Dale Grimshaw et la cause papoue.

Street/Art

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Ce n’est pas pour me vanter mais je n’ai rien de particulièrement intéressant à dire sur nos actuels heurs et malheurs. N’étant pas dans la confidence des puissants, je sais ce que tout le monde sait. Par contre, j’ai des choses intéressantes à dire sur les Papous. Plus précisément sur le traitement de la cause papoue par un artiste anglais Dale Grimshaw.

Il est né dans le Lancashire, dans le nord de l’Angleterre. Une enfance difficile, les cours de la Fondation d’art Blackburn, l’université de Middlesex à Londres. Un artiste qui mène de front une œuvre « dans la rue » et un travail d’atelier. En fait, tableaux et « murals » sont comparables : mêmes techniques, mêmes sujets. Seules les dimensions diffèrent. Les « murals » sont le plus souvent de très grandes dimensions et relèvent davantage du muralisme. L’artiste se fait photographier devant ses « murals », bien sûr pour nous donner une idée relativement précise des dimensions de l’œuvre, mais également pour insister sur ce trait qui le distingue d’autres street artists anglais. Les sujets de Grimshaw sont des portraits ; des portraits gigantesques quand ils sont peints dans la rue.

L’artiste aborde deux grands thèmes : des portraits, voire de vastes compositions, qui renvoient à l’esthétique de l’«heroic fantasy», des portraits de populations indigènes. En particulier, il a peint de nombreuses toiles et bon nombre de murals représentant des Papous de Papouasie-Nouvelle-Guinée occidentale. Ma chronique sera consacrée à une réflexion sur ces portraits.

Je vous entends me demander pourquoi parler en 2018 des Papous de Nouvelle-Guinée occidentale ?

Comme souvent pour comprendre la situation actuelle, il convient de faire un petit point d’histoire. Fin du 19ème siècle, l’île est partagée entre les Pays-Bas (Nouvelle Guinée occidentale) et l’Allemagne (Papouasie orientale). Après la 1e guerre mondiale, la Papouasie orientale est administrée par l’Australie. Pendant la seconde guerre mondiale, les Japonais conquièrent l’île. Les Hollandais partis lors du conflit après la guerre reviennent prendre possession du territoire. Le 27 décembre 1949, après 4 ans de lutte contre les Hollandais, l’Indonésie obtient son indépendance. La Nouvelle Guinée occidentale depuis cette date fait partie de l’Indonésie. La partie Orientale est un Etat indépendant. La partie occidentale de la Nouvelle guinée a des ressources naturelles et minières. Le sous-sol de la péninsule de Doberai est riche de pétrole. L’île de Waigeo possède des mines de cobalt, d’or et de cuivre parmi les plus productives du monde.

Les populations autochtones ont subi une politique de transmigration : des milliers de Papous ont été envoyés à Java. Dans le même temps, des centaines de milliers d’indonésiens sont venus s’implanter dans le territoire (15, 1% par an) réduisant la part des Papous par rapport à la population totale (2 500 OOO habitants environ).

Depuis les années 60, des tendances séparatistes sont apparues. En 2001, le chef du mouvement indépendantiste Theys Eluay est assassiné par les forces spéciales indonésiennes. En 2014 est fondé le gouvernement uni pour la libération de la Papouasie occidentale. Les manifestations publiques sont réprimées avec une rare violence. On estime que des dizaines de milliers de Papous ont été tués depuis les années 60 dans ce conflit séparatiste très peu médiatisé.

Pendant plus de 40 ans, le gouvernement indonésien a bloqué l’accès aux médias et aux organisations de défense des droits humains. Récemment, le président Jodo Widodo sous la pression internationale a levé ces restrictions. Les violations des droits de l’homme sont constantes comme le déclare Andreas Harsono, représentant de Human Rights Watch en Indonésie : « Toutes les semaines, je reçois des rapports sur les violations des droits de l’homme en Papouasie, qu’il s’agisse de passages à tabac, de meurtres, de violences sexuelles, de discriminations à l’emprunt dans les banques. »

En résumé, les Papous deviennent minoritaires en Papouasie, leurs richesses sont confisquées par l’Indonésie (avec l’active participation des multinationales américaines et canadiennes), leur volonté d’indépendance est écrasée militairement, les tribus papoues assistent impuissantes à leur disparition.

Comment se manifeste le soutien de Dale Grimshaw à la lutte des Papous pour leur indépendance ?

Par des portraits. De magnifiques portraits de Papous.

Ces portraits sont particuliers. Tout d’abord, les Papous habillés comme vous et moi, à l’occidentale, ne sont pas représentés. Ce sont les Papous des cérémonies rituelles et religieuses. Les Papous portent alors tous leurs ornements : des coiffes multicolores, des peintures sur le corps, des attributs traditionnels. Nous sommes saisis par la beauté des visages et l’explosion des couleurs. Cette beauté qui vient du fond des âges est condamnée à disparaître. Sous nos yeux, des pratiques religieuses, des rites, mais aussi des chants, des poèmes, une musique, une culture est assassinée sous nos yeux. Nous sommes les témoins d’un génocide. Un de plus. Ne rien faire quand on sait, c’est quelque part cautionner !

Les Papous de Grimshaw nous regardent. L’artiste a accordé à la reproduction des yeux un soin spécifique. Il sait que celui qui voit l’œuvre la regardera d’abord dans les yeux. Des yeux humains, tellement humains ! Les yeux qui se croisent créent un lien. Ce lien c’est l’empathie. Nous reconnaissons à « celui » que nous voyons le statut de personne.

Le Papou que je regarde est un homme, beau, en majesté. Nul besoin d’un lettrage pour comprendre le message.

De plus, à la luxuriance des couleurs peintes sur le corps s’ajoute le raffinement du décor. Les motifs des décors sont divers mais tous sont très élaborés. Les couleurs de fond mettent en valeur le premier plan. Ils sont surprenants quant à la sophistication des formes et à la portée symbolique des couleurs. Dale Grimshaw met en scène son sujet. Il offre à son portrait l’écrin du décor comme dans la peinture victorienne.

La facture est réaliste et certains détails, je pense aux yeux, dépassent le réalisme et m’apparaissent comme hyperréalistes. Grimshaw réinterprète les codes de la peinture classique anglaise et nous donne à voir une peinture d’une grande modernité. Une peinture qui a intégré le portrait posé classique et l’hyperréalisme.

Cette forme est au service d’un combat politique. Les œuvres de Dale Grimshaw nous interpellent et nous prennent à témoin. Serons-nous les témoins passifs de la disparition d’un peuple si beau ! Seule la pression des opinions publiques occidentales est en mesure de créer un rapport de force avec l’Indonésie pour que la Papouasie soit enfin libre.

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