Amérique latine : séductions de droite (extrême)

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Qu’est-ce qui pousse ainsi les droites extrêmes vers le pouvoir ? Le vote des électeurs, bien entendu mais qu’est-ce qui influence les électeurs au point qu’ils oublient les terribles leçons du passé et la montée extraordinaire des disparités sociales dans le monde et donc celle des injustices ?

Quels sont les outils de séduction de cette droite « décomplexée », sûre d’elle, fière de sa richesse obtenue pourtant au détriment de la majorité des citoyens ?

Il n’y a évidemment pas de réponse simple.

L’accession au pouvoir de gouvernements de droite dans divers pays d’Amérique latine, marquant ainsi la fin d’un cycle politique de gauche,  permet de comprendre quelque peu la complexité de ce phénomène. Alors que Michelle Bachelet incarnait la gauche souriante et féminine au Chili, avec d’autant plus de légitimité qu’elle était elle aussi une victime de la dictature sinistre de Pinochet, c’est un milliardaire conservateur, Sebastian Pinera, qui l’a emporté avec 54% des voix, ce 17 décembre 2017. 

Or, le Chili est emblématique de l’influence des politiques néolibérales américaines sur la gestion politique du pays. En 1973, Pinochet avait été installé par un coup d’Etat militaire soutenu par les Etats-Unis contre un président de gauche et très populaire, Salvador Allende. Il a fallu attendre 1990 et le retour de la démocratie pour espérer un virage dans la gestion économique du pays mais les coalitions de partis progressistes qui tentaient de pratiquer une politique sociale plus redistributive ont été quasi obligées d’appliquer les recettes préconisées par le « consensus de Washington », à savoir la croissance, les équilibres macroéconomiques, la priorité au marché et la promotion des investissements privés, ainsi que l’analyse Cristian Parker G, sociologue et professeur à l’université de Santiago du Chili. (1)

Ces politiques favorisaient les entreprises et les élites et démantelaient les services publics alors que se développait une classe moyenne qui demandait un meilleur accès au marché, à l’éducation (rappelons les manifestations des étudiants obligés de s’endetter lourdement afin d’accéder aux études supérieures), aux services publics notamment de la santé et la réduction des inégalités, rendue impossible faute de moyens gouvernementaux. Les mouvements de contestation, pourtant massifs, étaient dispersés entre revendications sociales, écologistes, étudiantes, privatisation des fonds de pension et précarité des personnes âgées.

Un autre grand échec des gouvernements chiliens a été la répression sévère des résistants Mapuches qui s’insurgent contre l’exploitation des ressources naturelles de leurs territoires par de riches sociétés privées. On leur a opposé une loi antiterroriste ! De même, les petits agriculteurs, les petits producteurs ont été évincés un peu partout au profit des grosses entreprises multinationales et autres. L’environnement a été saccagé, des communautés locales réduites à la pauvreté.

Alors, pourquoi les électeurs ont-ils mis à la tête du pays un président conservateur ? Incompétence du gouvernement progressiste, choix économiques enrichissant une classe de possédants, impossibilité de répondre aux demandes des populations agricoles, indiennes, âgées, étudiantes et division de ces divers groupes de population, incapacité de fédérer la population autour d’un nouveau projet de Constitution. Enfin, la classe conservatrice, catholique traditionnelle s’est liguée contre Michelle Bachelet qui obtenu l’adoption du mariage homosexuel et la dépénalisation de l’avortement. La société chilienne est donc coupée en deux avec un léger avantage aux conservateurs.

Chaos vénézuélien

On a beaucoup parlé du Venezuela et de l’échec de l’expérience bolivarienne après le décès de Chavez. Là aussi, un modèle de gauche a permit à des centaines de milliers de personnes de sortir de la pauvreté, de bénéficier de logement, d’éducation et de soins de santé. Mais l’incurie des gouvernements n’a pas réussi à introduire la manne pétrolière dans la constitution d’une économie plus diversifiée. De plus, le contrôle étatique sur les structures démocratiques populaires mises en place par Chavez s’est intensifié et a remplacé le contrôle populaire du pouvoir par le contrôle étatique sur le peuple. Ces deux phénomènes seraient la cause principale de l’échec du modèle bolivarien face au modèle néolibéral activement soutenu par les Etats-Unis jamais avares de soutien aux conservateurs vénézuéliens. Le tout soutenu par une active propagande accusant le président Maduro de dérives totalitaires alors que les opposants, en majorité issus de la classe moyenne urbaine, se montraient, eux, de plus en plus violents, suscitant une réaction policière musclée et des arrestations nombreuses.

Le Venezuela est tombé dans le chaos, la violence de part et d’autre, prouvant qu’une politique de gauche « à l’ancienne » s’est révélée inefficace mais que les politiques de droite extrême, elles, ne font qu’accroître les inégalités et donc la violence sociale.

Corruptions, incompétences, dérives totalitaires, fragmentation des mouvements de gauche et des progressistes, s’ajoutent selon les cas aux échecs de certains gouvernements de gauche en Amérique latine. Paradoxalement, les corruptions sont encore plus importantes parmi certains leaders politiques de droite mais les pouvoirs de droite ferment les yeux et empêchent le pouvoir judiciaire de faire son office. Témoin ce qui s’est passé au Brésil avec le nouveau président Michel Temer, accusé de corruptions graves et ce qui se produit actuellement au Pérou où le président actuel, Pedro Pablo Kuczynski, a empêché sa propre destitution pour corruption par une « grâce humanitaire » accordée  à l’ancien président Fujimori pourtant reconnu coupable de corruptions majeures et de crimes contre l’humanité… Tout cela afin de conquérir les votes d’extrême-droite qui lui manquaient pour assurer sa majorité !

En  2018, des élections présidentielles sont prévues en Colombie, au Mexique, au Costa Rica et au Paraguay. On verra si la tendance conservatrice l’emportera ou si les mouvements politiques et citoyens progressistes réussiront à créer l’alternative au totalitarisme néolibéral et au totalitarisme politique.

Il s’agit là d’un défi lancé aussi aux citoyens européens, confrontés à la droite extrême voire même à l’extrême-droite comme en Autriche actuellement. L’exemple de l’Amérique latine peut nourrir les réflexions des progressistes, démocrates, altermondialistes en recherche de formules politiques nouvelles, renouant avec les idéaux - jamais démodés - du Conseil national de la résistance d’après 1945 en France: sécurité sociale, nationalisation des grands moyens de production, justice sociale, liberté syndicale, liberté de la presse, etc. (2)

(1) « Etat des résistances dans le Sud. Amérique latine ». Revue Alternatives Sud, vol. 24 – 2017.  Centre tricontinental. Ed. Syllepse. 185 p. 13 €.

(2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_du_Conseil_national_de_la_R%C3%A9sistance

Extrême violence contre les femmes au Mexique

 2.746 femmes ont été assassinées en 2016, soit une moyenne de plus de sept meurtres par jour, selon une étude publiée récemment par l’ONU et le gouvernement mexicain. Ce chiffre est en augmentation de 18 % par rapport à 2015, année au cours de laquelle 2.324 femmes avaient été tuées. Il s’agit la plupart du temps de meurtres avec violence, rappelle El Pais. Le Mexique connaît un maximum de corruption, de violences et d’homicides dus principalement aux narcotrafiquants qui prospèrent face à l’impuissance des gouvernements et des forces policières. Un pays entièrement lié au modèle économique néolibéral et mis sous pression par les Etats-Unis.

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