Un tribunal des peuples pour défendre les droits des migrants

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Chaque année, des dizaines de milliers d’étrangers viennent en France, cherchant à rejoindre leur famille, à obtenir de meilleures conditions de vie, fuyant un pays d’origine dans lequel ils sont en danger. Photo © Croix-Rouge.fr

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33.000 êtres humains ont perdu la vie depuis l’an 2000 en tentant de franchir la Méditerranée. 33.000 morts injustes. Par milliers, des citoyens européens se mobilisent, le plus souvent contre les politiques de leurs gouvernants, afin d’aider ces migrants échoués sur nos côtes, enlisés dans la neige en tentant de passer des cols montagneux, transis de pluie froide dans nos parcs, des jeunes abandonnés à la rue et à tous ses périls, des enfants placés dans des centres fermés au lieu d’aller à l’école et de vivre en paix dans les communautés où ils ont été accueillis avec leurs parents.

Et la justice s’en mêle, ordonnant parfois que les mesures d’urgence d’accueil des migrants soient mises en place par les pouvoirs publics, condamnant d’autres fois, et notamment en France, des citoyens qui tentent de sauver des sans-papiers, donc des humains en séjour illégal sur le territoire. Le « délit de solidarité »  a ainsi été inventé dans « la patrie des droits de l’Homme » !

En effet, l’article L 622-1 du Ceseda (Code d’entrée et de séjour aux étrangers et demandeurs d’asile) prévoit que « toute personne aidant directement ou indirectement à l’entrée, à la circulation et au séjour des étrangers en situation irrégulière encourt une peine maximale de cinq ans de prison et trente mille euros d’amende ».

“La disposition initiale date d’un décret-loi de 1938 pris par le gouvernement Daladier dans un contexte particulièrement xénophobe” rappelle Laurène Chesnel, rapporteure d’un avis sur le délit de solidarité émis par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH). A l’époque, il s’agissait de faciliter les opérations de police pour renvoyer les étrangers dans leur pays. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, l'article continue d'être employé. En décembre 2012, une loi a cependant introduit l’article L. 622-4 du Ceseda, qui exempte les personnes de poursuites à deux conditions : l’acte reproché ne doit avoir apporté aucune contrepartie directe ou indirecte à l’aidant et celui-ci doit s’être contenté de fournir des conseils juridiques, des prestations de restauration, d’hébergement ou des soins médicaux dans le but d’assurer des conditions de vie dignes et décentes à l’étranger. Théoriquement, les militants associatifs sont protégés… Sauf que ce texte ne concerne que l'aide au séjour et non l’entrée et la circulation sur le territoire.

Donc, est délictueux le fait d’aider gratuitement et sans contrepartie des migrants à passer les cols enneigés et à pénétrer dans le pays ou à les aider à en sortir clandestinement.

De plus, la notion de dignité des migrants est interprétée librement par les juges. Ainsi, en 2009, alors que Nicolas Sarkozy était au pouvoir et que le nombre d’interpellations était très élevé, des bénévoles ont été interpellés pour avoir rechargé le téléphone portable d’un migrant à Calais, ou donné des cours d'alphabétisation. Pour les juges, ces actes ne visaient pas à préserver la dignité de ces personnes…

Pire : la justice française a mis en avant un « esprit de rébellion » visant à mettre en échec la politique migratoire de l’Etat et a condamné Cédric Herrou et Pierre-Alain Mannoni, respectivement à quatre et deux mois de prison avec sursis pour avoir hébergé et transporté des sans-papiers. « Les juges n’ont absolument pas tenu compte de la détresse physique des trois Érythréennes relève Pierre-Alain Mannoni. Ils m’ont d'emblée qualifié de militant, alors que je ne fais partie d'aucune association et que je ne m’étais jamais revendiqué comme tel. »

De plus, la France est en contradiction avec la directive européenne de novembre 2002 qui demande aux Etats membres de pénaliser l’aide lucrative aux migrants – les passeurs dont la majorité restent impunis - et non de lutter contre l’aide humanitaire. Cette directive a été rappelée en 2015 par le Conseil de l’Europe pour dénoncer certains pays européens poursuivant des aidants pour « délit de solidarité ».

