Malaisant

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Le soleil se couche, la marée descend, le temps passe. Photo © Jean Rebuffat

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Dans un siècle, que restera-t-il de l'an 2018? Chaque année finissante, je me pose la question, en journaliste que je suis, et chaque année l'historien qui est en moi se rebelle contre cette interrogation. Ce conflit intime, cependant, présente un intérêt un peu plus large. Il est révélateur de bien des tics de l'espèce humaine.

D'abord il faut se rappeler que c'est par une décision rigoureusement arbitraire que l'année se termine le 31 décembre, assurant à un obscur saint du calendrier chrétien une notoriété inattendue. Il fut un temps où la fin de l'année était comme Pâques: une date flottante. C'était plutôt le début de l'année, d'ailleurs, qui était fixée, et il fallut attendre le XVIème siècle pour que notre actuel calendrier soit d'usage courant. Il a le mérite d'être un calendrier solaire plutôt précis et d'avoir arrêté à presque rien la dérive liée au fait que la durée de révolution de la planète autour du soleil n'est pas un multiple évident de la durée de la rotation terrestre sur laquelle on se base pour fixer la durée du jour. Ce bricolage permanent indique comment fonctionne l'homme: par essais et erreurs et par l'élaboration de théories toujours plus précises basées sur l'observation. Bref par la méthode scientifique, ce qui n'est pas sans conséquences philosophiques et religieuses...

La fuite du temps est une évidence qui forme un bel oxymore avec l'immuabilité des choses qui se reproduisent invariablement, le jour, la nuit, les saisons, les marées, les éclipses, les passages des comètes, les équinoxes et les solstices. Sans doute le besoin de repères temporels, de bornes claires dans ce temps qui passe, vise-t-il à trouver un accord entre tout cela.

L'apprenti-historien que je fus un peu par hasard au milieu de ma vie fut rapidement frappé par le fait que l'enseignement de l'histoire même n'échappait pas à cette nécessité mystérieuse. Il fallait se spécialiser et étudier plus précisément, en licence, une époque ou l'autre, sauf déjà dès la première année pour celles et ceux qui voulaient étudier l'histoire antique: le moyen âge, les temps modernes ou l'époque contemporaine. Pour moi ces charnières étaient des cloisons absurdes. Je distinguais plus clairement d'autres changements invisibles en apparence mais qui changèrent les mentalités profondément, au tournant du IIIème et du IVème siècle, quand une inquiétude existentielle immanente ébranla l'Empire romain, lequel érigea des murailles jadis superflues et annexa la religion chrétienne, puis vers le XIIIème siècle, quand s'imposa l'esprit gothique à l'esprit roman plutôt qu'à la Renaissance que je trouvais simpliste dans sa description et enfin, vers le milieu du XVIIIème siècle quand les Lumières firent apparaître avec l'idée de bonheur des aïeux à qui nous ressemblons étrangement encore aujourd'hui.

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Faire le bilan d'une année est donc à la fois un exercice journalistique obligé et un non-sens historique avéré. Qui plus est, il est effectué en anticipant un peu, ce qui par exemple fait échapper à ce bilan le mot de l'année (comme s'il en fallait un, au reste). Aujourd'hui, 28 décembre, gilet jaune semble s'imposer, alors qu'il n'a même pas été retenu, n'étant que jusqu'à très récemment un accessoire de sécurité routière... C'est malaisant qui a gagné, et il n'est pas sans susciter en moi ce qu'il évoque, comme s'il avait usurpé un titre flatteur.

Mais malaisant est peut-être un mot qui s'imposera pour décrire le premier quart du XXIème siècle. Et allez savoir? Peut-être aussi sera-ce un tournant majeur dans l'histoire de l'humanité. Rendez-vous en 2118.

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