Inaccessible objectivité

Les calepins

Par | Penseur libre |
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Le 23 octobre 1817 naissait Pierre Larousse à Toucy (Yonne). Photo © D.R.

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Lundi 23 octobre

 La charmante commune de Toucy (Yonne) fête le bicentenaire de l’enfant du pays : Pierre Larousse (1817 – 1875). Ce pédagogue et lexicographe édita sous sa plume un dictionnaire qui, comme on le sait, fait des petits chaque année. Mais à l’époque, la recherche de l’objectivité ne guidait pas sa plume. Héritier des encyclopédistes, il construisit un ouvrage qui nous donne un reflet de ce 19e siècle si chargé de pistes idéologiques et de découvertes anthropologiques. Un exemple, la notice du mot Nègre : « C’est en vain que quelques philanthropes ont essayé de prouver que l’espèce nègre est aussi intelligente que l’espèce blanche. Un fait incontestable et qui domine tous les autres, c’est qu’ils ont le cerveau plus rétréci, plus léger et moins volumineux que celui de l’espèce blanche. Mais cette supériorité intellectuelle qui, selon nous, ne peut être révoquée en doute, donne-t-elle aux blancs le droit de réduire en esclavage la race inférieure ? Non, mille fois non. Si les nègres se rapprochent de certaines espèces animales par leur forme anatomique, par leurs instincts grossiers,  ils en diffèrent et se rapprochent des hommes blancs sous d’autres rapports dont nous devons tenir grand compte. Ils sont doués de la parole, et par la parole nous pouvons nouer avec eux des relations intellectuelles et morales, nous pouvons essayer de les élever jusqu’à nous, certains d’y réussir avec une certaine limite. Du reste, un fait plus sociologique que nous ne devons jamais oublier, c’est que leur race est susceptible de se mêler à la nôtre, signe sensible et frappant de notre commune nature. Leur infériorité intellectuelle, loin de nous conférer le droit d’abuser de leur faiblesse, nous impose le devoir de les aider et de les protéger. »

Mardi 24 octobre

  Le nom de l’actuel président de la Chine, Xi Jinping, figure désormais dans la charte du Parti communiste chinois, leur Constitution. Il n’en faut pas davantage pour que les observateurs considèrent qu’il détient désormais le même statut que Mao. Certes. Mais les longues marches qui leur permirent d’accéder au pouvoir ne sont pas tout à fait pareilles. Aucun Malraux pour raconter celle de Xi Jinping, forcément.

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 « Des images ne composent pas une biographie, des événements non plus. C’est l’illusion narrative, le travail biographique, qui créent la biographie. Qu’a fixé Stendhal, sinon des moments de la sienne ? Chacun articule son passé pour un interlocuteur insaisissable : Dieu dans la confession ; la postérité, dans la littérature. On n’a de biographie que pour les autres. » (André Malraux. Lazare, éd. Gallimard, 1974)

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 La poignée de mains de Montoire entre Pétain et Hitler a 77 ans. Le maréchal en avait 84, un âge canonique où il n’est plus recommandé de s’occuper de canons.

Mercredi 25 octobre

 Les langues se déliant un peu partout depuis qu’Hollywood a déclenché les dénonciations, voilà que George Bush père est obligé de s’excuser pour avoir commis quelques attouchements. Et tu quoque ?

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 Le gouvernement de la Catalogne a joué avec le feu. De plus en plus de responsables séparatistes s’en rendent compte. Penauds, ils feraient bien marche arrière. Mais ils sont espagnols, donc fiers, hidalgos par nature et dès lors tout à fait sensibles au déshonneur.

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 En meeting un peu partout pour devenir le président des Républicains, Laurent Wauquiez claironne son slogan : « Pour que la droite soit une vraie droite ! » Euh ! Pouvez-vous m’expliquer s’il vous plaît ? Et d’abord, jusqu’à présent, c’était donc une fausse ?

Jeudi 26 octobre

 Carles Puigdemont devait s’exprimer devant le Sénat. Il s’est rétracté quelques heures avant l’ouverture de la séance. Il annonça des élections régionales dans l’après-midi. Il annula le projet en début de soirée. L’un de ses ministres, écœuré, démissionne. Les tergiversations et les atermoiements du triomphateur sont en train de le démonétiser. Il a joué avec les allumettes ; à présent, il ne  maîtrise plus l’incendie. Comme on le subodorait, le président de la région catalane n’est pas à la hauteur de l’événement. La fermeté de Rajoy semble donc payer.

