Quelque chose qui s’appelle "honneur"…

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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La « marche blanche » lors de l’enterrement de la petite Mawda, à Evere, le 30 mai 2018. Photo © DR

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Il nous fallait être là, vague blanche portant une famille de noir vêtue, suivant un petit cercueil blanc. « Mawda, petite sœur de Semira », chantait Claude Semal aux Octaves de la musique. Mawda, petite fille kurde irakienne, née il y a deux ans en Allemagne et donc notre petite sœur européenne, abattue dans les bras de sa mère par une balle policière aux environs de Mons, le 17 mai 2018.

Nous étions là, au cimetière à Evere, portant en nos cœurs l’évocation des morts noyés en Méditerranée, étouffés dans des camions de passeurs criminels, tués par des balles de la police, enfermés dans des camps de détention de réfugiés, abattus dans les déserts où les guerres menées par nos pays ont permit que règne la loi du plus fort, du plus vénal, du mieux armé (et parfois armé par nous-mêmes, ravis de vendre nos armes comme d’autres encore plus avides de marchés du sang).

Nous étions là, pour l’honneur de citoyens qui désapprouvent avec dignité mais avec force la politique gouvernementale de répression des demandeurs d’asile et migrants. Des gens ordinaires, sans mandats politiques et qui considèrent que nos représentants politiques doivent avant tout appliquer les règles morales de protection des droits fondamentaux de tous les humains : l’asile, l’assistance à personnes en danger, la protection des enfants avant tout et donc de leurs familles.

Un sens de l’honneur bafoué par nos représentants politiques actuels. Souvenons-nous : lorsque la jeune nigériane Semira Adamu a été étouffée par des gendarmes qui la maintenaient de force dans un avion en partance pour le Togo,  le ministre de l’Intérieur de l’époque, le socialiste flamand Louis Tobback a démissionné. Il estimait qu’il devait assumer la responsabilité d’un corps dont il avait la tutelle. C’était en septembre 1998. Rappelons aussi que l’enquête judiciaire avait tenté d’incriminer le collectif citoyen qui assistait Semira Adamu dans sa demande d’asile. C’est précisément ce soutien qui été désigné comme la cause de sa résistance et donc de sa mort… Devant l’indignation générale et l’action de grandes ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch, relayés largement par la presse, cette manœuvre a été abandonnée et le ministre Tobback annonçait la suspension des expulsions forcées.

 Vingt ans après, les ministres du gouvernement de Charles Michel et notamment le ministre de l’Intérieur Jan Jambon et le secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration Theo Francken, tous deux N-VA et donc nationalistes flamands d’idéologie très extrémiste de droite, n’envisagent pas une seconde de démissionner alors qu’ils appliquent une politique attentatoire aux droits humains les plus fondamentaux lorsqu’il s’agit de demandeurs d’asile et de migrants. Le ministre de la Justice Koen Geens annonce - après deux jours de réflexion - qu’il ne veut en aucun cas démissionner après l’attentat terroriste de Liège (quatre morts dont deux policières abattues), commis par un délinquant apparemment « radicalisé » en prison et autorisé à la liberté conditionnelle.

Ce même ministre mène une « réforme » de la justice qui contribue seulement à l’appauvrir et notamment dans le secteur pénitentiaire qui n’a pas les moyens de prendre en charge l’accompagnement et la réinsertion des détenus. Par divers moyens, la Justice est affaiblie et la mainmise du gouvernement s’accroît. L’affaire des visites domiciliaires afin de traquer des demandeurs d’asile et des migrants accueillis par des citoyens en est un des exemples les plus évidents. Seul un juge peut ordonner de telles visites domiciliaires. Grâce à ce gouvernement, c’est la police, donc l’exécutif, qui prend l’initiative.

