-Le crabe aux pinces d’homme- Un nouvel album de Gérard Manset

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Le crabe aux pinces d’homme- Un nouvel album de Gérard Manset

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Ah, poser avec fébrilité sur sa platine le nouveau Manset, comme on a pu faire pour le dernier Bowie dans les seventies ou, pour d’autres, le disque oublié d’un vrai jazz à jamais perdu…Quel rite ! Ce n’est pas la première fois que Gérard Manset fait un clin d’œil à Hergé. Ce Crabe aux pinces d’homme qui est-il ?

L’homme du bonheur en creux lance ici quelques nouvelles formules comme autant de boomerangs sifflants confirmant sa verve plus prolifique que jamais. « Tel un petit insecte, immensément habile qui a creusé sa place dans l’écorce du Monde ».

Depuis des années avec notamment Opération Aphrodite et A bord du Blossom qui, tous deux, mêlaient textes et poésies tout ensemble dits et chantés avec emphase et solennité parfois, mais toujours emportés par cette voix d’outre-chanson française, unique et reconnaissable entre toutes.
Emporté aussi, nous le sommes par son incomparable faculté de narration, de nous raconter l’histoire de Marilou par exemple, véritable road-movie tragique et visuel qui nous rappelle aussi qu’il y a, chez Manset, quelques familles de chansons reconnaissables dans son répertoire. On le vérifie bien sûr chez beaucoup d’auteurs/compositeurs.

Ainsi à l’écoute de Marilou-Marilou nous nous souvenons de la Petite Fauvette, de Comme un guerrier ou encore du Genre Humain. Cette famille de chansons est celle des enfants perdus, meurtris et oubliés, eux-mêmes faisant l’écho à chaque fois renouvelé des protagonistes de la jeunesse noyés dans la misère du Monde et qui passent inaperçus sur nos trottoirs, dans nos bistrots ou au creux d’une pirogue dans le pays lointain d’une époque révolue.
Il y a aussi cette filiation qui vient peut-être du lointain Il voyage en solitaire qu’on a pu nous rappeler Dans un jardin que je sais et qui résonne dans le merveilleux Sandales noires de ce dernier album. Chansons du soir, rêveries mélancoliques où passent les fantômes du passé, les enjeux de l’espoir déçu portés par une langue classique que seul Manset réussi à imprimer dans l’esprit et le ton de la musique rock.
Dans Sandales noires, l’auteur use d’une tournure inhabituelle pour un concept qui lui est cher, à savoir un questionnement sur ce que le réel grave en nos sens, en notre mémoire. Ce qui se traduit par le phénomène épiphanique, l’apparition dans notre conscience de ce qui est là devant nous, voire permanent mais, qui jusque là, était tout simplement escamoté par notre perception culturelle des choses. Et cela se dit chez Manset ainsi :

« -Devant chez moi était un lévrier, souvent couché au bas d’un poivrier
-Quand je tendais la main pour le flatter, il se dressait du fond des parfums de l’été

-Comme si tout à coup quelque divinité
-Allait se faire savoir... »
Remplacer « apparition » ou « révélation » par « se faire savoir » dit toute la finesse des élans psychologiques de Manset.

Il y a aussi l’Espérance, sorte de description fatale et terrifiée du paysage fumant d’Oradour-sur-Glane. Place de village, fête paysanne, fiançailles et bombes qui tombent. On y suit l’histoire, dans une écoute attentive, comme on l’a fait de Comme un arbre ses fruits ou Le Lys dans la vallée.
Enfin, il est à remarquer encore un thème repris depuis J’aurais aimé une autre mère et qui conte l’histoire du fils de Pantéra.
-« Si tu ne tues pas la panthère, c’est la panthère qui te tuera… »
La mère dangereuse et détestée et l’enfant qui a grandi dans l’observation de ses méfaits. L’aventure prend ici une allure de BD, là où dans la chanson de 2006 sur l’album Obok prenait la forme d’une tragédie grecque.

L’album, malgré tant de profondeurs douloureuses, est énergique et parfois même léger. Oui, oui j’ai bien dit léger. Une guitare hawaïenne ouvre l’album pour, joyeusement, accompagner une histoire de tendresse, d’amour et de paradis terrestre (Dans un pays de pain d’épices). Chanson si pleine de bonheur qu’elle contredit d’emblée la réputation de mélancolie cafardeuse du répertoire habituel. Tout au long des dix chansons les guitares saturées mêlent riffs, arpèges et orgue Hammond. Certes le bonheur est musical et littéraire, mais aussi d’un ordre tellement rare aujourd’hui, celui de la description presque géographique des méandres d’une inspiration hors norme.

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Quel bonheur de voir cet ainé de la chanson française conserver depuis tant d’années ce rythme régulier pour les éditions de son inépuisable faculté à nous transporter dans des ailleurs de plus en plus nécessaires.

Boris Almayer

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