Malendu sur l'universel

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
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Photo © Laurent Berger

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Enseigner l’universel, ce n’est pas uniformiser et ce n’est pas tomber dans les pièges de l’essentialisme. Ce n’est pas nier l’oppression des noirs et par conséquent nier leur identité. Mais les enfermer dans leur identité de noir, c’est toujours soutenir une fermeture et non une ouverture. Partout, l’homme peut être opprimé, donc, c’est l’humanité qui est en question et non pas seulement une partie de celle-ci. De plus, l’homme essentialisé ou racialisé (au nom de l’anti racisme )  risque de tomber dans le ressentiment et ne plus se définir que par rapport à l’autre vu comme uniquement l'ennemi : celui-ci ne peut plus alors se révéler dans sa singularité et son universalité. L'adepte du ressentiment ne se définit que par rapport à l'autre, il ne parvient plus à se dépasser. Il ne se situe plus que par rapport à l'ennemi. De l'état de victime, il peut devenir bourreau.

Je persiste à penser que l’ouverture vers l’universel est la meilleure défense de la singularité et de la diversité. L’enseignant, que je suis, aspire à l’universel non qu’il exclut les questions de genres, d’identités particulières, qu’il ne serait pas sensible à l’écriture inclusive, ou à la féminisation des noms. Cependant, s’il se réjouit que le mot féminicide soit introduit au dictionnaire, il n’en reste pas moins qu’il met en évidence que derrière le noir, la femme, le juif, l’arabe, c’est l’Homme qui est touché. L'école devrait alors contribuer à mener l'individu vers son existence ouverte à tous les possibles et  non l'enfermer dans la sensibilité de sa communauté, de sa famille, de sa patrie, de son clan.

Je m’intéresse à ce qui violente l’homme, à ce qui l’oppresse. Si je dois commencer à mesurer quelle est l’identité qui serait la plus brimée ( sans encore une fois nier que les noirs, les femmes, les homosexuels le sont plus souvent) alors je risque de me spécialiser dans une cause et de perdre de vue le sens de ce que signifie notre humanité commune. Dois-je taire que les hommes sont battus, que les blancs peuvent être aussi victimes sous prétexte qu’il existe plus de femmes battues et de noirs persécutés? Il est vrai que les bavures contre les noirs commises par la police américaine m’interpellent et me démontrent que le racisme envers les noirs n’est pas une affaire à prendre à la légère bien sûr. Mais en tant qu’humaniste et passeur, je demeure convaincu que l’ouverture est la meilleure guérison offerte au cloisonnement des hommes en catégories. Si je dois me spécialiser dans une cause entendue comment alors me battre contre toutes les formes de racisme et d’injustice. Dois-je me dire que l’islamophobie mérite plus d’attention que l’antisémitisme alors que les deux phénomènes me préoccupent? Derrière la femme voilée qui se fait agresser, est la femme qui est atteinte, et derrière la femme touchée, est son intrégité humaine qui est remise en cause. Il est certain que l'acte vise la musulmane, mais cet acte me révolte aussi parce qu'il violente notre humanité commune. Voilà le message que je tente de transmettre à mes élèves.

Il ne faudrait pas confondre la défense de l’universel ( qui me semble perdu de vue aujourd’hui au profit de la spécialisation, de la fermeture, du ressentiment ) avec l’universalisme et l’impérialisme et surtout pas avec le nationalisme!)  La confusion entre la culture dite française et les  Lumières qui sont réduites aux auteurs, philosophes français entraine son rejet. Dés lors, l’universel qui ne s’impose pas, qui ne relève pas de la domination et surtout pas de l’oppression confondues avec avec le colonialisme. Défendre les Lumières et se considérer toujours et encore anti colonialiste semblent devenu aujourd’hui impossible. L'individu peut être également colonisé par sa propre communauté, religion.

Je pourrais me demander si je pourrais encore enseigner Diderot, Montesquieu aux jeunes dit d’origine étrangère avec le soupçon que je voudrais imposer une culture qui serait dominante aux opprimés (alors que ces deux auteurs ont écrit des textes contre l’esclavagisme!) Dois-je aussi renoncer à transmettre Tahar Ben Jelloun, Yasmina Kadra, Paul Auster, Aimé Cesaire, Otto Dix parce que il seraientt parmi les dominants? Comment faire le tri entre ceux qui seraient politiquement corrects  et ceux qui sont soupçonnables de faire le jeu des oppresseurs?  Je risquerais de tomber dans la fermeture et non l’ouverture. C’est alors que je pourrais de cette manière restreindre l’espace donné à l’émancipation de tous. Ce que je nomme l’élitisme pour tous. A savoir donnr à chacun quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, quelle que soit son origine le désir de découvrir l’humanité qui est en lui.

Notre démocratie joue sur la coexistence plus ou moins pacifique entre les différentes communautés qui affichent, revendiquent de plus en plus leur identité. L’accent est mis sur les différences entre elles, sur leur propre sensibilité, sur leur propre culture. Parallèlement la massification poursuit son cours. L’homme ne peut plus se définir lui-même. Or se définir soi-même, mener sa propre existence, c’était là que résidait l’enseignement existentialiste. N’est-ce pas cet enseignement qui aurait la préférence de l’enseignant humaniste? Je peux passer par une sensibilité athée et spirtuelle, les deux possibilités peuvent dialoguer en moi. L'espoir de pouvoir concilier les contradictions donne de l'imagination afin de dépasser la pensée binaire: un apprentissage philosophique qui devrait être présent à l'école, car la seule gestion rationellle des disciplines enseignées risque de produire le désenchantement général.

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La victime de l’oppresseur, du colonisateur, de l’envahisseur, s’il est poète, créateur, danseur, pourra choisir l’ouverture, l’accueil, l’imagination, la transformation. Ce qui ne veut pas dire qu’il aura oublié qu’il a été brimé, mais qu’il pourra se réinventer sans devenir bourreau à son tour, ce que démontre Cynthia Fleury dans son livre consacré au ressentiment. L’oppresseur compte toujours sur les divisions pour maintenir son pouvoir dominant. Si nous ne sommes plus capables de nous unir contre l’oppression parce que nous sommes assujettis à une seule cause à défendre (seulement les femmes pour les femmes par exemple ) alors nous perdons de vue la dimension universelle des Droits de l’Homme pour les restreindre aux droits humains.

Ainsi, je considère que l’école serait le lieu du trait d’union et non le lieu d’une communauté, d’une croyance, d’une famille, d’un clan, d’une marque, d’une entreprise, d’une religion mais bien le lieu d’un espace public qui vise à l’ouverture, au dépassement des frontières et des identités figées. C’est pourquoi le terme interculturel me semble plus pertinent que le terme multiculturel. Il est curieux d’observer qu’on a jamais autant parlé de société multiculturelle alors que les cultures semblent se mélanger de moins en moins. L’individu reclus dans sa différence, dans sa victimisation coincée ne semble plus vouloir abattre les murs qui le séparent de l’humanité commune. Or c’est à l’école que l’espoir de l’ouverture au sens de ce qui donne notre humanité peut naître. Peut-être un des derniers endroits actuels avec le théâtre, la danse, la musique, où l’individu peut dépasser son clan. Une école qui ne pourrait plus réunir ce qui est épars, développerait par conséquent le ressentiment, la rumination. Ce qui serait notre désespoir à nous qui sommes libertaires! Etre libertaire, c'est vouloir désirer tout ce qui peut élever l'homme, donc aussi le libérer de la haine, de la rancoeur. Enseigner, ce n'est pas déverser des doctrines, mais bien allumer l'étincelle!

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