La profanation : le vol du pochoir de Banksy.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Le 26 janvier 2019, tous les médias nationaux et internationaux sont en émoi, on a volé la porte de secours du Bataclan !

Sur Twitter, l’équipe de Bataclan annonçait : « L’œuvre de Banksy, symbole de recueillement et appartenant à tous : riverains, Parisiens, citoyens du monde nous a été enlevée ». Moult détails du casse étaient donnés : la porte découpée à la disqueuse, l’œuvre embarquée dans une camionnette blanche, le déclenchement de l’alarme, l’arrivée de la police à 4H30 du matin, l’ouverture d’une enquête pour « vol avec dégradation », pour le vol de la porte !

A dire vrai, ce n’est pas la première fois qu’un pochoir de Banksy peint dans la rue est « volé ». Tout au plus, le « vol » est annoncé par quelques lignes dans la presse. Dans le cas d’espèce, l’écho du vol d’un pochoir de Banksy sur une porte a atteint des sommets dans la médiatisation. Il m’a semblé intéressant d’interroger le traitement par la presse de ce fait divers et les vagues d’indignation qui s’ensuivirent.

La première question à laquelle il convient de répondre est de savoir si le pochoir fait sur la partie extérieure de la porte de secours du Bataclan est de Banksy. L’œuvre est apparue en juin 2018 et elle a été réalisée à la peinture blanche au pochoir sur un fond noir. On voit un enfant, je pencherais pour une petite fille, la tête inclinée vers le sol dans une posture de recueillement, la tête couverte d’une voilette. Tout évoque l’affliction et le deuil.

L’œuvre n’est pas signée mais elle est attribuée à Banksy. L’artiste ne signe jamais ses œuvres mais la technique, le pochoir, et la nature de l’œuvre même est bien dans la veine d’autres pochoirs de l’artiste anglais.

Pour éviter que des gogos se fassent avoir par de faux Banksy, Banksy a créé le « pest control » qui « certifie » les œuvres. Par ailleurs, la publication sur le site Internet officiel de Banksy d’une image des œuvres vaut certification. Dans le cas présent, pas de certification par le « pest control » ni de publication sur le site. L’attribution est en conséquence incertaine, mais là n’est pas le point qui m’interroge. Je considérerais donc que l’œuvre est un pochoir de Banksy, jusqu’à la preuve du contraire !

Mes chers confrères sont allés vite en besogne en recoupant les dates de présence de Banksy à Paris, la peinture au pochoir en juin 2018, et ont conclu que l’œuvre était un hommage de l’artiste aux victimes de l’attentat du 13 novembre 2015. Dans la foulée, mes très chers confrères, ont également attribué la phrase écrite sur le panneau de bois remplaçant provisoirement la porte (You can win the rat race but you’re still a rat) à Banksy alors qu’on s’interroge sur l’auteur de cette petite phrase devenue culte mais que de toute évidence ce n’est pas Banksy ! (La confusion vient certainement de l’existence d’un pochoir récurrent de Banksy, le rat anarchiste). J’ai un peu de peine à imaginer que le célèbre artiste, après le vol de la porte et après la pose d’un panneau pour remplacer la porte dérobée soit venu d’Albion, la perfide, nuitamment, avec un mauvais feutre, écrire cette phrase d’un autre que lui. Mes confrères pour donner plus de poids au fait divers ont d’autre part affirmé : « cette image saisissante avait trouvé sa place dans l’histoire récente de la capitale, devenant un support de mémoire autant qu’un symbole de résistance. »

Comme beaucoup j’ai appris l’existence de ce pochoir à l’occasion du vol de la porte ! Bref, d’approximations en conjectures, d’emphase en exagérations, la presse a mis en récit une suite d’erreurs et d’invraisemblances.

Bon prince, je vais considérer que le pochoir est de Banksy (quant à la fameuse petite phrase, non, je considère que c’est un clin d’œil d’un fan de Banksy insuffisamment renseigné). Pourquoi de telles vagues pour une œuvre de Banksy ?

Les voleurs ont dérobé une œuvre parce qu’ils considéraient qu’elle avait une valeur. Une valeur sur le marché noir, comme l’œuvre blanche sur fond noir. L’émotion suscitée par le vol n’est pas en rapport avec la valeur du vol, genre « un transporter de fonds a volé treize millions d’euros ». Elle a été générée par le fait qu’un hommage d’artiste aux morts du Bataclan ait été dérobé.

Nous entrons là dans un système d’explication qui n’a pas grand-chose à voir avec un pochoir et avec Banksy mais qui a tout à voir avec le respect qu’on doit aux morts et aux lieux qui y sont attachés.

Le respect dû aux morts a-t-on l’habitude de dire. Comme si le respect des morts, des tombes dans un cimetières par exemple, était un devoir. Un devoir moral traversant toutes les cultures et tous les codes sociaux. La sociologie, l’ethnologie, ont beaucoup à dire sur le culte des morts tel qu’il existait dans toutes les sociétés et civilisations du passé et tel qu’il existe encore aujourd’hui, en France, en 2019. Un culte qui revêt de nouvelles formes mais qui, à l’occasion, se manifeste.

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A ce propos, un entrefilet récent dans la presse, a retenu mon attention. Il s’agissait d’un entretien entre un journaliste et un homosexuel qui parlait d’un carré dans le cimetière du Père Lachaise qui est un lieu de rencontre pour les gays. Il disait (je le cite de mémoire), « on se rencontre dans le cimetière, mais on fait pas ça sur les tombes ». Mon mauvais esprit m’a soufflé que, à vrai dire, cela ne les dérangerait pas outre mesure les voisins du dessous. Plus sérieusement, ce tabou illustre à mon sens, une déclinaison moderne du culte des morts.

Alors Banksy ou pas Banksy ? peu importe. On trouve dans les musées du monde des milliers de tableaux qui sont de fausses attributions. C’est l’écho d’un fait divers somme toute mal étayé, qui révèle nos croyances les plus secrètes et les plus fondamentales, mal cachées, et qui parfois, émergent.

Le pochoir en situation.
Le Bataclan.
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