Lumumba : une statue reflète notre passé colonial

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Patrice Lumumba sculpté par l’artiste Rhode Makoumbou. Photo © D.R.

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Elle est impressionnante, cette statue réalisée par la talentueuse artiste Rhode Makoumbou. (1) Ce 21 janvier 2018, Patrice Emery Lumumba se tient, grandeur-nature, en plein centre de la Galerie Ravenstein près de la gare centrale de Bruxelles. Il nous rappelle le discours d’indépendance du 30 juin 1960, prononcé avec force à Kinshasa par le jeune Premier ministre en face du jeune roi Baudouin. Intelligent, rebelle, panafricaniste, anticolonialiste, Patrice Lumumba incarne une des plus belles figures de la lutte contre la colonisation du Congo, contre tous les colonialismes.

Ce geste de l’association antiraciste BAMKO - Comité féminin et afrodescendant pour l'interculturalité, contre le racisme -  interpelle aussi nos pouvoirs publics puisqu’aucun d’entre eux n’a cru bon de commémorer à sa juste mesure cet homme hors du commun. Ni rue, ni place, ni square… La statue s’érige alors sur une « place itinérante » en attendant, on l’espère, un endroit plus définitif et symbolique à Bruxelles.

Il a fallu attendre l’an 2000 pour qu’une commission parlementaire enquête sur l'assassinat du leader congolais, commis grâce à des complicités belges. Elle a conclu en 2001 à la « responsabilité morale » de la Belgique. Une expression bien vague… En 2002, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Louis Michel a présenté ses excuses à la famille de Lumumba et au peuple congolais, au nom de notre pays. Depuis, plus rien.

Sauf un projet de plaque commémorative au square du Bastion, à la limite de Bruxelles-Ville et d’Ixelles. Plusieurs mouvements de citoyens demandant, eux, une place Lumumba derrière l'église Saint-Boniface. Le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations (CMCLD) porte la revendication d’une meilleure connaissance de notre histoire coloniale, d’une entente éclairée avec les citoyens d’origine africaine. (2) Il entend aussi « faire face aux devoirs de mémoire, aux abus et falsifications historiques », nous dit leur site. Pour cela, des « Conférences-formation sur l’Histoire de l’Afrique précoloniale, coloniale et postcoloniale » ont lieu une fois par mois au Bozar, en partenariat avec le Musée Royal de l'Afrique Centrale et Change Asbl. Des visites guidées autour du patrimoine colonial se déroulent deux fois par mois.

Voilà des actions d’information du public, basées sur l’intelligence, l’étude, la rencontre, la solidarité… Ce qui ne satisfait pas certaines autres associations plus impatientes. Ainsi, dans la nuit du 10 au 11 janvier 2018, l’Association Citoyenne pour un Espace Public Décolonial (l’ACED) a fait tomber le buste du roi Léopold II de son piédestal au parc Duden.

Dans un communiqué, le CMCLD dit adhérer aux revendications de l’ACED, sans pour autant approuver la méthode. On y insiste sur « la nécessité de mener un débat national aux niveaux fédéral, communautaire, régional et communal sur la décolonisation de la société et sur la réalisation d’une nouvelle toponymie dans notre espace public. Les quatre niveaux de pouvoir sont concernés. La résolution introduite au fédéral par le groupe Ecolo-Groen et signée par le PS, le SPa et le PTB, qui vise à mettre en place un Comité scientifique pour étudier la responsabilité de l’Etat belge dans les crimes coloniaux comme ce fut le cas pour la collaboration avec les Nazis dans le massacre des Juifs, reste bloquée. La réforme de l’enseignement de l’Histoire de la colonisation et de l’Afrique en général reste marquée par une certaine apologie de la colonisation. Elle n’est d’ailleurs limitée qu’à l’enseignement technique et professionnel. Les régions et plusieurs communes rechignent encore à faire un véritable travail de décolonisation de l’espace public. »

Au moment où l’on réforme nos programmes d’enseignement, notamment celui de l’Histoire, voilà une suggestion intéressante qui permettrait de lier l’histoire, la géographie, l’économie… Et les droits humains ! Quant au Comité scientifique, voilà qui serait une belle mission pour notre Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique et son nouveau secrétaire perpétuel Didier Viviers.

Pas comme la loi révisionniste adoptée en Pologne

Ce serait en tout cas plus intelligent et plus créatif que la décision prise par l’Etat polonais qui vient d’adopter une « loi liberticide » et d’ « insulte à la mémoire » menaçant d’une peine de trois ans de prison toute personne qui « attribue à la République de Pologne et à la Nation polonaise, publiquement et contrairement à la réalité des faits, la responsabilité ou la coresponsabilité de crimes nazis perpétrés par le IIIe Reich allemand ».

Là, on façonne une vérité historique à coup de lois répressives plutôt que d’affronter des faits nuancés : c’est vrai qu’il n’y pas eu de « camps polonais de la mort » mais l’Etat polonais ne peut nier qu’il y a eu « certains comportements de populations polonaises à l’égard de leurs concitoyens et voisins juifs (indifférence, dénonciation, pogroms, meurtres). », ainsi que le détaille une carte blanche signée par 350 pétitionnaires. On y ajoute : « La recherche historique polonaise a pourtant confirmé sur ces points les témoignages des rescapés de la Shoa. » (3)

Lisez cette carte blanche : elle permet de réfléchir au rôle essentiel des scientifiques, des chercheurs dans l’établissement des faits et l’écriture d’une Histoire des peuples afin que les jeunes générations puissent bénéficier d’un « regard clairvoyant » sur leur passé.

(1) http://www.rhodemakoumbou.eu/fr/biographie

(2) https://www.memoirecoloniale.be/presentation

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(3) http://plus.lesoir.be/138696/article/2018-02-07/pologne-une-loi-liberticide-comme-une-insulte-la-memoire

 

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