Epi2mik, traits d’union.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Dans ces colonnes, j’ai publié le 25 avril 2018, un article titré « Dans la peau d’Epi2mik. » dont l’ambition avouée était de tenter de comprendre par l’étude des œuvres le processus créatif d’un artiste atypique, Epi2mik. En retour à l’envoi de mon billet, Epi2mik avait eu la gentillesse de m’écrire : « J'en ai les larmes aux yeux, merci, merci beaucoup, vous avez non seulement compris mon travail mais vous en avez surtout compris son essence, son concept. Je ne sais pas quoi dire à part merci. »

Bien sûr, le retour d’Epi2mik a été gratifiant pour celui qui cherche à comprendre à la fois l’histoire d’un projet artistique et ses ressorts secrets. Il n’en demeure pas moins qu’en regardant les œuvres récentes de l’artiste, j'ai le sentiment que je suis passé à côté d’une réflexion sur la géométrie et les représentations du réel.

A première vue (et même à la seconde), le regardeur des œuvres d’Epi2mik voit une défense et illustration de la géométrie. C’est une fausse évidence qui mérite un détour.

L’artiste n’a qu’un outil, un simple feutre, pour dessiner ses « ronds » et ses filaments qui relient entre elles, dans un réseau d’une incroyable complexité, des formes. Il suffit de changer d’échelle et le regardeur ne voit plus de cercles parfaits ni de courbes régulières, encore moins de traits droits. La main de l’Homme étant imparfaite, son dessin l’est également.

Comment expliquer alors cette illusion de la perfection géométrique ? La culture occidentale depuis des temps immémoriaux a toujours été fascinée par la géométrie. D’abord étroitement liée à des problématiques pratiques (par exemple, retracer les bornes des champs après les crues du Nil dans l’Égypte antique), elle fascina les grands esprits qui n’eurent de cesse d’en découvrir les lois. On inventa les formes de base, la ligne, le carré, le rectangle, le triangle etc., les solides et leurs propriétés mathématiques. La géométrie antique, fille de Platon et d’Euclide, fut un objet culturel fort utile dont les applications furent innombrables (arpentage, astronomie, architecture…). Simple rappel pour replacer la géométrie dans une épistémologie.

Passionnante certes l’histoire de sa création n’est pas l’aspect qui retient aujourd’hui mon attention. Je passe sous silence le rapport platonicien entre la géométrie et les « idées ». Je retiens, par contre, le fait que cette géométrie qui reste dans nos vies d’Hommes du XXIe siècle celle que nous utilisons, a été et reste une grille de lecture pour décrire la Nature.

Les philosophes de l’antiquité ont constamment recherché les rapports qu’entretiennent Nature et géométrie. Ils pensaient en découvrant les propriétés de la géométrie lever un coin du voile recouvrant les mystères de la Nature. Si le nombre d’or était utilisé dans l’architecture c’est parce qu’il était « inscrit » dans la Nature. Inscrit mais caché.

Ces penseurs ne furent pas les seuls à chercher des correspondances entre Nature et géométrie. Baudelaire établissait des « correspondances », une bonne part de la pensée ésotérique est fondée sur cette idée que les nombres et les formes ont des significations secrètes et des pouvoirs tout aussi secrets sur les Hommes.

En fait, l’enseignement de la géométrie qui est dans les sociétés occidentales très précoce (dès l’École maternelle) développe ce que les pédagogues nomment une « géométrisation du Réel ». Ainsi, nous voyons des immeubles rectangulaires, des routes parallèles, la Terre ronde, les murs de mon bureau perpendiculaires au plancher et au plafond…Pour voir, il faut comprendre et donc saisir les rapports entre les lignes et les volumes. Pour comprendre, inconsciemment, je réduis lignes et volumes à des catégories simples pour, d’un regard, comprendre (prendre avec.) les rapports. Ma perception est le résultat (réussi !) d’un apprentissage. Sans cette aptitude développée par la culture, le monde serait un chaos. . En vérité (et entre nous !), les lignes droites n'existent pas. Pas davantage, les cercles. Ce sont des concepts et non des réalités objectives.

En résumé, ce sont nos savoirs, des savoirs appris, qui nous font voir dans la Nature des propriétés géométriques et arithmétiques qu’elle n’a pas.

Les peintres (et nombre d’autres artistes), grands copieurs de la Nature devant l’Éternel, ont utilisé la géométrie pour donner l’illusion que leurs tableaux reproduisaient la Nature. L’invention de la perspective en est un exemple. La composition également.

Revenons à nos moutons, ou plutôt aux dessins d’Epi2mik. Essentiellement des courbes tracées au feutre dans l’espace de la feuille de papier à dessin. Aucune tentative de rendre compte du volume ; pas de perspective. Quant à la composition, elle apparait l’œuvre terminée mais ne me semble pas précéder l’exécution de l’œuvre. L’œuvre est rythmée par la succession de symétries et de dissymétries et par les oppositions de grandeurs.

L’exécution s’apparente davantage à la musique qu’au dessin technique. Sans conception préalable d’un quelconque schéma général. Les formes dessinées s’engendrent suivant en cela la pensée de l’artiste. Une pensée « graphique », dirais-je, qui a aucun moment ne tente de copier le Réel et/ou de suivre les « règles » du dessin « classique ».

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L’œuvre se déploie dans l’espace et dans le temps. Epi2mik part du dessin d’une forme et se laisse porter par la vague, dans un rêve éveillé, une méditation poussée par les vents. Une exécution hors du temps, à moins que cela soit « le temps du rêve », cher aux Aborigènes. Sauf que, comparaison n’est pas raison, Epi2mik n’a pas le projet de laisser de traces d’images vues dans son « rêve ». Car il ne voit pas des « images », copies du Réel, mais des lignes qui composent des formes, elles-mêmes reliées à d’autres lignes etc. L’exécution de ses œuvres ressemble à une prolifération : non pas de cellules, mais une prolifération de lignes. Son « imaginaire » n’est pas constitué d’images. Epi2mik n’est pas comme le commun des mortels, prisonniers de l’image. Ses œuvres portent témoignage de sa différence.

En écrivant cette conclusion, j’ai à l’esprit l’image de son rouleau de 10 mètres de long sur 1,50 de large étalé sur le sol, encadré par les têtes curieuses des enfants qui s’émerveillent des « beaux dessins » et d’Epi2mik, à leur côté, bienveillant, répondant aux questions des mômes. Je me dis que ce rouleau est peut-être symbolique du rapport d’Epi2mik aux autres. Comme un cordon ombilical, le rouleau, le dessin, est ce qui le relie au Monde. Le fil est ténu. Un trait médium sur du papier. Mais il lui est essentiel.

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