Gilets jaunes et brexiters, même combat

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Quand le prix de l'essence s'envole de 10%, ma voiture me coûte en réalité 3% de plus. Photo Philippe Chérel © Ouest-France

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Le court-termisme se manifeste par deux exemples parfaits dans l'actualité de la semaine: le Brexit et ce qu'on appelle les gilets jaunes. Ces deux événements, dont on ignore ce qu'ils vont donner à l'heure où ces lignes sont écrites, témoignent à merveille de l'imprévoyance à long terme de l'être humain et de son impatience immédiate.

Sans vouloir se muer en donneur de leçons, il est tout de même hallucinant d'observer ce qui tout de même, au bout du compte, met la démocratie... voire l'espèce humaine en danger.

Le Brexit n'aurait jamais dû avoir lieu. Il est le résultat d'un jeu politicien qui a mal tourné. Pour se débarrasser d'une frange populiste et nationaliste et pour asseoir son pouvoir, le Premier ministre de l'époque – qui se souvient encore de David Cameron? – a ouvert la boîte de Pandore. Or une majorité de refus n'est pas une majorité de gouvernement. Penser que faire appel au peuple est le summum de la démocratie dans tous les cas est naïf: les mécontentements contradictoires s'additionnent. Des problèmes aussi amples sont complexes à saisir et les raccourcis des brexiters ont fini par l'emporter, certes au prix de mensonges et même d'un meurtre, alors qu'en fait la question n'avait aucun sens parce qu'il n'y avait pas de plan B ni d'accord de sortie.

Autrement démocratique serait de poser la question aujourd'hui, alors qu'une brique de 585 pages existe qui en fait, détermine surtout les lignes d'une vraie négociation future entre Londres et Bruxelles en accordant au fond des délais supplémentaires: doit-on continuer sur cette base de discussion ou rester dans l'Union européenne?

On aurait tort de sous-estimer le sentiment de frustration des brexiters qui se sentent floués parce qu'on ne respecte pas le vote et parce que le nouvel accord, qui a déjà entraîné la démission de cinq ministres du Royaume Uni, est très loin de leurs rêves... Theresa May a raison quand elle résume la situation en trois choix: cet accord, aucun accord du tout et c'est l'aventure casse-cou... ou rester dans l'Union. Il est assez pittoresque que ce dernier choix soit brandi comme une menace terrible...

Les gilets jaunes, eux, veulent bloquer la République française et cela percole vers la Belgique. Bien sûr il y a plein de raisons de mécontentement qui s'y ajoutent, mais le vrai motif, ce qui est à la base du mouvement qui est à la fois spontané et encadré (les populistes de tous bords s'y sont rués), c'est le prix du gazole et de l'essence. Or les études montrent que si en effet les carburants renchérissent, il est moins coûteux proportionnellement de rouler en voiture en 2018 qu'en 1970. C'est d'ailleurs probablement la raison pour laquelle il y a beaucoup plus d'autos qu'à l'époque, où elle était reine et où on massacrait les villes pour la laisser passer. Mais ce que personne ne souligne, c'est que d'une part les moteurs actuels sont nettement moins gourmands qu'alors (ma 2CV consommait plus en ville que mon actuelle Clio et c'est encore plus vrai sur route) et que de l'autre, le budget d'utilisation globale d'une automobile indique clairement que le poste essence est secondaire.

Un petit calcul?

J'achète une voiture neuve de 13.000 euros que je vais garder six ans et revendre 3.000. Je vais payer (soyons optimistes) en moyenne 300 euros par an de frais pour l'entretien, je vais changer une seule fois de pneus (400) et je vais payer environ 5.000 euros d'assurance sur les six ans. Je ne parle pas du garage, des pneus hiver, de la taxe de roulage, etc. Rien qu'avec ce service minimum, j'aurai dépensé 17.200 euros pour une petite voiture du genre de la mienne (une Clio avec le plus petit moteur à essence). Elle consomme en moyenne cinq litres et demi aux cent kilomètres (j'évite de m'en servir en ville), je vais compter 6. Disons que je roulerai 100.000 km, cela me fait 6.000 litres. L'essence coûte actuellement au litre un peu plus de 1,3 € (je viens de faire le plein). Eh bien cela me coûtera 8.000 euros. Moins de la moitié du reste! En réalité, et c'est encore plus faible avec des voitures plus coûteuses, le budget carburant ne pèse que pour 30% dans le prix réel d'une voiture. Imaginons maintenant que le prix de l'essence atteigne 2 €: ma facture va grimper à 12.000 euros. Pour que le budget carburant soit le principal, alors qu'il est perçu comme tel par à peu près tous les usagers, il faudrait que le litre d'essence frôle les trois euros...

Certes, ce n'est qu'un exemple. Si j'avais acheté une voiture d'occasion à 5.000 euros et que je m'étais contenté d'une assurance basique, en imaginant que je la garde également six ans avant de la revendre pour 1.000 euros, le coût hors carburant descendrait à 4.000 plus 3.000 d'assurance plus 2.800 pour l'entretien et les pneus. Presque dix mille euros, soit encore nettement plus que le coût de mes passages à la pompe.

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Ce qui est le plus inquiétant, outre le fait bien établi que la pollution est en train de détraquer la planète plus vite que prévu dans les scénarios les plus pessimistes, et qu'il faut prendre des mesures même si évidemment elles peuvent apparaître comme pénalisantes, c'est qu'en réalité cette grogne montre qu'on peut saper l'état sans que l'opinion publique s'en émeuve, toute concentrée qu'elle est sur les dix euros en plus de chaque plein: on estime illégitime de payer des taxes et accises à un niveau pareil. Comme si le principe pollueur-payeur avait une exception, le célèbre syndrome Nimby (not in my backyard): je veux une ligne de tram dans la rue d'à côté mais surtout pas devant chez moi et je veux bien qu'on taxe les pollueurs, sauf moi. Et comme si pour fonctionner, l'état n'avait besoin que des ressources des autres, les miennes étant si faibles...

Bien sûr qu'il faut que cet effort soit proportionnel et bien sûr que pour des personnes modestes dans des endroits peu habités et mal desservis, il faut prévoir des aides. Cela s'appelle, dans ce domaine-là comme dans d'autres, la solidarité. Qui n'a jamais été l'addition des égoïsmes satisfaits.

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