Pire, Theo Francken a  refusé de se plier à une décision d’une instance judiciaire qu’est le « Conseil de contentieux étranger » qui avait décidé en octobre 2016 l’octroi d’un visa d’entrée en Belgique pour une famille syrienne d’Alep menacée de mort par les bombardements. Le secrétaire d’Etat refusa l’octroi du visa humanitaire et  en décembre la Cour d’Appel de Bruxelles a condamné l’Etat belge à appliquer la décision du C.C.E. Le gouvernement a répondu qu’il ne devait pas se plier à des décisions de justice qui lui seraient défavorables !

Dans un communiqué, le collège du Ministère public s’est exprimé sur les déclarations et l’attitude du Secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, jugeant celles-ci comme étant «une inacceptable remise en cause de la séparation des pouvoirs, l'un des fondements de notre démocratie. (...) Les règles de l'Etat de droit s'appliquent à tous et (...) le pouvoir exécutif ne peut s'immiscer dans les décisions de justice ni remettre en cause  l'impartialité des membres du pouvoir judiciaire sans fondement concret. Le monde judiciaire applique le droit édicté par le pouvoir législatif. Il ne revient donc pas au pouvoir judiciaire de se mettre sur des listes électorales mais bien au pouvoir législatif de décider de modifier les lois s'il le souhaite. »

Ce refus constitue une atteinte inimaginable à la séparation des pouvoirs, dénoncée par les plus emblématiques personnalités du pays. Même le ministre de la Justice Koen Geens avait estimé à l’époque que Theo Francken devait se plier à cette décision.

Pas de démission, dans aucun des cas si fortement dénoncés par les citoyens et les ONG de défense des droits humains. L’honneur en politique a succombé à la volonté de puissance d’un exécutif arrogant.

Ces derniers jours, le comble du déshonneur a été atteint avec la diffusion par Theo Francken et par le président de son parti Bart De Wever d’élément confidentiels du dossier des parents de la petite Mawda, détenu par l’Office des étrangers. Sur la chaîne VTM, Bart De Wever a déclaré qu'il fallait « oser pointer la responsabilité des parents de Mawda » dans la mort tragique de la fillette et que ceux-ci « ne sont pas simplement des victimes. »

 Les parents devenant complices des passeurs deviennent ainsi des criminels. Bart De Wever ne voit absolument pas ce qu’il y a de mal à dire cela. Le ministre de l’Intérieur Jan Jambon et le secrétaire d’Etat Theo Francken semblent ne pas avoir d’état d’âme en transmettant à leur président de parti des informations confidentielles.

Quelques jours plus tard, Theo Francken a tancé les recteurs des universités belges. Ces 11 recteurs d’universités tant francophones que flamandes faisaient preuve de dignité et de rappel des valeurs humanistes en demandant au Premier ministre Charles Michel de régulariser la situation de la famille de la petite Mawda afin « de suivre la procédure judiciaire et de se recueillir sur sa tombe », écrivaient-ils. Ils  exprimaient aussi leur préoccupation « devant le climat actuel à l'égard des migrants qui conduit à une dégradation progressive du respect dû aux personnes et de la protection des plus vulnérables dans nos sociétés ».  Menaces de Francken : « Si les recteurs veulent jouer à un petit jeu politique sur les dossiers de migration, ils seront confrontés à un retour de boomerang. Tant sur le fond que publiquement.»

L’honneur en politique est définitivement enterré dans le populisme d’extrême-droite de la N-VA et donc celui du gouvernement Charles Michel.

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Il nous reste l’honneur citoyen comme défense ferme d’une démocratie basée sur des valeurs universelles, celles des droits humains.

  • La Libre Belgique en ligne, « Refus de visas à une famille syrienne: les propos de Theo Francken sont inacceptables, juge le collège du Ministère public», 10 décembre 2016, à consulter : http://www.lalibre.be/actu/politique
  • A voir : Françoise Tulkens s’insurge contre les atteintes à la séparation des pouvoirs en Belgique : video

 

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