Europe, l’heure portugaise

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Le Premier ministre portugais Antonio Costa rencontre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen à Lisbonne, le 15 janvier 2021. Photo © Pedro Sa Da Bandeira/PPUE

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Jusqu’à fin juin, le futur de l’Europe sera en partie dessiné par la présidence portugaise dont le slogan est : « Il est temps de produire des résultats: une relance équitable, écologique et numérique ».

La présidence tournante du Conseil de l’Union européenne permet en effet aux divers pays membres d’imprimer une marque spécifique au devenir européen. L’influence portugaise est particulièrement intéressante puisque ce pays a contré en partie le déclin économique et social par une politique sociale audacieuse en élaborant un programme de gouvernement avec les socialistes et les communistes.

A présent que l’on peut faire les comptes des dégâts causés par la pandémie du coronavirus, le Portugal nous envoie un message fort : l’urgence d’une Europe sociale, ouverte sur le reste du monde dans un souci d’équité.  Ceci est résumé ainsi :

  • Favoriser la relance européenne appuyée sur les transitions climatique et numérique
  • Instaurer le socle européen des droits sociaux en tant qu’élément essentiel pour mener à bien une transition climatique et numérique juste et inclusive
  • Renforcer l’autonomie stratégique d’une Europe ouverte au monde

La Commission européenne souligne sans cesse les objectifs de son Green deal qui rencontre les objectifs du développement durable (ODD, de l’ONU) et tente de relever le défi climatique. Mais la principale souffrance des citoyens est la perte d’emploi et donc une paupérisation croissante l’insuffisance de la protection sociale et les carences des politiques de santé publique. A cela, le Portugal propose de « valoriser et renforcer le modèle social européen, en donnant confiance aux citoyens pour sortir de la crise et faire face aux transformations climatiques et numériques, en veillant à n’abandonner personne. » Cela suppose de « donner un sens concret au socle européen des droits sociaux dans la vie des citoyens et organiser le Sommet social de Porto au mois de mai, afin de donner un élan politique à l’instauration du socle européen des droits sociaux et à son plan d’action. »

Enfin. Nous y voilà. On attendait cela depuis 2017 et le Sommet social pour une croissance et des emplois équitables. Il s’agit en effet de répondre au défi numérique qui nous est lancé par notre type de développement économique néolibéral mondialisé et qui pose la question cruciale de l’avenir du travail et le travail décent, le salaire minimum adéquat, ainsi que sur le « développement de certifications et de compétences adaptées à une économie moderne et numérique. » Cette politique sociale devra tenir compte d’autres impératifs : l’égalité hommes-femmes, les politiques de lutte contre la discrimination, la pauvreté et l’exclusion sociale, et la protection de groupes plus vulnérables.

Enfin, pandémie oblige, la présidence portugaise souligne la nécessité de « stimuler le renforcement de la coopération entre les États membres dans le domaine de la santé, en soutenant les actions nécessaires afin d’augmenter la capacité de réaction des services de santé aux menaces pour la santé publique. »

Une Europe économique et financière plus indépendante

Précisons que, selon la présidence portugaise, ces objectifs rencontrent ceux de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen à savoir développer une économie au service des personnes. Il semble bien que la Commission n’entend plus se soumettre aux diktats des grandes multinationales et de la financiarisation de l’économie ni aux contraintes géopolitiques de l’ère Trump. C’est le Financial Times qui l’annonce : le 19 janvier, la Commission européenne a lancé la discussion sur un « projet de résolution visant à renforcer les capacités d’attraction de l’euro, d’acquérir une puissance financière digne de la taille de la zone euro, et surtout de ne plus se retrouver à la merci des sanctions décidées unilatéralement par le pouvoir américain », explique Martine Orange dans Médiapart. « La Commission européenne souhaite ainsi imposer l’euro comme monnaie de référence alternative à la monnaie américaine dans les échanges commerciaux internationaux. À cette fin, elle entend renforcer le rôle de l’euro comme monnaie de réserve pour les banques centrales. »

Ce serait la revanche européenne après la fin, en 1971, des accords de Bretton Woods qui a installé de force le dollar comme monnaie de référence mondiale et qui a permis aux autorités étatsuniennes de lancer de juteuses procédures judiciaires contre des entreprises européennes qui ne s’alignaient pas sur la politique US. C’est aussi l’enjeu de la bataille de la City de Londres, à savoir rapatrier nombre d’activités financières sur le continent afin de mieux maîtriser le contrôle sur l’euro, ajoute Martine Orange.

L’enjeu est gigantesque puisqu’il s’agit de stabiliser, par la diversification, le système financier international. C’était une demande de la Chine devenue incontournable dans la négociation mondiale.

Dans ce contexte de profonds bouleversements géopolitiques et économiques, se tient le Forum économique mondial, dit de Davos, mais virtuel cette année-ci. Le monde du big business affirme lui aussi ses priorités : celle d’une croissance économique compatible avec l’enjeu climatique, propulsée par le développement de l’économie numérique… Le tout mixé dans un concept de « stakeholder capitalism », à savoir la fin de la primauté des entreprises au service des intérêts de leurs actionnaires, remplacé par un capitalisme de partenaires, de parties prenantes : Etats, entreprises, individus (on ne parle pas de travailleurs ni de leurs représentants !) unis dans une croissance qui tient compte des intérêts des générations futures (et non plus le profit à court terme).

On est loin des Objectifs du Développement Durable énoncés par l’ONU et notamment l’objectif 8 ( https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/economic-growth/ ) basé sur le travail décent et la protection sociale ainsi que le soutien aux petites et moyennes entreprises. On vous recommande aussi de lire le rapport d’Oxfam international selon lequel 2,7 milliards de personnes n’ont bénéficié d’aucune « protection sociale » pour faire face à la crise économique liée à la pandémie de Covid-19.

Espérons que l’Union européenne s’unisse enfin autour de ces ODD auxquels nous ajouterions celui de la paix par le désarmement nucléaire et autre et celui du renforcement de la démocratie face à la montée en puissance des forces d’extrême-droite violentes ainsi que nous l’a démontré la prise d’assaut du Capitole à Washington.

Que la « croissance » ne soit pas essentiellement économique mais surtout sociale, culturelle, écologique… Humaniste en quelque sorte.

https://www.2021portugal.eu/fr/programme/priorites/

https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/economy-works-people_fr

https://www.mediapart.fr/journal/economie/200121/leurope-veut-sextraire-de-la-domination-du-dollar

https://fr.weforum.org/events/the-davos-agenda-2021/themes/fairer-economies#articles

https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/

https://www.oxfam.org/fr/communiques-presse/27-milliards-de-personnes-nont-beneficie-daucune-protection-sociale-pour-faire

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