Pauvre de nous

Poing de vue

Par | Journaliste |
le

Le célèbre tableau de Caspar Friedrich devrait inspirer les amateurs d'art plutôt que les politiques... Image libre de droits

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Devenons-nous pauvres? Il paraît que non. Mais les gens pensent le contraire. La pauvreté c'est comme l'insécurité: avant tout, un sentiment. En réalité, c'est plus important qu'un fait, n'en déplaise au lord-maire. Car comme Proust le remarquait, les faits n'entrent pas dans le monde de nos croyances. On ne luttera pas contre le populisme sans oublier cela, qui se base en réalité sur un autre sentiment, l'injustice. C'est ce sentiment qui met les gilets jaunes sur les ronds-points et dont profite l'extrême-droite. Il aboutit à un univers où la compétition est prônée systématiquement: étonnons-nous dès lors si ceux qui ont peu ont peur d'avoir encore moins et voient les autres comme des concurrents à éloigner...

Et pourtant ce n'est pas dans la nature humaine. Qu'une catastrophe survienne, qu'un acte terroriste soit commis et on constate (certes avec des nuances) que l'homme est bel et bien un animal social, prêt à aider son semblable. Ce dernier mot prend alors tout son sens. Idéalement, bien sûr, il devrait le garder tout le temps et en toutes circonstances. Mais...

C'est en ça que la théorie du premier de cordée est dangereuse. Elle n'est pas fausse a priori: elle se base sur la générosité. Hélas, celle-ci n'est pas mieux partagée que la richesse. On peut espérer en théorie un ruissellement des richesses dont tout le monde profiterait. Dans un monde en expansion, cela marche d'ailleurs plus ou moins bien. Le luxe des cours médiévales a enrichi les villes. Seulement c'est une cavalerie: il arrive un moment où le système s'étouffe (et la planète avec lui). Nous y sommes. Et que constate-t-on? Qu'il y a des Carlos Ghosn partout. Qu'il y a des entreprises richissimes qui paient moins d'impôts qu'un cadre. Que les efforts demandés, tax shift à la belge ou réforme fiscale à la française, tendent à exonérer les entreprises et les riches d'une partie de leurs charges alors qu'elles s'accroissent, réellement ou intuitivement, pour la majeure partie des gens.

Le drame est que ceux-ci ne se fâchent pas contre le système tel qu'il fonctionne mais vers l'outil de redistribution, c'est-à-dire les pouvoirs publics, considérés comme les responsables de la situation alors que c'est précisément parce qu'ils existent que ce n'est pas pire. C'est dans cette optique une très mauvaise action qu'insister sur ces chiffres du genre «à partir du 8 août, vous travaillez pour vous, jusque là, vous avez travaillé pour l'état» ou du genre «la France et la Belgique sont les deux pays les plus taxés au monde». C'est oublier que l'état est notre bien commun. Ce type de raisonnement aboutit à penser que l'état ne fait rien pour le peuple alors que celui-ci, remarquons-le, est en demande: ce ne sont pas aux entreprises qu'on réclame des sous, mais à cette notion abstraite, lointaine et incompréhensible qu'est l'état. Les politiques libérales devraient percevoir qu'en court-circuitant et en discréditant les lieux de concertation, elles prennent le risque insensé de devoir répondre simultanément à des demandes disparates, contradictoires et individualisées sans véritables interlocuteurs. Elles tablent sur une démobilisation à moyen terme parce que cela a marché avec les syndicats et parce que le morcellement des nouvelles revendications est perçu comme une aubaine alors que c'est un risque. Un risque mortel.

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