Le grand dégât national

Poing de vue

Par | Journaliste |
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La Une du New Yorker. Notre-Dame de Paris a brûlé bien au-delà du cœur des Français...

 
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L'intense émotion qui a étreint Paris, la France, l'Europe et une bonne partie du monde à la vue de la cathédrale Notre-Dame s'embraser de façon pire que celle décrite par Victor Hugo voici 188 ans semble avoir occulté certains faits sur lesquels on peut revenir sans cependant se risquer au jeu risqué des pronostics.

Puisque c'est un lieu du culte catholique, commençons par tordre le cou aux prétendus miracles qui se sont déroulés comme la vue de la croix de l'autel intacte dans les débris brûlants. La divine providence n'y est pour rien (elle aurait mieux fait d'empêcher l'incendie au départ de feu...). Par contre, l'efficacité bien laïque des pompiers de Paris et les risques qu'ils ont pris ont en effet permis que tout l'édifice ne s'écroule pas, ce qui a été craint plusieurs heures et qui n'est pas encore entièrement écarté. Mais les yeux ne veulent voir que ce que le cerveau espère. On comprend comment se produisaient les miracles jadis: il suffit d'y croire. Un parallèle avec le complotisme peut être tenté: le chef des pompiers faisant le tour du feu ou une statue du portail nord se transforment en preuves qu'on nous cache quelque chose. Le métier de journaliste, désormais, s'écarte de plus en plus de l'information: par un curieux retournement des choses, il devient la négation argumentée des fake news.

Parmi celles-ci, naturellement, les soupçons naissant de la coïncidence temporelle entre la déclaration attendue du président de la République française quand au grand débat national et l'incendie, ce grand dégât national. Pour un peu, certains suggéreraient qu'Emmanuel Macron a organisé la flambée... Et bien entendu, en France tout se terminant par des polémiques, trois sont sorties brûlantes du brasier. La première concerne les dons déjà enregistrés, supérieurs au milliard d'euros et probablement déjà plus que suffisants pour tout réparer. Les grandes fortunes et les grandes entreprises se sont livrées aussitôt à une espèce de téléthon dans une surenchère de générosité. Tu mets cent millions? J'en annonce deux cents... Or cette générosité n'est pas entièrement désintéressée même si pour une fois, le fameux ruissellement sur lequel le nouveau régime comptait tant ne fonctionne pas trop mal. Car après tout, un riche a tout autant le droit qu'un citoyen lambda, serait-il gilet jaune, d'être ému par un événement. Mais il est clair que ce qui va secourir Notre-Dame, c'est surtout et avant tout de l'argent public, puisque des crédits d'impôts très importants sont concédés aux généreux mécènes (et aux mécènes modestes encore plus).

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Les montants cités sont tels qu'ils font tourner les têtes. À commencer par celle du président, bien imprudent, qui annonce qu'en cinq ans tout sera comme avant. Enfin, comme avant... Deuxième polémique: faut-il reconstruire à l'identique et poser à nouveau une lourde forêt de chênes en charpente sur des murs fragilisés ou au contraire, user des technologiques les plus modernes par exemple en usant d'un métal, le titane, pour soulager les vieilles pierres fragilisées et meurtries? Et quelle flèche faut-il reconstruire? Celle de Viollet-le-Duc? Un concours d'architecture est d'ores et déjà lancé, prometteur de beaux débats... Derrière ces questions de principe, ne l'oublions pas, se cachent d'énormes intérêts économiques. Et (troisième polémique) ce milliard choque quant on le compare aux revendications issues des interminables manifestations des gilets jaunes et des doléances qui ont été remontées dans le grand débat national: quoi, on trouve aussitôt de l'argent pour un bâtiment, et rien pour les gens?

Comme si la question était si simple! Bien sûr, tout le monde aimerait mieux payer moins d'impôts de toutes sortes, avoir plus de services publics de préférence gratuits et des réserves telles qu'on pourrait à la fois restaurer Notre-Dame, augmenter les retraites et les minima sociaux, ouvrir des écoles, faire circuler des trains locaux et ne pas fermer les hôpitaux déficitaires. Chacun sait que c'est impossible et qu'il faut faire des choix. Et dans le cas de la France, premier pays touristique au monde, les choix privilégiant la culture et le patrimoine ne sont pas qu'un luxe, ils relèvent du bon sens économique. Ce n'est pas un hasard si les familles donatrices ont fait fortune dans le luxe et l'apparemment inutile. Mais Keats a raison: a thing of beauty is a joy for ever. L'église elle-même l'avait bien compris, qui fit ériger ces gigantesques vaisseaux de pierre et de bois que l'on admire et qu'on aime même si on combat sa vision du monde, sa puissance et ses errements.

 
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