Rêver à l’épreuve du jour

Le Chant la vie

Par | Penseur libre |
le

"j'étais un enfant doux je craignais les nuages" Photo © Jean Rebuffat

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Lecture 3 min.

étés perpétuels ô villes imaginaires
et nous attendions la victoire des anges
on dirait que rêver parfois nous dérange
et le jour devint la nuit qu’échangèrent

pour du sang les gens qui n’aimaient pas rêver
j’ai grandi dans ce jour contrasté aux fenêtres
par où passe un monde où je reste à naître
où tu viens déjà les deux mains levées

au ciel sombre pourtant plein d’étoiles sourdes
car nous n’avons pas rêvé notre amour
dont les mots du jour le jour s’ouvrent et sourdent

silence gelé où nos âmes lourdes
avouent des secrets trop bleus et si courts
comme cassés par une aurore gourde

*

Neruda qui mourut dans le jour blanc du sang
dans le jour singulier des assassins de songes
j’entends encore ta voix et ton cœur que prolonge
le cri des partisans qui te chantent en passant

et toi Apollinaire dans les champs et les ruines
toi qui parlais à Lou comme on parle aux étoiles
je revois les rues fauves et les ponts et les toiles

que tu chantais comme on s’oublie dans la bruine
les chansons qu’Aragon tu composais saignant
hantent encore le ciel pâle où meurent les soleils
de trop avoir rêvé dans l’ombre et le néant

je porte en moi vos mots amoureux des groseilles
et des chambres où aimer se fait dans le grand vent
je porte en moi vos rêves et je rêve et je veille

*

et de toi Reverdy je garde un goût orange
à la lèvre qui porte le nom et l’eau des roses
comme un oiseau toujours sur la branche se pose
venu d’un ciel où se font voyages étranges

minuit dans le trou noir du monde à toi Desnos
je rends le songe amer d’aimer dans les fournaises
les cendres et les poussières où rêver à la fraise
des seins des filles nues dont tu sonnas les noces

s’il faut parler du chant libre et grave Éluard
je pense à toi ô colombe bleue aigle rouge
toi dans les mains de qui naît l’enfance de l’art

Supervielle qui pense et dans le calme bouge
comme un simple constat une lettre un faire-part
vous soufflez les mots pleins qui me viennent à la bouche

*

au plus fort du grand songe tombe Maïakovski
trace laissée sur les murs gris des usines
et dans ce monde hurlant dans ce feu en gésine
où l’on ne sait plus exactement qui est qui

tu danses Vladimir tu jettes tes poèmes
comme des brassées d’œillets d’acier fragile
Lorca tu cours dans les campagnes et dans les villes
de l’Espagne qui meurt toro des mots je t’aime

dans le matin du siècle tu nommes Ayguesparse
les émois amoureux que t’inspire ta femme
et bien des ans plus tard parmi les pages éparses
tu te souviens des rais de lumière et des flammes
qui te percèrent et furent tes fidèles comparses
vous nommez encore et notre monde et nos âmes

*

j’étais un enfant doux je craignais les nuages
effrayé de grandir et de sentir mon corps
se transformer fleurir au printemps des images
tout étonné d’un monde dont je m’étonne encore

j’étais amoureux comme on peut l’être à cet âge
à la radio un jour j’entends une chanson
c’était par Ferrat un poème d’Aragon
aimer à perdre la raison comme un orage

comme une nuée folle pleine d’oiseaux et d’éclairs
et tous les poètes par cette porte entrèrent
dans ma chambre au grand vent des passions admirables
des amours des colères des brasiers des enfers
du siècle dont je suis et ne puis me défaire
ô rêves et géhennes dont je suis le comptable

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