Justice : la révolte des robes noires

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Ils étaient près de 600 avocats et magistrats devant le Palais de Justice, place Poelaert à Bruxelles. Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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Le soleil était froid au pied du Palais de Justice de Bruxelles. Il réchauffait cependant la colère de dizaines d’avocats et de magistrats manifestant contre les politiques successives des ministres de la Justice. Le dernier en date, M. Koen Geens semble pourtant le plus résolu à réduire les moyens de la Justice, à réformer son fonctionnement,  à empiéter plus encore sur la séparation des pouvoirs.

Déjà, le 20 mars 2015, les acteurs du monde judiciaire s’étaient rassemblés au même endroit afin d’alerter l’opinion sur les conséquences désastreuses des économies annoncées. Le 20 mars 2018, la situation est pire : magistrats, greffiers, personnels des greffes et parquets sont en sous-effectif grave. Le pouvoir exécutif ne respecte pas la loi qui fixe le cadre du personnel des tribunaux et parquets. Dans certaines régions, on est largement en-dessous de 80 % de personnes employées. Et demain sera pire encore puisque la réserve de recrutement des magistrats francophones est épuisée.

Les justiciables le savent bien : le nombre de plaintes non traitées s’accroît, les procédures ne sont pas toutes respectées, les jugements sont de plus en plus tardifs.

L’avenir est aussi sombre que les robes des avocats : ce gouvernement n’arrête pas de faire des économies sur les segments les plus vulnérables de la population, on le voit avec la chasse aux chômeurs, aux malades de longue durée, aux handicapés dispensés de travail… Mais il ne taxe pas les grandes entreprises qui échappent allègrement aux obligations fiscales, profitent de tous les avantages qu’on leur accorde si complaisamment et quittent le pays dès que les dividendes des actionnaires ne sont plus assez élevés à leurs yeux.

Refinancer la Justice afin qu’elle défende mieux les citoyens, surtout les plus fragiles, est sans conteste la meilleure des solutions pour une société démocratique. Mais cela risque de gêner certains courants politiques qui préfèrent jouer la carte de l’ultra libéralisme mondialisé.

Cela fait des années que nous dénonçons les conditions de travail, indignes d’un service public, dans des Palais de Justice (principalement wallons) devenus des taudis, avec des moyens informatiques obsolètes, incohérents, mal entretenus. A cet égard, l’état branlant et des salles insalubres du Palais de Justice de Bruxelles, symbole historique de la Justice de notre pays, est révélateur du dédain de l’exécutif envers le monde judiciaire. Absurde et risible quand on compare avec la situation de pays voisins, tels les Pays-Bas, où une informatisation intelligente permet de réelles économies couplées à une efficacité du travail remarquable.

« L’accès à la Justice n’est plus garanti de façon égale à tous les citoyens », clament les magistrats et avocats. On se souvient que, suite à une exigence européenne, la TVA a été appliquée aux honoraires d’avocats. Puis, l’exécutif a augmenté les droits de greffe, les indemnités de procédure et donc limité l’accès des citoyens, effrayés par les coûts des procédures. Parallèlement, l’exécutif entend privatiser certaines étapes de la procédure judiciaire et pousse au recours à des modes alternatifs de règlement des litiges. Mais cela prive le citoyen des services d’un juge indépendant et impartial. Or, soulignent les avocats et magistrats, en chœur : l’accès à la Justice doit être possible pour tous, riches et pauvres.

Le ministre Koen Geens va plus loin encore. Il entend réformer le statut des avocats et des magistrats sans la moindre concertation digne de ce nom avec les principaux intéressés. Ainsi, le statut du juge d’instruction est menacé au détriment du respect des droits des victimes. Les contours de la profession d’avocat son redessinés par quelques experts sans que la profession soit largement consultée. Et le ministre semble avoir un net penchant pour la fonctionnarisation des magistrats.

On a vu en Pologne ce que signifie la mainmise de l’exécutif sur la magistrature, une politique enfin condamnée par l’Union européenne, mais qui aboutit à un contrôle de l’exécutif sur la magistrature et donc sur l’exercice de la Justice. En Belgique, la séparation des pouvoirs est inscrite dans la Constitution. Mais le statut que l’on donnera aux magistrats affaiblira cette indépendance.

Le monde judiciaire dénonce donc la politique chaotique du gouvernement actuel, caractérisée par des lois « pots-pourris » sans vision d’ensemble. La seule cohérence est l’obligation de faire des économies. A tout prix. Y compris celui de la perte d’indépendance des juges, notre seule garantie contre des dérives éventuelles du pouvoir exécutif.

Pourtant, de nombreux travaux, études, analyses, rapports ont été produits par diverses instances comme le Conseil Supérieur de la Justice, le Conseil consultatif de la Justice, le Collège des cours et tribunaux, le collège du Ministère public, l’Association Syndicale des Magistrats, l’Union professionnelle de la Magistrature, l’Union royale des juges de paix et de police, les associations d’avocats et les barreaux… Les propositions de réforme sont là, basées sur le travail réel du monde judiciaire, sur une expertise incontestée… mais pas reconnue par le pouvoir exécutif. Là est le scandale. Et le danger pour ce pilier de la démocratie qu’est la Justice.


Reportage photo © Jean-Frédéric Hanssens








Les avocats ont formé "Justice Help" devant le Palais de Justice de Bruxelles Photo DR © Association syndicale des magistrats

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