« Vous voudriez au ciel bleu croire »

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Lundi 9 mars

 Á Ryad, Mohammed Ben Salman ne veut voir qu’une seule tête, la sienne, dans le miroir de ses prétentions. Il continue donc à en couper, fussent-elles de sang princier, fussent-elles même de sa propre famille. Il est convaincu de faire le bien. Il possède un exemplaire de la Déclaration des droits de l’Homme mais elle est illisible, ayant trempé dans le pétrole. 

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 Le gouvernement italien a été contraint de bloquer le pays. Devant l’augmentation saisissante de la mortalité due au coronavirus, le Premier ministre a pris une mesure inédite : mettre toute la nation en quarantaine jusqu’au 3 avril. « Io resto a casa » est une phrase qui entrera dans l’histoire de la Péninsule. Les images de Venise totalement déserte expriment bien l’ampleur d’une mesure dont la rareté dégage l’éventuelle dimension du péril. Les échoppes aux déguisements de faciès abandonnent leur pittoresque dans les rues étales. Elles arborent les masques en forme de bec que l’on portait au XVIIe siècle pour se préserver de la peste. Et l’on se prend à imaginer que les protections faciales d’aujourd’hui, hélas moins esthétiques, pourraient réapparaître en 2320 aux fêtes carnavalesques de la sérénissime… Ce ne serait pas un moment inoubliable dans l’histoire de l’art, ni dans celle de la santé publique.

Mardi 10 mars 

 Il est désormais impossible d’observer la marche du monde sans être happé par une information, frappé par une statistique en rapport avec le coronavirus-Covid 19 .

Mercredi 11 mars

Á une très confortable majorité (« écrasante » disent, dans ces cas-là, les commentateurs…) la Douma ratifie la proposition de Poutine de « remettre les compteurs à zéro », comme si bébé Vladimir venait de naître. Il n’a même plus besoin de roquer avec Medvedev. L’histoire recommence. Donc, il pourrait se succéder à lui-même en 2024, pour six ans. Et en 2024, qui pourrait alors succéder à Poutine ? Ben… Poutine pardi ! Puisqu’on recommencerait à zéro, il aurait bien le droit d’accomplir deux mandats non ? On n’attend plus que la décision du Conseil constitutionnel pour la remise des compteurs à zéro (on ne se lasse vraiment pas de cette formule…) Salut l’artiste !

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 Le championnat d’Europe de football se poursuit selon des règles de précautions différentes, d’un pays à l’autre, virus oblige. Au Parc des princes, Paris reçoit Dortmund dans un stade vide. Á Anfield road, Liverpool affronte Madrid devant quelques dizaines de milliers de passionnés chauffés par l’intensité du match. Car là est bien le contraste : d’un côté la mièvrerie malgré un engagement affirmé, de l’autre une impétuosité pimpante et fringante. Le constat, grâce aux images de la télé, - si l’on ose dire – saute aux yeux : les grandes compétitions sportives sont d’abord un spectacle.

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 Dans l’encyclopédie chronologique personnelle du diariste, on note que c’est un 11-mars qu’Ernest Renan prononça, en 1882, sa fameuse conférence à la Sorbonne sur le thème « Qu’est-ce qu’une nation ? » Le texte est toujours disponible en librairie, publié par les éditions Mille et une nuits. Et comme tous les grands discours de référence, il n’a pas vieilli. Le lire aujourd’hui, c’est le placer en calque d’une réflexion sur l’avenir de l’Europe ; voire même, déjà, sur celui de certains États qui la composent.  

Jeudi 12 mars

 Bernie Sanders devrait se rendre à l’évidence : Joe Biden fait désormais la course en tête. Il a d’ailleurs déclaré qu’il devra prochainement dialoguer avec son « ami Joe ». Les démocrates sont tellement convaincus qu’au-delà de leur propre destin, celui des États-Unis ne peut plus dépendre de Donald Trump que l’unité de leur combat s’impose très vite. Leurs électeurs ne le comprendraient pas autrement. Sanders ne va pas pour autant abandonner la course sans influence. Il pèsera d’un poids conséquent dans le programme de Biden. Celui-ci va donc dégager des idées progressistes parfois surprenantes à l’heure de l’épreuve finale. Mais l’apport de Sanders concernera surtout le plan sociologique. Les deux hommes ont quasiment le même âge (Sanders 8 septembre 1941 – Biden 20 novembre 1942), toutefois, l’électorat jeune militant, actif dans la campagne est du côté du socialiste et manque à l’ancien vice-président d’Obama. C’est une donnée qui comptera dans l’affrontement avec Trump (14 juin 1946). Quoiqu’il en soit, les Étatsuniens se préparent donc à une joute de septuagénaires.

