Me voici mandataire public

Emois et moi

Par | Journaliste |
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Le conseil est probablement avisé, mais sans risque, le progrès est-il possible? Photo © Jean Rebuffat

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J'ai été installé, ce 22 mars, membre du Conseil de l'aide sociale d'Uccle (en d'autres mots, conseiller CPAS). Me voici donc mandataire public, de l'autre côté d'un monde que j'ai fréquenté longtemps comme journaliste, le monde politique. Je passe aussitôt aux aveux: j'assume le sacrilège.

Tant que j'étais journaliste dans un groupe de presse pluraliste, celui qui publie «Le Soir», je me suis refusé à me faire membre d'un parti politique quel qu'il soit. Mon engagement citoyen était pourtant déjà présent, puisque j'ai été longtemps délégué syndical FGTB (Setca) et que j'ai siégé longuement au CSHE et au Conseil d'entreprise. Après mon départ de Rossel et Cie, où j'occupais les fonctions de chef du Soir en ligne, fonctions combinant des responsabilités éditoriales mais aussi budgétaires, j'ai pris la décision de me faire membre du Parti socialiste. Eh oui, du Parti socialiste, malgré les casseroles, malgré les conflits de personnes, sans illusion sur les défauts de ce parti, mais par idéal humain. Il s'agissait d'une décision symbolique. J'ai été élevé dans une famille de gauche dont l'étymologie du nom indique assez un côté rebelle : il est apparenté à se rebiffer et à rebuffade. J'ai accepté cet héritage. Les valeurs laïques et les valeurs de gauche, la trilogie française liberté égalité fraternité, la conviction que le progrès est possible et le goût d'aimer les autres, tout cela fait partie de moi comme de bien d'autres.

Jusqu'ici je n'ai pas milité. Je franchis le pas au moment où il peut apparaître incongru et hasardeux de le faire. Les partis socialistes, en Europe occidentale, ramassent des casquettes électorales. En Belgique, le PS s'identifie peut être un peu plus que les autres partis démocratiques à une certaine idée de la gouvernance clientéliste et affairiste. Les révélations Publifin ne sont pas de nature à entrevoir des lendemains qui chantent pour le parti dont je suis membre.

Mais l'idéal reste. Outre la certitude qui n'a rien d'une naïveté, croyez-moi, que la très grande majorité des mandataires politiques manifestent un véritable esprit citoyen et ne remplissent que des charges modestes et peu rémunérées, j'éprouve, à l'automne de ma vie, le double sentiment que si personne ne se dévoue, la situation ne pourra qu'empirer et que tous les progrès, même les plus minuscules, pouvant rendre notre société plus solidaire, plus juste et plus fraternelle valent la peine et finiront par devenir conséquents.

Je ne me justifie pas: j'explique. L'aide sociale me paraît un combat juste, important sur le plan humain et au reste, relativement peu partisan.

Que celles et ceux qui ont de l'estime pour ma liberté d'écriture ne craignent rien: je n'ai pas l'intention de la laisser au vestiaire, ni comme journaliste à « Entre les Lignes », ni comme blogueur, ni comme écrivain, ni comme poète, ni comme individu.

Que celles et ceux qui imaginent que ces mandats sont toujours fatalement multiples et rémunérateurs se rassurent: je publierai sur mon site personnel, www.jeanrebuffat.com, le montant trimestriel des jetons de présence qui m'auront été alloués, ainsi que le temps que l'exercice de ces mandats me prendra. La transparence, je l'ai prônée pour les autres, je me l'applique. J'ajoute, pour être complet, que je bénéficie d'une pension de retraite dont le montant mensuel est de 1.850 euros net (j'ai deux enfants encore à charge, étudiants à l'ULB depuis 2014). Elle correspond à 38/45èmes de la retraite maximale à laquelle j'aurais pu prétendre, soit la durée de mon engagement au «Soir». Cette pension est supérieure à la moyenne belge, j'en suis conscient. Les journalistes professionnels bénéficient d'un régime particulier avantageux mais cotisent aussi plus (leurs patrons également).

J'ajoute enfin que mon patrimoine personnel est faible. Je ne suis pas propriétaire foncier. Je possède deux voitures, une vieille Clio et une antique Smart, dont se servent surtout mes deux plus jeunes fils, des objets d'art, des tableaux, des livres auxquels je tiens et dont certains ont une valeur marchande réelle dont la vente pourrait me rapporter quelques milliers d'euros. Je précise que chacune des deux mères de mes deux fois deux enfants sont propriétaires d'une maison (à Uccle) dont j'ai contribué, en large ou très large part, à l'achat et au financement. De la sorte, mes enfants hériteront de façon équivalente. Je n'attache pas, à titre personnel, une grande importance à la propriété.

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Je conclus en citant Jaurès, comme en exergue de mon dernier livre, «Testament journalistique»: Ce qui reste vrai, à travers toutes nos misères, à travers toutes les injustices commises ou subies, c'est qu'il faut faire un large crédit à la nature humaine. Cette confiance n'est ni sotte, ni aveugle, ni frivole. Elle n'ignore pas les vices, les crimes, les erreurs, les préjugés, les égoïsmes de tout ordre qui appesantissent la marche de l'homme, et absorbent souvent le cours du fleuve en un tourbillon trouble et sanglant. Elle sait que les forces bonnes, les forces de sagesse, de lumière, de justice, ne peuvent se passer du secours du temps, et que la nuit de la servitude et de l'ignorance n'est pas dissipée par une illumination soudaine et totale, mais atténuée seulement par une lente série d'aurores incertaines.

C'est dans cet esprit que j'espère, à ma très modeste échelle, participer à cette lente série d'aurores incertaines. En toute liberté.

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