L’avenir, question existentielle

Les calepins

Par | Penseur libre |
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 Vendredi 1er mai

 Une Fête du Travail sans cortèges et calicots, sans meetings, sans chants de solidarité fraternelle, et sans une bonne bière avec les amis au bistrot, afin de rebâtir le monde sur la base des espoirs décrits et entonnés… C’est, en effet, vraiment la guerre… « Le comptoir d’un café est le parlement du peuple » disait Balzac, qui n’avait rien d’un tribun populaire, mais qui était un prodigieux observateur de la société en mouvement. Seul un temps de confinement aurait pu le contraindre au chômage technique.

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 Les approches de l’après-Covid-19 où l’on remettra l’avant-crise à la question commencent à se structurer. Mais une analyse du pendant ne manquera pas non plus. Fallait-il confiner ? Cette autre interrogation pertinente, dégageant pas mal de chemins dans les réponses, vaudra pour une politique de prévention à construire. Et puisque la probabilité d’une nouvelle vague paraît de plus en plus vraisemblable, autant savoir si on compte l’affronter de la même manière.

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 Il y aurait peut-être lieu de se souvenir également que si, pendant la crise sanitaire, les affaires ne continuent point, il y a toujours des migrants qui se noient en Méditerranée, des glaciers qui fondent aux pôles, la forêt amazonienne qui se rétrécit. L’islamisme occupe de plus en plus d’espace en Afrique, Erdogan ambitionne d’annexer un jour la Libye, et Poutine œuvre en coulisses dans l’espoir de voir l’Europe se disloquer. On peut encore parler de l’Algérie ou de l’Inde où les gouvernements, mis en cause par la rue, ne bénéficient que d’un répit, du Nigéria où les chrétiens ne cessent d’être massacrés, et l’on ajoutera un « etc. » qui pourrait en dire long. Bref, quand les journaux télévisés ne se consacreront plus en intégralité au Covid-19, que leurs rédacteurs se rassurent : la matière ne manque pas.   

Samedi 2 mai

 En France, la chose culturelle s’incruste souvent dans le débat politique et l’artiste, l’écrivain, le poète occupent une place prépondérante dans la société, souvent aussi dans le mouvement des idées. Nombreux dès lors sont les ministres de la Culture qui laissèrent une trace, choisis pour leur notoriété ainsi que pour le parrainage des projets qu’ils engagent et concrétisent. La Ve République collectionne quelques personnalités de talent qui l’ont bien servie, appelés aux responsabilités par des présidents soucieux de donner à ce département un lustre qui rehausserait, le jour venu, leur bilan. D’André Malraux avec de Gaulle à Frédéric Mitterrand avec Sarkozy en passant par Maurice Druon avec Pompidou, Françoise Giroud avec Giscard, Jack Lang évidemment avec François Mitterrand ou encore Jean-Jacques Aillagon avec Jacques Chirac, la politique culturelle de la France occupa une place prioritaire dans les affaires de l’État.

 François Hollande négligea ce domaine. C’est d’autant plus regrettable qu’en 2012, lorsqu’il entama son quinquennat, beaucoup de personnalités respectables du monde culturel auraient pu accepter le poste. Celui-ci revint à Aurélie Filipetti qui l’assuma bien mais quitta la scène avec les frondeur deux années plus tard. Hollande désigna Fleur Pellerin qui n’avait que son prénom pour attirer l’attention des créateurs. Il fallut éviter qu’elle n’achevât le quinquennat. Elle fut remplacée par Audrey Azoulay qui aurait sans doute pu redorer le blason de la rue de Valois. Hélas, le temps allait lui manquer. Elle accomplit aujourd’hui un excellent travail à la tête de l’UNESCO.   

 Emmanuel Macron a fait pire. La désignation de Françoise Nyssen est apparue comme un manquement dans la liste qu’il s’agissait de combler en dernière minute. La patronne d’Actes-Sud est une excellente éditrice, femme cultivée au carnet d’adresses impressionnant ; mais qui n’est pas du tout à l’aise dans la fonction. Il semble que le Premier ministre insista de longue date auprès du président pour s’en séparer. On s’en sépara. Mais pour qui ? Pour un certain Frank Riester dont la transparence est devenue légendaire. Les rares fois où il s’exprime, ou bien il gaffe (sa position sur Polanski en arrivant à la cérémonie des Césars…), ou bien il énonce des évidences « La culture traverse une crise sans précédent »). L’homme avait créé Agir, un petit parti dissident de la droite républicaine, et il avait appelé à voter Macron. Cela valait bien une récompense. L’heure est à éviter que l’activité culturelle ne soit négligée quand surviendra le temps du déconfinement. Avec Catherine Deneuve, Benjamin Biolay, Patrick Bruel, Isabelle Adjani, Isabelle Huppert, Jean Dujardin et des dizaines d’autres acteurs, cinéastes et comédiens, le monde culturel adressa une pétition à Emmanuel Macron. C’est lui, et lui seul qui est interpellé. Riester est égratigné, disqualifié en un alinéa. Il vient de se faire réélire brillamment dès le premier tour à la mairie de Coulommiers. Qu’il y retourne donc, et qu’on n’en fasse pas un fromage.