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 Bien que des mesures de plus en plus radicales de confinement sont prises partout en Europe, au cours d’une longue allocution télévisée où il les détaillait en solennité comme en responsabilités fermes et assumées, Emmanuel Macron n’a pas annoncé le report des élections municipales, justifiant leur maintien par la nécessité que la démocratie puisse s’accomplir. Cette sage décision doit être saluée, en espérant que les résultats ne seront pas biaisés par une abstention trop massive. Et puis, la progression du virus semblant assez exponentielle, si l’on voit bien à peu près comment se déroulera la consultation dimanche, bien malin qui pourrait décrire l’organisation de celle du second tour, le dimanche 22 mars, une semaine plus tard ; une semaine pendant laquelle les qualifiés avaient l’habitude de serrer un maximum de mains…     

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 Coucou ! Revoici Manuel Valls ! Le 1er mars, on pouvait regretter que Le Parisien, en sous-entendant un possible retour aux affaires du Barcelonais malchanceux, avait omis de consulter les archives afin d’évoquer ses propos lorsqu’il abandonna la France. Aujourd’hui, Le Point s’en charge avant un entretien avec Hugo Domenach, du même tonneau que celui du journal : « Visiblement, il trépigne. S’il avait juré mordicus que désormais sa vie était à Barcelone, sa ville natale, où il n’est plus que simple conseiller municipal d’opposition, Manuel Valls fait à nouveau une offre de services à ce pays, la France…. » Au temps où l’esprit dominait les rassemblements du PS, on comparait les traversées du désert avec celles des bacs à sable…

Vendredi 13 mars

 Le Soir consacre deux pages entières à passer en revue les femmes qui exercent le pouvoir dans leur pays, photo carte d’identité à l’appui. Cela permet de découvrir des noms quasiment négligés, comme Ekaterini Sakellaropoúlou, présidente de la République grecque, Sahle-Work Zewde, présidente de la République éthiopienne, Sheikh Hasina, Première ministre du Bangladesh. Du côté de l’Union européenne, on trouve bien entendu Angela Merkel mais aussi la Première ministre belge Sophie Wilmès et l’étonnante jeune Première ministre de Finlande, Sanna Marin. La liste, qui se veut exhaustive, ne présente point la birmane Aung san suu kyi. L’oubli est significatif. Il y a quelques années, celle qui fut honorée d’un prix Nobel de la Paix aurait figuré, madone asiatique, en tête de la liste. Pourquoi l’ignorer aujourd’hui ? Parce qu’elle a mal tourné ? Justement, c’est une dimension qu’il importe d’intégrer :  si la direction d’un pays demeure encore trop réservée aux hommes, si beaucoup plus de femmes doivent être portées aux responsabilités suprêmes, la tendance vers la parité ne peut qu’être progrès dans l’égalité des sexes. Cependant il ne faut pas croire pour autant que les abus de pouvoir ou les déviances s’estomperaient. L’être humain a des défauts et des faiblesses, quel que soit son genre.

