être planté un de ses personnages dans cette ville et cet immeuble qui, autrefois, fut un grand magasin. Simenon dont il fut question, trente ans après sa disparition, grâce à la présence de Laurent Demoulin. Professeur, lauréat du Prix Rossel 2017 avec le roman "Robinson" (Galllimard), il est  le conservateur du Centre d'études Georges Simenon de l'Université de Liège. A ce titre, il se penche sur les documents confiés à Liège par la famille de l'écrivain dont les livres sont toujours lus, réédités,  dans des langues de plus en plus diverses, ainsi récemment le coréen. Ainsi, le professeur Demoulin serait l'inspecteur en charge de l'enquête Simenon. C'est de son style qu'il a parlé, au Mundaneum. Un style qui se confond avec le personnage qu'était Simenon. 

La toute première phrase du roman "Les Anneaux de Bicêtre", publié en 1963, est un indice qui permet de trouver le fil rouge de l'oeuvre. Bicêtre est un grand hôpital parisien où se retrouve un homme qui a eu une crise cardiaque. De son lit, il perçoit la rumeur de la ville et se penche sur son vécu. Alors, la voici, cette phrase: "Huit heures du soir. Pour des millions d'humains, chacun dans sa case, dans le petit monde qu'il s'est créé ou qu'il subit, une journée bien déterminée s'achève, froide et brumeuse, celle du mercredi 3 février".  Par la grâce d'une poignée de mots, agencés comme ceux d'une mélodie, le talent se déploie. Forts, rarement complétés d'adjectifs., les mots de Simenon sont ceux de la vie quotidienne. Pêtri de réalité, ils placent le lecteur à se mettre dans la peau de l'autre. Un  être ordinaire dont la vie dévie à cause d'un accident. Comment réagira-t-il, l'humain qui sort de la trajectoire qu'il suivait, de la petite case qu'il occupait?

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Laurent Demoulin a donné envie de relire et relire encore Simenon, avec ses personnages plus présents que les intrigues elles-mêmes, avec ces décors brossés en quelques traits, sans surcharge, jamais. Pour que le tableau se dégage, dans sa vérité. Sa permanence. Sont-ce quelques-unes des raisons qui nous poussent à lire Simenon, aujourd'hui comme en 1950? L'humanité qui s'exprime dans ses oeuvres multiples est contemporaine. Tirée des faits-divers, la tragédie trimballe ses pulsions d'amour, de haine, d'espoir, de désespoir, de rêve et de cauchemar, de trahison, de fidélité et de vengeance. C'est l'humain que Simenon mettait à nu, avec la pudeur qui animait le marcheur dans la ville et dans la nuit. En quête de traces, de sons, de visages, de décors. Comme si c'était une façon de brouiller les lignes de fuite du présent.

On est sortis du Mundaneum plus attentifs au son de nos pas sur les pavés, au grain de la pluie et à l'onde sonore jetée sur les toits par les cloches de l'église qui fait face au Palais de Justice de Mons. La salle de la cour d'assises a déserté le vieux bâtiment mais les fantômes issus des dossiers qui aboutirent là se baladent dans les parages, comme dans les pages des faits-divers en train de se faner dans les collections de papiers, ou dans les romans de Simenon. On attend déjà 2020 et les rencontres que nous proposeront Marie-France Dony, Sandrine Canter, Anne Verbeke, Françoise Vander Poorten, Christine Defoin, Ann Heldenbergh et Isabelle Wettendorff. Les dames de la Nuit Blanche du Noir.     

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