La défaite est une victoire

Poing de vue

Par | Journaliste |
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C'est la promesse traditionnelle des campagnes électorales: demain, on rase gratis. Mais qui sera le barbier? Photo © Jean Rebuffat

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En fait, selon toutes les apparences, tout se passe comme prévu: le favori va gagner sur le mauvais perdant selon un scénario attendu et dénoncé a priori par l'actuel président dans une stratégie de terre brûlée qu'il applique depuis qu'il est élu, puisqu'une latitude du droit électoral américain, le recours plus ou moins massif au vote par correspondance, se voit taxée de fraude par celui qu'elle dessert.

Il est cependant bien plus facile de bourrer des urnes que de bourrer les bureaux de vote pour deux raisons physiques: le bulletin est plus petit que l'électeur et les votants, jumeaux mis à part, ne se ressemblent pas comme ces suffrages écrits. Penser que cela ne s'est jamais produit aux États-Unis est bien naïf. L'élection Kennedy-Nixon, en 1960, a par exemple été probablement volée. Le comptage, dans le système des grands électeurs qui versent tous ensemble dans le camp de l'un ou de l'autre à la majorité relative dans chaque état (1) et où plusieurs de ces états sont versatiles, ne désignant son préféré qu'avec très peu de voix d'avance, est donc d'une importance cruciale. Il a souvent été fait recours à des recomptages, lesquels ne sont pas obligatoirement plus sincères qu'à la première fois. Autre exemple connu, c'est l'élection de 2000, Bush-Gore, où un patient recomptage ultérieur, alors que Bush junior était président, incita à penser que le battu aurait dû gagner.

Dans ces deux cas, le perdant s'est avoué battu dans une sorte de tradition américaine qui vise à sauver les institutions et à ne pas déstabiliser le pouvoir. Trump, bien sûr, n'en fait et n'en fera rien. Il a certes parfaitement le droit d'exiger des recomptages et d'exprimer le fait d'une certaine amertume liée à la défaite de qui est dépassé sur la ligne d'arrivée; il va plus loin et plus fort, ce qui est inédit mais parfaitement dans la ligne d'un personnage qui ne s'adresse jamais qu'à son clan, son Amérique et ses électeurs et qui aura réussi au moins une chose: mobiliser bien plus l'électorat que d'habitude. En parlant de fraude sans preuve ni même indice, il ment à un point tel que des chaînes de télévision qui lui sont plutôt favorables lui coupent la parole et agitent le panneau fake news – et surtout, il prépare à son probable successeur un mandat compliqué. Si Joe Biden joue déjà ostensiblement le rôle du rassembleur modeste qui sied au président de tous, il n'est pas sûr qu'il soit entendu par la très forte minorité de citoyens pour qui, caricature oblige, il n'est et ne sera qu'un vil usurpateur installé pour transformer la nation en état socialiste, voire même communiste, et contre lequel il faudra lutter avec le zèle que mirent les inquisiteurs à extirper le Mal.

Si en janvier, comme on peut l'imaginer, puisque jusqu'ici la démocratie américaine ne s'est pas trahie elle-même et qu'une partie importante des républicains (et notamment parmi ses élus, où Trump n'a pas que des amis ou des affidés) finira bien par s'y faire, Donald Trump quitte la Maison blanche, son fantôme risque de la hanter longtemps.

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(1) Il y a deux exceptions, le Maine et le Nebraska, où les grands électeurs sont désignés selon le même principe de la majorité relative mais au niveau de la circonscription législative. Ce qui, pour l'anecdote, pourrait favoriser une égalité à 269 grands électeurs partout. Pour réformer ce système, où le candidat arrivé en tête au niveau national n'est pas toujours élu (Al Gore et Hillary Clinton comme exemples récents), et passer à un système d'élection à la française, il faut contrôler Chambre, Sénat et présidence, et surtout, renoncer à une coutume qui crée des habitudes tellement ancrées qu'elles sont gardées au nom de la tradition même quand elles créent des drames, ce qui est notamment le cas du fameux cinquième amendement permettant aux citoyens de s'armer.

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