Rwanda, la mémoire d’un génocide

Trente ans de souffrances, de souvenirs non dits, de blessures inguérissables.

Il y a trente ans, un génocide s’est déroulé sous les yeux du monde entier, sans que personne ne bouge. Quoique. Oui, ils ont bougé , ces militaires qui auraient pu empêcher les massacres. Ils ont été contraints de se retirer après que dix casques bleus belges aient été massacrés. Les Nations Unies, la Belgique, la France ont ainsi abandonné les populations qu’elles protégeaient vaille que vaille et les ont livrées à un sort terrifiant.

« Quand l’histoire s’écrit à la machette » est un résumé glaçant de l’horreur qui a déferlé sur le Rwanda en ce printemps de 1994, dès le 7 avril, au lendemain de l’attentat qui a visé l’avion du président rwandais Habyarimana. Ce fut le signal qu’attendaient les milices ultra violentes des interahamwe, munies d’armes à feu mais surtout de machettes et alimentées en bière et en drogues. Des années de propagande haineuse envers les Tutsi ont transformé ces jeunes hommes en machines à tuer, d’une efficacité redoutable. En trois mois, ils ont chassé, traqué, décimé près d’un million de Tutsi ainsi que des Hutu qui tentaient de protéger leurs compatriotes, amis ou membres de leurs familles mais qui étaient étiquetés Tutsi.

Ce livre a été réalisé par Colette Braeckman, journaliste au Soir et qui a relaté longuement cette tragédie dans son média et dans des livres ; par Hélène Dumas, historienne, chargée de recherche au CNRS et autrice de deux livres sur le génocide au Rwanda ; Aloys Kabanda, un des membres fondateurs d’Ibuka-Belgique et d’associations de soutien aux victimes du génocide ; Marc Schmitz, ancien du GRIP et co-auteur de nombreux ouvrages dont certains concernent des crimes contre l’humanité; Damien Vandermeersch, magistrat et enquêteur au Rwanda pour instruire un procès de génocidaires en Belgique.

L’analyse historique de la colonisation belge qui a mené à ce génocide permet d’en comprendre à la fois le mécanisme mais aussi la complicité de nos pays avec le gouvernement Habyarimana. L’influence prépondérante de l’Église catholique, soutenant le pouvoir hutu, y compris lors du génocide et en protégeant les criminels réfugiés en Belgique et en France notamment, mériterait de plus amples développements.

Le livre donne aussi la parole à de nombreux témoins rwandais, y compris des enfants rescapés, mutilés, traumatisés à vie mais qui ont pu s’exprimer peu après les drames atroces qu’ils ont vécus. Ils nous font ressentir ce qui est incompréhensible, indicible dans la cruauté humaine. De même, le témoignage du magistrat Damien Vandermeersch et de son enquête à charge et à décharge, nous amène à ce mystère de l’âme humaine : comment est-il possible d’en arriverà cela ? Et, plus inquiétant encore : et si nous étions tous capable de massacrer nos voisins ?

Trente ans après, la question se pose avec encore plus d’acuité alors que nous assistons à un véritable massacre de type génocidaire à Gaza, à des agressions, des vols, des meurtres, des expulsions de Palestiniens en Cisjordanie, crimes commis par des colons israéliens et qui font penser aux exactions commises par de nombreux villageois hutu contre leurs voisins tutsi…

Comme il y a trente ans, tout est visible, prévisible, parfaitement documenté mais nos responsables politiques n’ont rien fait pour empêcher la tragédie qui, comme au Rwanda en 1994, est la conséquence d’une colonisation fondamentalement raciste.

Trente ans après le génocide, le Rwanda se reconstruit et tente de gommer petit à petit la distinction raciste entre Hutu et Tutsi. Mais ses dirigeants basculent eux-aussi du côté obscur de la politique en soutenant - voire en participant - aux massacres de populations civiles de l’est du Congo, une zone très riche en ressources minières et agricoles. Des millions de femmes et d’enfants sont les principales victimes de ces agressions armées qui s’enchaînent depuis trente ans dans cette partie de l’immense République Démocratique du Congo. En 2004, un livre co-écrit par Arnaud Zacharie et François Janne d’Othée décrivait les manœuvres criminelles des grandes puissances et de certains États africains pour s’approprier les richesses du Congo.

En 2022, Colette Braeckman, Reed Brody et Pierre Hazan écrivaient « Le cri muet des collines - Dans l’Est du Congo, la guerre tourne en boucle». Le constat est désespérant : le pillage, les massacres continuent. Le monde ferme les yeux. Les populations désarmées, expulsées, affamées sont les principales victimes des convoitises des puissants.

Les peuples du Congo, du Rwanda, de Palestine, du Soudan et de tant d’autres pays victimes de guerres aspirent non seulement à être aidés mais à être reconnus dans leurs droits. Les Nations Unies défaillent, la Justice internationale est lente, la solidarité des ONG ne suffit pas.

Notre humanité sombre lentement, en toute connaissance de causes…

- Colette Braeckman. « Rwanda. Histoire d’un génocide ». Fayard. Octobre 1994.

- Colette Braeckman, Hélène Dumas, Aloys Kabanda, Marc Schmitz, Damien Vandermeersch. « Rwanda 1994. Quand l’histoire s’écrit à la machette ». Ed. Couleur Livres. 2024.

- Damien Vandermeersch. « Comment devient-on génocidaire ? Et si nous étions tous capables de massacrer nos voisins ». Ed. GRIP. Fédération Wallonie-Bruxelles Démocratie ou barbarie. 2019.

- Arnaud Zacharie, François Janne d’Othée. « L’Afrique centrale dix ans après le génocide ». Ed. Labor. 2004.

- Colette Braeckman, Reed Brody, Pierre Hazan. « Le cri muet des collines. Dans l’Est du Congo, la guerre tourne en boucle ». Ed. Couleur Livres. 2022.