Serge Moureaux ou le combat pour la liberté et la justice

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Par | Journaliste |
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Inlassable plaideur pour la justice : Serge Moureaux est décédé ce 25 avril 2019, à 85 ans. Photo © lesoir.be

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Serge Moureaux a quitté la scène du barreau, la scène politique, la scène de la vie. Reste le témoignage d’un homme qui, toujours, a affirmé ses convictions et a mis en pratique, avec courage, les valeurs de liberté, d’émancipation des peuples et de solidarité envers les membres les plus fragiles de la société.

Avocat de la cause des peuples

L’avocat Serge Moureaux a joué un rôle crucial dans la défense des militants indépendantistes algériens et a sauvé, avec les membres du collectif des avocats du FLN en France et en Belgique, plusieurs Algériens de la guillotine. Il a risqué sa vie en assurant ainsi la défense de révoltés, de combattants pour la liberté et la dignité des peuples. 

Incapable de se rendre, pour des raisons de santé, à un colloque organisé à l’initiative de l’ambassade de Belgique le 29 octobre 2017 à la Bibliothèque nationale, dédié au « Front belge», il écrivait ceci : « C’est pourquoi, au moment de vous adresser ce message, c’est à des militants algériens que je pense, aux condamnés à mort de Douai sauvés de la guillotine, qui montraient l’exemple lors des grèves de la faim, planifiées par la Fédération et orchestrées par le collectif lors de réunions à Bruxelles ou à Lustin, à Me Popie, assassiné à Alger, Me Ould Aoudia à Paris, le professeur Laperches à Liège, mon ami Akli Aissiou, militant à l’Ugema, tué à Bruxelles par les services spéciaux français sur ordre du gouvernement du général de Gaulle. Car la guerre d’Algérie, ce fut un véritable combat, très dur, pour la liberté. Face aux tortures, aux exécutions sommaires, aux traitements inhumains et dégradants. »

Son combat contre les exactions coloniales, pour la liberté des peuples, contre l’extrême-droite s’est poursuivi sans relâche pendant toute sa carrière.

Il fut l’avocat de la partie civile dans le procès contre le Vlaamse Militanten Orde (VMO, activistes de l'extrême-droite flamande), contre le Front de la jeunesse (extrême-droite francophone), contre les incendiaires criminels de l'hebdomadaire POUR et partie civile pour l'État du Rwanda dans l'affaire Ntuyahaga près la cour d'assises de Bruxelles.

« Eloge du terrorisme »

Ses convictions, il les a détaillées en 2011 dans un livre au titre percutant : « Eloge du terrorisme » dont il explique ainsi le titre : « On comprendra aisément que mon éloge du terrorisme n’est pas celui des porteurs de torches qui allument les bûchers de l’Inquisition, de l’Holocauste ou de l’Islamisme totalitaire et sanglant, c’est celui des révolutions libératrices. » Il y prend la défense de l’homme révolté contre l’injustice et l’intolérance. Il dénonçait l’idéologie du tout au sécuritaire qui lamine les libertés fondamentales et occulte les « idéaux des Lumières qui exaltaient un humanisme égalitariste où l’homme, responsable de son sort, avait le devoir sacré de refuser la tyrannie, de combattre l’oppression sous toutes ses formes et de militer pour un monde meilleur d’égalité fraternelle. »

Et si les révoltés prenaient les armes et semaient des bombes, ce n’est que parce qu’ils étaient trop faibles face aux puissances tyranniques et que c’était le seul moyen d’alerter le monde. « Sans les militants de l’ANC de Nelson Mandela, sans le terrorisme, qui eût pensé à condamner l’apartheid et organiser le boycott de l’Afrique du Sud ? Sans le combat de Yacer Arafat, qui songerait à la création d’un Etat palestinien ? » Et pourtant, la manipulation des concepts imposée aux cerveaux humains par les Etats et gouvernements tyranniques, par le biais des médias de masse et des réseaux sociaux infiltrés par des propagandistes, triomphe contre l’analyse raisonnée des faits et des valeurs de nos sociétés. C’est ainsi que le résistant palestinien est devenu un terroriste mais on ne qualifie pas de terroristes les gouvernements israéliens criminels qui bombardent des populations civiles désarmées et emprisonnent des enfants.