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 Bien avant d’inventer Le Chat, Philippe Geluck avait testé son humour créatif en publiant quelques dessins aux éditions du Daily-Bul (La Louvière, 1974) dans la collection Les Poquettes volantes sous le titre Les métiers oubliés. On pouvait y découvrir L’empêcheur de tourner en rond, Le coupeur de cheveux en quatre, etc. Dans le cadre d’une exposition consacrée au Travail qui va s’ouvrir à Liège à la Cité Miroir, deux jeunes dessinateurs satiriques, Stiki et Pépé, exploitent la même veine et inventent Le cracheur au bassinet, L’enfonceur de portes ouvertes, Le poseur de lapins, Le botteur en touche, etc. Mais quarante-trois ans après Geluck, l’objectif n’est plus le même. Ces deux gredins de la plume et du crayon luttent dans des collectifs contre les exclusions. Entretemps, Reagan et Thatcher sont passés, ils ont fait des petits qui régissent toujours la société en démunissant les plus fragiles pour préserver les riches. Un jour peut-être cette méthode-là s’appellera le macronisme.

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 Les villages de France ont aussi contribué à la construction et à l’évolution du « cher Vieux pays ». François Baroin vient de le démontrer en une somme aussi érudite qu’insolite (Une histoire de France par les villes et les villages, éd. Albin Michel). Si riche soit-il, cet ouvrage ne peut pas se prétendre complet, car parmi  les 36.500 et quelque communes que compte la France, nombreuses possèdent une caractéristique méritant le détour. Que ce soit la vaste librairie de Banon (Alpes-de-Haute-Provence, moins de 1000 habitants) ou l’immense quincaillerie de Beaumont-en-Périgord (Dordogne, population équivalente), l’insolite, par la taille disproportionnée, participe à la renommée d’un pays que les habitants préfèrent souvent railler plutôt que de vanter la richesse de ses diversités.

Vendredi 27 octobre

 Selon son habitude, Trump annonce avec fracas qu’il lève le secret sur les archives concernant l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Des centaines de milliers de documents vont tomber dans le domaine public. Les historiens se préparent à un travail titanesque mais passionnant. Les journalistes embauchent des stagiaires spécifiquement formés pour déblayer les informations. Les chaînes de télévision préparent des programmes spéciaux. Aucun organe d’information ne veut être en retard d’une annonce. Il y va de leur notoriété. Une formidable machinerie se met en place au service de l’opinion. Bien entendu, comme toujours aux États-Unis, l’argent occupe une place prépondérante au sein de cette vaste tâche. Le pays sortira-t-il grandi de cette opération-vérité ? Ou encore plus divisé ? Trump aura-t-il enfin réussi à prendre une bonne décision ? Non. On apprend que certaines archives demeureront sous scellés. Ce sont évidemment celles-là qui nourriront les avidités. Encore un éclat de voix et un geste qui font pschitt. Pauvre type…

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 « Le meilleur argument contre la démocratie est une conversation de cinq minutes avec un lecteur moyen ». Cette citation de Winston Churchill est évoquée dans le roman de Saphia Azzeddine Sa mère (éd. Stock) qui sera peut-être couronné d’un prix dans quelques jours. En ces temps de déstabilisation, de mensonges institutionnalisés, de fausses informations, la démocratie est souvent décriée. En fait, c’est plutôt le suffrage universel qui est remis en question et il est surprenant que Churchill soi-même ait nourri aussi la confusion, lui qui avait  déclaré que « la démocratie est le pire des systèmes à l’exclusion de tous les autres. »

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 Richard Cocciante reprend du service avec la comédie musicale Notre-Dame de Paris. Sans Hélène Ségara, sans Garou, sans Patrick Fiori, mais avec de jeunes talents pleins d’enthousiasme et certains anciens comme Daniel Lavoie dans le rôle de l’archidiacre Claude Frollo. Une journée sans Victor Hugo est une journée incomplète.

Samedi 28 octobre

 La psychanalyste Élisabeth Roudinesco sur Europe 1, à 9 h 25 : « Marylin Monroe a subi du harcèlement dès son adolescence. Moi, non… »

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 Au Revoir Là-Haut. Ce film, coécrit, réalisé, joué par Albert Dupontel est une adaptation du roman éponyme de Pierre Lemaître qui reçut le prix Goncourt en 2013. C’est une comédie dramatique trouvant naissance dans les tranchées meurtrières de la guerre 14-18 et se poursuivant dans le Paris d’après l’Armistice, le Paris pauvre et le Paris des riches. Tout se mélange dans cette admirable narration : les bons et les méchants, les braves et les salauds, les naïfs et les ordures, pour une histoire de familles mutilées, décontenancées, perdues. On reparlera d’Albert Dupontel dans un quadrimestre, lors de la cérémonie des Césars.