Les protestations fusent un peu partout en France. Ainsi, un célèbre spécialiste de la médecine de guerre, Raphaël Pitti, a annoncé le 29 décembre à l’AFP avoir rendu la Légion d’honneur que le président de la République lui avait remise l’été dernier :  « J’appelle “dégradant”, en cette fin d’année dans notre République française, les agressions que subissent des gens en transit sur notre sol et auxquels on ne permet pas de satisfaire les besoins les plus fondamentaux tels que l’accès à l’eau, à la protection et à la sécurité, aux toilettes, au chauffage, à un couchage ». « On préfère les reléguer au statut d’ombre, dans les jungles, les forêts, les montagnes, allant jusqu’à condamner ceux qui auraient la bienveillante idée de les secourir. »

Il souligne aussi, auprès de l’AFP : « J’ai été en Belgique et en Allemagne, j’ai vu les conditions d’accueil et j’ai honte de mon pays ».

Bon, il n’a pas rencontré Théo Francken… Qui a suscité un énorme tollé en Belgique en renvoyant au Soudan des migrants qui ont été torturés à leur retour. https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_soudanais-tortures-une-carte-blanche-des-freres-dardenne-appelle-au-depart-de-theo-francken?id=9801198

Un Tribunal des peuples

Une session du Tribunal Permanent des Peuples se déroulera les 4 et 5 janvier à Paris. Thème : « La violation des droits humains des personnes migrantes et réfugiées et son impunité ».  

Ce tribunal d’opinion est indépendant des Etats et répond aux demandes des communautés et des peuples. Le but des audiences est de « restaurer l’autorité des peuples lorsque les États et les organisations internationales ont échoué à protéger les droits des peuples ». Le TPP fait suite au Tribunal Russell et s’appuie sur la Déclaration Universelle des Droits des Peuples (Alger, 1976) et de tous les instruments du droit international. Le Tribunal se compose de personnes venues du monde entier, garantissant ainsi son indépendance. Les sentences prononcées sont remises à plusieurs instances telles que : le Parlement Européen, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, les commissions de l’ONU, aux organisations internationales et régionales, aux organisations humanitaires

Le jury sera présidé par Philippe Texier, magistrat, conseiller à la Cour de cassation, membre et président du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies de 1987 à 2009.

Les autres membres du jury sont :

  • Souhayr Belhassen (Tunisie), journaliste et défenseuse des droits humains, présidente d’hnneur de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) entre 2007-2013.
  • Mireille Fanon Mendès-France (France), professeur de Lettres, membre pendant 6 ans du Groupe de travail d’experts sur les personnes d’ascendance africaine du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. Présidente de la fondation Frantz Fanon.
  • Pierre Galand (Belgique), économiste, il a enseigné à l’Institut Supérieur de Culture Ouvrière et à l’Université Libre de Bruxelles. Il est à l’origine de plusieurs ONG et  associations de solidarité avec les peuples des pays en développement ou privés de liberté, dont OXFAM-Belgique dont il a été secrétaire de 1967 à 1996. Ancien président de la Fédération Humaniste Européenne, de l’Organisation Mondiale contre la Torture, il a été l’initiateur du Tribunal Russell sur la Palestine.
  • Franco Ippolito (Italie), président du Tribunal Permanent des Peuples, juge de la Cour Suprême de Cassation d’Italie, ancien président de la Magistrature Démocratique et de l’Association Italienne des Juristes démocratiques.
  • Luís Moita (Portugal), professeur de relations internationales et directeur du centre de recherche OBSERVARE à l’Université Autonome de Lisbonne. En 1974, fondateur du CIDAC, ONG portugaise pour la libération des peuples et la coopération.
  • Madeleine Mukamabano (France-Rwanda), journaliste et spécialiste de la géopolitique africaine.
  • Sophie Thonon (France), avocate du Barreau de Paris. Elle a représenté des familles franco-argentines et franco-chiliennes dans des procès de disparitions forcées en Argentine et au Chili. Elle est présidente déléguée de l’association France Amérique Latine.

 

Infos : https://intercoll.net/Programme-de-la-Session-de-Paris

Informations sur le droit :

https://www.gisti.org/spip.php?page=sommaire

Lire aussi : « Coopération UE-Afrique sur les migrations. Chronique d’un chantage » :

www.migreurop.org/article2849.html
https://www.mediapart.fr/journal/international/301217/kerkennah-l-ile-aux-mille-passeurs?page_article=2

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