 Dimanche 3 mai

 Le centre de gravité de la prospérité mondiale aux plans économique et financier se décale de plus en plus vite vers l’Asie. Désormais, l’analyse du rapport de forces se commente et s’examine sur un axe binaire Asie-Occident. On dit désormais « Occident » au lieu de « États-Unis / Europe ». Quand on sait que les États-Unis ne souhaitent pas le succès de l’Europe – ce qui arrange bien également Poutine -, considérer que cette Europe est larguée n’est pas en médire. L’élection de Joe Biden pourrait-elle changer la donne ? Pas sûr…  Même la vassalité pourrait être délaissée. L’Europe ne devra compter que sur elle-même et elle le sait. Il lui faudra surmonter une évolution incertaine du capitalisme, la poussée islamiste et la prise de distances des anciens pays colonisés. Or, ses principaux meneurs (Conte, Macron, Merkel, Sanchez…) auront à s’occuper d’abord de la relance dans leur propre pays. Les deux actions se complémentent ? Certes ; mais sera-ce démontrable ? S’agissant de l’Europe, contrairement à ses États-membres, les questions d’avenir deviennent aussitôt existentielles.

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 Michel et Von der Leyen, soutenus par les principaux chefs d’État et de gouvernement de l’UE ainsi que la Première ministre de Norvège (sic…) lancent un Téléthon mondial. Le but : recueillir 7,5 milliards afin de développer la recherche contre le Covid-19. Ah ! Si un laboratoire financé par l’Europe découvrait le médicament sauveur !... Ne rêvons pas, prions. 

Lundi 4 mai

 A-t-on des nouvelles du chef d’État du Laos ? Y a-t-il longtemps que l’on a vu le président de la Namibie en public ? Comment va la santé du président péruvien ? Ces questions, fondamentales pour les intéressés, apparaissent complètement superflues pour le citoyen occidental. Ce qui le préoccupe, c’est la santé de Kim Jong-un. Enfin… Quand on dit « ce qui le préoccupe », on devrait plutôt indiquer : ce que sa presse s’évertue à lui signaler jusqu’à l’inquiéter… Le président nord-coréen est sorti des radars (expression militaire en usage dans les meilleures rédactions…) depuis trois semaines. Serait-il malade ? Serait-il mort ? Certains journaux ont déjà publié un portrait de sa sœur au cas où elle devrait lui succéder. Et si, tout simplement, le brave Kim avait tout bonnement l’intention de s’écarter quelques temps des affaires ? Mieux : s’il tenait à s’amuser en constatant combien son éloignement des caméras préoccupait les médias occidentaux ? Kim Jong-un est réapparu dans l’exercice de sa tâche suprême. Combien d’arbres sont-ils devenus papier pour imprimer toutes les suppositions et les calculs sans intérêt ? De Gaulle avait rassuré un journaliste lors d’une mémorable conférence de presse, en lui apprenant qu’il allait bien et en le rassurant toutefois : il mourrait sûrement un jour. Kim Jong-un mourra aussi un jour. Demain ou dans vingt ans. Une seule question peut accompagner cette affirmation : Et alors ? 

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 Rappel. André Gide : « J’appelle journalisme tout ce qui aura moins de valeur demain qu’aujourd’hui. » Au cours de ses études à l’International School of Bern à la fin du siècle dernier Kim Jong-un aura probablement eu accès aux œuvres d’André Gide…

Mardi 5 mai

 Mais pourquoi diable Emmanuel Macron entretient-il la confusion en s’exprimant à tout-va, parfois même en contradiction avec son gouvernement, parfois – c’est pire – en refusant les mots employés par son Premier ministre ? Certes, c’est important de montrer aux Français que la main tient la barre – comme disait Giscard d’Estaing -, mais ce n’est pas pour autant nécessaire de donner l’impression qu’il maîtrise tout et tout le temps. Ce n’est pas vrai parce que ce n’est pas possible. En a-t-il conscience ? Hier il s’adressait solennellement aux scientifiques, aujourd’hui il rassure les artistes. Il ne pourra pas tout régler. Le sait-il ? Il n’a pas le pouvoir sur le Covid-19. S’en rend-il compte ? Ou bien sa mégalomanie vacillante le déstabilise, ou bien il panique. Dans les dîners en ville, on va même jusqu’à signaler que Gérard Larcher, le président du Sénat, se préparerait à exercer l’intérim de la présidence de la République…

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 Il n’y eut aujourd’hui aucune allusion au centième anniversaire de l’arrestation, aux États-Unis, de Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, ces deux anarchistes italiens accusés d’introduire le bolchévisme dans le pays. Ils furent condamnés à mort et exécutés. Pourtant, dès que l’affaire éclata, les artistes se mobilisèrent, surtout en Europe, alertés notamment par Louis Aragon. En 1971 Giulliano Montaldo réalisa un film dont Ennio Morricone accepta d’écrire la musique. Ce fut « La Ballade de Sacco et Vanzetti », reprise par Joan Baez, qui fit le tour du monde. Georges Moustaki lui donna des paroles en français. Cela devint une rengaine. Même Tino Rossi l’interpréta. Le 23 août 1977, le gouverneur démocrate du Massachussetts Michael Dukakis réhabilita les deux condamnés pour l’exemple. Il est admis désormais que ces deux émigrés italiens furent victimes d’une « Peur rouge » consécutive à la fin de la Première Guerre mondiale. Le climat était tendu. La relance de l’économie, très endommagée par la guerre et la crise qui s’ensuivit, devait s’accomplir dans une stricte unité de vues. Comme on le voit, aucune raison de réveiller cette affaire de nos jours…