Dimanche 29 octobre

 Au temps des luttes ouvrières, les mineurs de fond s’effondraient sur leur oreiller ou tombaient endormis sur le ventre de leur compagne en faisant l’amour. Ils racontaient que leurs ébats étaient surtout jouissifs les jours de grève. Aujourd’hui, le jour du passage à l’heure d’hiver peut être qualifié Jour de câlin et les statisticiens seraient bien inspirés d’observer la courbe des naissances autour du 29 juillet prochain.

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 Á Barcelone, les séparatistes défilent les jours pairs et les unionistes les jours impairs, par centaines de milliers de part et d’autre. Ils insistent tous : démocratiquement, pacifiquement… Jusqu’à ce qu’un incident quelconque et mineur déclenchera une bagarre et peut-être davantage. Voilà ce qu’en fin de compte Carles Puigdemont aura réussi : diviser son peuple.

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 Lorsqu’il était élève de l’École Normale, Jean d’Ormesson était séduit par l’Union des étudiants communistes. Adolescent, Jacques Chirac vendait L’Humanité Dimanche sur la Place Saint-Sulpice. Á leur âge, Laurent Wauquiez, futur patron des Républicains (LR) organisait le jeu télévisé Intervilles à Yssingeaux.

Lundi 30 octobre

 Des proches collaborateurs de Trump commencent à être mis en examen pour faits de collusion avec la Russie pendant la campagne présidentielle. Certains avouent avoir menti au FBI. On est encore très loin de la destitution mais ce type de comportement pourrait quand même accélérer le processus.

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 Les médias qui saluent le 80e anniversaire de Claude Lelouch finissent toujours bien par évoquer Un homme et une femme, le film qui lui a permis de lancer sa carrière, Palme d’or en 1966. C’était un film à très petit budget, nécessairement. Á Deauville, les gens qui croisaient l’équipe restreinte du cinéaste pensaient qu’elle tournait pour la télévision. Ce soir, ARTE diffuse Duel, le premier film de Steven Spielberg, réalisé aussi avec peu de moyens. Dans un cas comme dans l’autre, on voit poindre le grand talent. Il serait intéressant de repérer ainsi les œuvres simples qui sont des amorces de célébrité, celles qui contiennent la petite touche qui dénote le succès en préparation. On appellerait l’ensemble Paludes, en hommage à André Gide.

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 Tant d’auteurs sont délaissés par des bonnes âmes parce qu’ils appellent un chat un chat. Et pourtant, le chat est l’animal le plus aimé des Français…

Mardi 31 octobre

 Theo Francken, secrétaire d’État à l’Asile et à l’Immigration dans le gouvernement belge, venait de déclarer qu’il considèrerait avec bienveillance la demande d’asile de Puigdemont lorsque l’on apprit que le président déchu de la Catalogne serait quelques heures plus tard à Bruxelles. Bien entendu, la conjonction des faits n’était qu’un pur hasard. Les nationalistes flamands, qui entretiennent d’étroites relations avec les indépendantistes catalans, juraient la main sur le cœur qu’ils n’étaient au courant de rien. Ce midi, Puigdemont donnait une conférence de presse pour démentir les suppositions et préciser qu’il avait choisi Bruxelles afin d’interpeller l’Union européenne. Dont acte. Cela dit, lorsque l’on apprit qu’il faisait route vers la capitale belge, l’on sut aussi qu’il était accompagné de cinq « conseillers » dont on ignore ce qu’ils sont devenus. En tout cas, ils sont tous sous le coup d’une action judiciaire et ils n’ont pas l’intention de rentrer dans leur pays. Á suivre donc, sans verser dans l’angélisme.

                                                           *

 C’est au tour de Tariq Ramadan de figurer dans la vague des dénoncés pour harcèlement. Cocasse mais normal. Depuis le temps qu’il harcèle les esprits, fallait bien qu’il harcèle un peu les corps.

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 En se préparant à la Toussaint, on a tendance à se dire comme chaque année qu’il y a toujours bien, quelque part sur la planète, un jour des morts : une catastrophe, naturelle ou accidentelle ; un attentat ; une guerre. Une revue de presse matinale bouscule. Elle provoque rarement l’indifférence. Voltaire nous avait prévenus dans Candide (1759) : « L’homme est né pour vivre dans les convulsions de l’inquiétude ou dans la léthargie de l’ennui. »

 

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