Ruben Carrasco : La revanche du renard.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Le 20 novembre 2021, le mexicain Ruben Carrasco a recouvert d’une fresque blanche sur fond noir la belle fresque colorée de Murmure. Le « regardeur » est d’abord saisi par la modestie des moyens : 100 ml de peinture blanche, deux pinceaux, un sujet, pas de décor, une scène. Nous reviendrons dans un deuxième temps sur cette modestie choisie par l’artiste pour nous interroger sur sa signification, pour l’heure il convient de décrire l’unique scène de la fresque.

A gauche, un renard de taille gigantesque, regarde avec curiosité un groupe d’hommes minuscules qui tirent un traineau chargé d’un moineau. Il s’agit d’une offrande, d’un cadeau que les Hommes font au renard. La scène rompt avec le réalisme. L’écart de taille entre l’Homme et le renard semble avoir été inversé. Dans un entretien l’artiste donne le référent de sa fresque. Il s’agit de la fable de La Fontaine « Le renard et les raisins ». A dire vrai, le rapport entre la fresque de Carrasco et la fable est tout sauf évident. Quand la signification est obscure, il est bon d’apporter quelque lumière.

Rappelons pour mémoire la fable de La Fontaine : « Certain renard gascon, d'autres disent normand Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille Des raisins mûrs apparemment Et couverts d'une peau vermeille Le Galant en eût fait volontiers un repas. Mais comme il n'y pouvait atteindre : Ils sont trop verts, dit-il et bon pour les goujats. »

Elle reprend, comme d’autres, la fable d’Esope » : « Un renard affamé, voyant des grappes de raisin pendre à une treille, voulut les attraper ; mais ne pouvant y parvenir, il s’éloigna en se disant à lui-même : « C’est du verjus. » Pareillement certains hommes, ne pouvant mener à bien leurs affaires, à cause de leur incapacité, en accusent les circonstances. »

Les situations sont identiques (un renard tente d’attraper des raisons hauts perchés), de même que la morale. Manquent des éléments de contexte qui sont sous-jacents mais tus : Les hommes cultivent la vigne qui est une liane et les raisins sont situés en hauteur ; le renard, animal réputé malin, essaie de se saisir des grappes de raisin dont il est particulièrement friand ; sa petite taille ne lui permet pas de les attraper ; il finit par y renoncer au motif qu’ils ne sont pas mûrs.

La scène d’un renard essayant de manger des raisins devait assurément faire image pour les Grecs de l’antiquité, les Romains et les lecteurs de La Fontaine. De nos jours, cette scène serait improbable. Les vignes dont on fait nos vins sont basses et les maisons dont les murs sont couverts d’une vigne grimpante de moins en moins nombreuses. Quant aux renards, ils sont exterminés car considérés comme « nuisibles ». On peut les chasser toute l’année sans limites. Il ne fait aucun doute que le renard de Carrasco ne renvoie pas au renard de nos campagnes mais au renard de la fable.

Les hommes peints par Carrasco, qui sont absents de la fable de La Fontaine, sont davantage esquissés que peints. L’économie de traits rejoints ici l’économie des moyens. On croirait voir des nomades inuits tirant un traineau. Manifestement, ils vont à Canossa ! La différence de taille entre le renard et les hommes symbolise le rapport de pouvoir. Le maître, c’est le renard. Un maître servi et honoré par des domestiques voire pourquoi pas, des esclaves.

La pauvre humanité offre un bien piètre cadeau à son seigneur et maître : un moineau. Pourquoi un moineau ? Certainement parce que c’est l’oiseau le plus banal de nos villes et de nos campagnes. Le plus banal également par son plumage, gris et marron. Bref, un petit oiseau sans charme.

Nous pouvons maintenant regarder la scène autrement. C’est l’exact opposé de la fable. Le petit renard devient gigantesque. Les hommes qui soumettent le renard au supplice de Tantale, ceux qui ont maîtrisé la vigne, sont soumis à l’animal.

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La fresque de Carrasco cache-t-elle une morale ? Le rapport de soumission entre l’homme et l’animal s’est-il inversé ? Je ne le pense pas. Je dirais même que jamais ce rapport n’a été aussi en défaveur de l’animal même si dans certaines sociétés et cela depuis la fin du 19ème siècle émerge l’idée que les animaux sont des êtres sensibles et qu’ils ont des droits. La diminution catastrophique de la biodiversité et l’élevage de masse en sont des illustrations. Quant au renard, souvenons-nous qu’il n’a jamais été chassé pour sa viande mais pour le plaisir et qu’il est l’objet d’une totale éradication.

Je suis davantage enclin à penser que la fresque de Carrasco est un jeu de l’esprit consistant à produire une « fable » qui soit l’inverse de la fable de La Fontaine. Un genre d’ « anti fable », en quelque sorte. Bien sûr, en inversant les rôles, la morale ne vaut pas. Ni celle de la fable ni une autre. Le talent de l’artiste est dans l’invention d’un récit alternatif et la production d’une image simple illustrant une inversion des relations entre l’Homme et l’animal.

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