Mercredi 6 mai

 Chaque année, lors de leur forum social à Porto Alegre, à Bombay ou ailleurs, les altermondialistes clamaient : « Un autre monde est possible ». Arnaud Zacharie était de ceux-là. Malgré la sympathie naturelle qu’on leur témoignait, on sentait bien poindre une lassitude en forme d’interrogation. On veut bien admettre qu’un autre monde est possible, encore faudrait-il dire lequel. Zacharie est sur cette voie-là. Secrétaire général du Centre de Coopération et de Développement (CNCD -11.11.11.), maître de conférences aux universités de Bruxelles et de Liège, il réfléchit à l’évolution du monde et il en tire des livres. Son plus récent (« Mondialisation et national-populisme. La nouvelle grande transformation », éd. La Muette / Le Bord de l’eau) le conduit à répondre aux questions de Sandra Évrard, rédactrice en chef de l’excellent mensuel Espace de Libertés que publie le Centre d’Action laïque (CAL). Il nous donne rendez-vous dans quelques semaines autour de nouvelles expressions, « drone monétaire » et « monnaie hélicoptère », espère une promotion du Green New Deal, défend la nécessité de revenir à un « keynésianisme radical », et lâche une méthode qui fera bondir les néolibéraux : « On pourrait utiliser l’urgence à court terme au profit de la transformation à long terme de nos économies. » Ce conditionnel prudent laissera peut-être la place à un impératif nécessaire.

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 Avant-hier, Arte consacrait sa soirée à un portrait inédit du Berlin de 1945. Parsemé de témoignages de première main – notamment de juifs -, ce documentaire en deux épisodes montrait que même sous les bombes, certains Berlinois n’envisageaient pas la défaite. Fallait-il qu’ils soient crédules, fanatisés ou mal informés pour égarer toute lucidité… Adolf Hitler se suiciderait le 20 avril. Le débarquement s’était produit huit mois plus tôt, le 6 juin 1944. Les Berlinois l’apprirent-ils ? En tout cas, à partir de cette date, on savait que Paris serait libéré. Aujourd’hui, Arte diffuse « Diplomatie », le film de Volker Schöndorff inspiré de la pièce éponyme de Cyril Gély, jouée en 2011 au Théâtre de la Madeleine par deux comédiens magnifiques, Niels Aelstrup, André Dussoulier. Le premier incarne Dietrich von Choltiz, gouverneur du Grand Paris au moment de la Libération ; le second Raoul Nordling, consul général de Suède qui s’efforce de convaincre l’officier allemand de ne pas détruire Paris comme les ordres de Hitler les lui commandent. Le duo du théâtre est le même au cinéma où le huis-clos est pathétique. L’Histoire fournit souvent des coïncidences ou des effets du hasard qui troublent la logique de son déroulement. Raoul Nordling était Suédois parce que son père l’était, bien entendu, mais celui-ci ayant dû gagner la France pour raisons professionnelles, le gamin naquit à Paris en 1882 et mourut à Neuilly en 1962. La France, il la connaissait, il l’aimait ; il se disait d’ailleurs « citoyen de Paris ». Cet enracinement affectif l’avait déjà conduit à rendre des services à la Résistance.

Jeudi 7 mai 2020

 Luc Ferry vient de faire une importante découverte : il constate que notre rapport à la mort a changé.

 Ce philosophe respectable tient une chronique hebdomadaire dans Le Figaro. De semaine en semaine, ses textes sont de plus en plus inconsistants. Son émolument (comme disait Alphonse Allais) le retient sans doute devant la page blanche, mais la qualité de sa réputation en prend un coup.

 On est en train de faire une importante découverte : Luc Ferry n’a plus rien à dire.

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 Mais que se passe-t-il donc entre Emmanuel Macron et son Premier ministre. Ils continuent tous deux à faire face séparément aux difficultés causées par le déconfinement. Tandis que Macron apparaît à l’Élysée, manches retroussées, avec un ministre à ses côtés jouant le rôle d’un scribe, Philippe donne une communication à Matignon sur le déconfinement entouré de six ministres. Les Français commencent à percevoir le moment que fournit toujours tôt ou tard la Ve République, discorde considérée comme inscrite dans les conséquences constitutionnelles. Soit. Rien de plus normal donc, dans un sens. Sauf que la France est aussi en crise sanitaire, « en guerre » a même dit le président. Un remaniement gouvernemental serait du plus mauvais goût. Les chiffres commencent eux aussi à découler des conséquences. Le duo du sommet de l’État est en perte de popularité dans les sondages. Encore un effort messieurs !

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