Samedi 14 mars

 Puisque chacun est confiné chez soi pour éviter la pandémie, seules la lecture et les appareils audiovisuels peuvent encore meubler la détente. L’occasion est belle, pour les chaînes de télévision, de recouvrer l’identité, la fonction qu’elles n’auraient jamais dû délaisser au profit d’émissions débiles mais financièrement rentables. Ne divaguons pas : ces entreprises à fric exploitant la candeur humaine, tirant profit de l’aveulissement avec habileté, ne changeront rien à leurs programmes si ce n’est au plan de l’information. Une exception surgit parfois du champ de désolation. De temps en temps, la bêtise est supplantée. Ainsi, hier soir, FR3 régala. Elle présenta un documentaire de deux heures sur Jean Ferrat (Philippe Kohly, 2018), grâce auquel on ne put qu’être ému, comme à chaque audition, en suivant l’histoire de « Nuit et brouillard », et charmé par la poésie de Louis Aragon que Ferrat parvint à populariser en des mélodies où les vers frissonnent si bien. Á peine reprenait-on ses pensées en évasion intemporelle que l’on enchaînait, sans séquence de pub, avec une superbe production de Rachel Kahn, un autre documentaire (Sylvain Bergère, 2020) consacré cette fois au faramineux Boris Vian qui aurait eu cent ans mardi dernier. Toutes les facettes de ce personnage multiple, qui brûlait sa vie la prévoyant très courte (il mourut le 23 juin 1959), furent abordées : la folle époque du Tabou à Saint-Germain-des-Prés où la trompette de Bison Ravi (son anagramme) endiablait les tympans des amateurs de jazz ; ses romans, qui connurent un formidable succès de librairie après sa mort ; ses amitiés, ses complicités qui donnaient naissance à tant de facéties… Et du temps où Ferrat comme son épouse Christine Sèvres chantaient « … Vous voudriez au ciel bleu croire je le connais ce sentiment… », Mouloudji, Reggiani et d’autres entonnaient « Le Déserteur ». Simone avait raison : la nostalgie n’est plus ce qu’elle était. Juste un petit regret : Boris Vian écrivit un des plus bouleversants poèmes sur l’approche de la faux. On aurait aimé qu’il fût dit, si possible dans son intégralité, par un grand comédien. Arditi, Wilson, Laffitte, Huster ? Mieux encore : n’y a-t-il pas dans les archives une lecture par Jean-Louis Trintignant ? C’est la voix parfaite pour dire

Je voudrais pas crever

Avant d’avoir connu

Les chiens noirs du Mexique

Qui dorment sans rêver

(…)

Je voudrais pas crever

Avant d’avoir goûté

La saveur de la mort …

 

  Tous ceux qui étaient persuadés que l’élévation culturelle nourrirait la fraternité en donnant à la société un supplément d’âme, tous ceux qui, militants de l’humanité en marche vers la justice sociale et l’égalité, se convainquaient que la finalité de la Culture, c’est la paix ; tous ces idéalistes-là voyaient en la télévision un outil d’éducation permanente considérable. Tantôt distraire les uns en instruisant, tantôt instruire les autres en distrayant. Il ne faut jamais insulter les rêves.  

Dimanche 15 mars

 Quelle que soit l’ampleur de la pandémie et même si, par miracle, elle s’interrompait tout-à-coup, elle donne une leçon de modestie à l’Homme en révélant sa fragilité tout comme elle prouve que la Nature n’est point parfaite, qu’elle se trompe parfois, et qu’elle renferme dans tous ses actes la loi du plus fort. De nombreux autres enseignements surgiront de cette période fermée, d’autres pratiques apparaîtront qui feront débat, mais pour l’heure, ces premiers constats peuvent déjà établir la base des futurs raisonnnements.

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L’artiste Christo, 84 ans et veuf de la chère Jeanne-Claude qui le secondait partout et pour tout, va emballer l’Arc de Triomphe de Paris. Celui-ci le restera du 19 septembre au 4 octobre. Grâce aux reflets de la toile utilisée, ce monument resplendira sous les rayons du soleil. En 1985, Christo avait emballé le Pont-Neuf. Si l’on se souvient de l’engouement que l’œuvre avait suscité, on peut sans risque de se tromper pronostiquer que des millions de visiteurs viendront admirer le travail fabuleux de ce phénomène. Et que personne n’ose s’exclamer : « Si Napoléon voyait ça ! ». Napoléon commanda en effet la construction de l’Arc de Triomphe en 1806 mais il ne le vit jamais puisqu’il mourut longtemps avant l’inauguration en 1836 par Louis-Philippe qui le dédierait « à la Révolution et à l’Empire ».

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