Serge Moureaux dénonçait le terrorisme d’Etat, celui des riches, des multinationales, incarné par la dynastie Bush. Courageusement, devenu homme politique socialiste, il dénonçait le terrorisme de l’extrême-droite. Nous l’avons accompagné dans des conférences où il avertissait du danger de l’infiltration dans la gendarmerie et donc dans l’armée belge, de groupes secrets chargés de déstabiliser le pays pour le rendre plus fort face à la « menace communiste ». En 1985 et après, l’obsession sécuritaire envahissait le pays après les attentats – toujours non élucidés - perpétrés par les « Tueurs du Brabant » que l’on suppose être des militaires dont le but était de saper une démocratie belge trop à gauche, trop sociale, trop molle face à l’URSS et qui devait accepter l’OTAN comme grande défenseur des intérêts occidentaux et en priorité étatsuniens.

La déstabilisation a vu exploser en Europe des actes terroristes d’extrême-gauche, réprimés très durement, et d’extrême-droite très meurtriers et la plupart du temps impunis. « Il y aurait un terrorisme propre, celui des armées modernes, et un autre qui serait sale, celui des révoltés e des opprimés, ces gens qui ne jouent pas le jeu de nos guerres civilisées et de nos répressions professionnalisées. », écrivait-il dans son livre qui continue à nous éclairer dans une actualité dramatique.

Un défenseur de la justice sociale et de l’urbanité

Homme politique, Serge Moureaux a joué un grand rôle dans la constitution d’une Agglomération bruxelloise, devenue, il y a trente ans, la Région de Bruxelles-Capitale. Chargé de l’urbanisme il a participé à la lutte contre la destruction aveugle des quartiers et l’expulsion des habitants les plus pauvres. Avec les comités d’habitants et les organisations comme l’ARAU et Inter-Environnement, il a aidé à ce que s’élaborent les nouvelles formes de relations entre pouvoirs politiques locaux et les citoyens dans cette ville de Bruxelles, devenue un laboratoire des démocraties participatives qui ont maintenant voix au chapitre.

Il s’agissait aussi d’élaborer les plans d’aménagements communaux dans le cadre d’un plan de secteur, c’est-à-dire d’une politique d’urbanisme cohérente à l’échelle de la région. Ce travail visionnaire de Serge Moureaux s’est heurté à la réticence des communes jalouses de leurs prérogatives… René Schoonbrodt, président de l’ARAU salue le travail de Serge Moureaux qui « installe une série de tables rondes où les comités peuvent, pour la première fois, défendre leurs conceptions et être entendus. », raconte-t-il dans son livre « Vouloir et dire la ville ».

Nous avons relaté, comme journaliste, et ce pendant des années, l’élaboration de cette nouvelle politique urbaine, de cet urbanisme plus démocratique car il s’ouvrait aux propositions des habitants et pas seulement aux décisions des grands promoteurs immobiliers. Avec courage politique et une probité sans faille, Serge Moureaux a démontré, une fois de plus, que le combat pour les valeurs était primordial dans sa vie.

Défenseur des journalistes

Devenu sénateur, Serge Moureaux a mené plusieurs combats. Nous nous sommes retrouvés, une fois de plus, sur un idéal commun : la défense du journalisme comme élément de la démocratie. Fin 1995, nous étions à la veille d’un grand débat au Sénat consacré à la régulation ou l’autorégulation déontologique de la presse. La situation était tendue entre les pouvoirs politiques, judiciaires et la presse. Il déposait une proposition de loi instaurant un secret professionnel pour les journalistes et interdisant les perquisitions visant à déterminer la source d’une information. Il y rencontrait également le problème posé par les interdiction d’émissions télévisées prononcées par les tribunaux.

Jusqu’au bout, Serge Moureaux aura été l’avocat de ceux qui se lèvent pour dénoncer les injustices. Visionnaire, il a dénoncé cette « démocratie musclée » qui surveille toute contestation sous prétexte de lutte contre un terrorisme désigné arbitrairement par les maîtres du monde : « cette bleusaille omniprésente qui karchérise les révoltes des laissés-pour-compte va susciter jour après jour une tension insupportable qui débouchera sur une nouvelle explosion populaire. »

Nous y sommes, en effet. La réponse que prônait Serge Moureaux reste : la révolte, plus de démocratie, plus de participation citoyenne.

https://www.elwatan.com/edition/actualite/disparition-de-lancien-responsable-du-collectif-des-avocats-belges-du-fln-une-pensee-fraternelle-pour-me-serge-moureaux-29-04-2019

« Eloge du terrorisme », Serge Moureaux. Editions du Flambeau. 2009.

« Vouloir et dire la ville », « Quarante années de participation citoyenne à Bruxelles », René Schoonbrodt, Archives d’Architecture Moderne, 2007. www.aam.be

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