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Le nouveau roman de Thierry Robberecht

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Lecture 3 min.

Thierry Robberecht dirige son écriture vers un état des lieux qui empire chaque année et que, bien que devenu permanent, l’on s’obstine, encore et toujours à nommer « la crise des sans-papiers ».
S’il pose un regard désemparé et néanmoins romanesque sur le décor odieux de cette horreur installée, l’auteur pourtant nous rappelle, par ce court roman, que ce décor est bien le nôtre et qu’il y bouillonne une multitude de drames parallèles.

Moussa, Marleen et un troisième homme vont, malgré eux, faire tragédie.

Déjà Moussa erre depuis longtemps dans un voyage long et dangereux, fait de traversées de déserts, de mers et d’autoroutes que l’on prend à pied à l’approche des grandes villes de la vieille Europe. Cette migration le mène de la vie précaire à la précarité de l’existence la plus trouble, celle vécue par les sans-papiers. Etat mental presque métaphysique, dont on ne peut percevoir l’abîme sans s’y être frotté soi-même.

Moussa vivra toute sa jeunesse en une saison, quelques mois passés sur les chemins aléatoires, dans l’inconnu qui enfle de jour en jour, inventant vaille que vaille les astuces qu’il faut trouver à chaque instant afin de survivre et qui n’arrivent pas à empêcher la maigreur, la crasse, les souffrances du corps et l’anxiété qui, elle aussi, tord l’estomac.Le jeune homme observe et tente de comprendre la ville qu’il découvre aujourd’hui et qui est celle d’avant l’île britannique. Bruxelles la pluvieuse, la grise, la froide, la triste.Quartiers, parcs, pavés, bistrots, files pour s’inscrire, files pour manger quelque chose, parc. Marcher pour ne pas être contrôlé, puis parc, encore…

Sur une route parallèle, nous suivons le rituel matinal de Marleen, la soixantaine finissante, qui entame sa journée à coup de verres de vin blanc, dans le café du coin où vit et sévit son clan du troisième âge, avant de regagner son chez-soi d’un pas peu assuré.

Chez soi ! Voilà bien la lumière recherchée par les comme Moussa. On pense alors qu’il est plus juste de dire SCS (sans chez-soi) plutôt que SDF, puisque, comme le dit Laurent d’Ursel, il est plus essentiel d’avoir un chez-soi qu’un domicile. Dilemme du papier rejoignant celui du domicile.

La situation qui s’installe prend alors un rythme accru, où l’espoir reprend forme sinon vigueur lorsque Marleen accepte d’héberger Moussa. Période flottante et incertaine, les jours passent, les verres de blanc et les rapports superficiels des amis du bistrot sont entretenus par prudence et frilosité.Il s’agit alors de s’apprivoiser l’un l’autre, avec hésitations et maladresses ; ces deux errances trouveront une pose dans leur solitude jusqu’à y faire place à quelques moments de tendresse. Blondeur et douceur de femme ; beauté noire de la jeunesse d’un corps.

Robberecht décrit avec acuité les balbutiements et les approches naïves de ces deux êtres qui s’observent sans se regarder en face, mais qui finissent par se donner l’un à l’autre le peu qu’ils ont, le peu qu’ils peuvent, c’est à dire eux-mêmes.

Et tandis que dehors, le Monde continue immobile, les frustrations du passé anesthésient nos vies et, parfois, refont surface dans le sang.
Le récit nous kidnappe et une tension s’installe pareille à Simenon. Mais non : c’est plutôt Euripide qu’il convoque, puisqu’à la fin du livre, plus rien n’est possible désormais.

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Boris Almayer


A lire également : -Entre mes bras- et –Onuzel- aux Editions Weyrich

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