La laïcité face à la privatisation

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
le

photo © Laurent Berger

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Si on parle souvent de la laïcité pour évoquer la division de l’Etat de l’Eglise, il est une autre séparation qu’il faudrait mettre en évidence qui est celle de L’Etat de l’économie. Il est étonnant que l’on se concentre sur les phénomènes religieux et sur leurs pensées dogmatiques en occultant cette nouvelle religion occidentale  du néolibéralisme qui pénètre l’individu tout autant. Le libre penseur rejette tous les totalitarismes. Il est un absolu qui nous éblouit tout autant qui est celui du tout économique qui pénètre l’école. La dimension sociale de l’école risquerait de disparaître si elle devait se consacrer uniquement aux besoins spécifiques des élèves et du marché. L’école devrait alors se concentrer non plus uniquement à la formation de citoyens, mais essentiellement à des plans de pilotage qui se concentreraient sur des individus en tant qu’unités isolées. Individus amputés, plongés dans leur narcissisme personnel, atomisés, vus dans leurs propres sphères, ne pouvant plus faire de lien, ne pouvant  plus s’inscrire dans une histoire. Gestion de l'école qui est opérée par des réformes successives (séquences pédagogiques, tâches problèmes, unités d’apprentissages, nouveaux critères d’évaluation, nouveaux programmes rédigés sous la forme de tableaux.)  Des professeurs qui ont refait tous les cours pour mettre en oeuvre des nouveaux critères qui peuvent tout recommencer parce qu'une autre mode s'impose. 

L’école qui se voit lancée à travers la course folle de la réussite obligatoire et du faire du chiffre.

Par conséquent, la laïcité devrait pouvoir se défendre par rapport à l’intrusion de la privatisation qui détruit la pensée qui défend encore les services publics dont l’école. La pensée gestionnaire  est dominée par les perspectives uniques du libre échange, du tout se vaut,  du tout se fait à court terme, du tout est remplaçable ou récupérable, du tout doit être géré à l’instant. Comment dés lors inscrire l’école comme un lieu réel d’émancipation qui met réellement l’homme au centre des préoccupations ? Comment défendre encore le lien social et le pluralisme alors que tout se cloisonne ? Alors que tout se segmente, que tout se divise par assignations identitaires et par rentabilité marchande ? L’école devrait-elle obéir à ce fameux discours qui nous est répété depuis Tatcher qu’il n’existe pas d’alternative à la crise, à l’austérité, au néolibéralisme ? Se méfier de toutes les formes religieuses qui nuisent à notre liberté de conscience. L'islamisme n'est pas la seule forme liberticide qui s'impose dans nos espaces de vie, nous semblons accepter tous ces panneaux publicitaires qui décorent nos villes et qui nous imposent aussi des modèles d'existences liberticides. 

La laïcité telle qu’elle est récupérée de nos jours s’écarte de sa dimension politique qui suppose nécessairement l’égalité et non l’exclusion, qui suppose nécessairement l’acceptation de normes communes et non le consensus par les accommodements raisonnables qui sont en réalité une fuite devant la responsabilisation de tous afin d’agir ensemble.  Comme nous ne savons plus où se trouve la gauche dans sa dispersion actuelle, la laïcité est mise à toutes les sauces. C’est la raison pour laquelle l’égalité me semble aujourd’hui un terme plus précis pour défendre une laïcité qui soit vraiment de gauche. Je pense aussi que la notion du vivre ensemble me paraît bien trop vague et bien trop insuffisante si nous désirons vraiment défendre le collectif dans les missions principales de l’école. Plutôt que de vivre ensemble passivement, il est nécessaire de trouver les pistes intelligentes pour agir ensemble. Une vague cohabitation est insuffisante ; les individus n’apprennent plus à se parler, ils respectent leurs différences de loin, ils se replient dans leur quartier, ils achètent leurs propres produits, ils présentent des addictions diverses afin de combler le vide qui les entoure. 

La paix sociale n’est qu’apparente et rassurante, bien fragile en tous les cas. L’évitement du conflit, les perpétuels arrangements engendrent un déficit des pratiques démocratiques réelles. Les individus sont désormais libres de se définir en toutes circonstances : le gouffre de la flexibilité. Par conséquent, tout engagement à long terme devient improbable. Ainsi, l’apprentissage qui suppose nécessairement la perspective de se placer à long terme devient lui aussi improbable. Tandis que les individus deviennent de plus en plus incertains, d’autres choisissent de renforcer leurs attaches. Comme l’existence ne se fait plus, l’essence devient la seule espérance religieuse des individus en quête de sens. Dans la tradition d’Habermans l’espace public désigne le monde vécu. Or ce monde vécu s’efface devant d’autres priorités. Le manque de vécu ou le manque de sens cède la place à d’autres domaines que la démocratie vivante. Il n’est dés lors pas étonnant que la protestation vienne actuellement essentiellement de l’identité religieuse qui elle donne sens. Mais ce retour au religieux souvent mis en évidence souvent surestimé cache parfois le caractère autoritaire du néolibéralisme. Le capitalisme traverse en fait actuellement une phase autoritaire en s’accompagnant de la montée de populismes négatifs. 

Nous utilisons désormais les mots de l’économie : consommateurs, clients, matricules, ressources humaines, chômeurs, sans abris, illégaux, clandestins, élèves à besoin spécifique, coachs, plans de pilotage. Pendant ce temps, des mots disparaissent: solidarité, aspirations communes, citoyenneté, liens sociaux, espaces publics. Ainsi l’ensemble de ce que représente l’humanité est perdu de vue et le lien social se défait. Le sens du collectif disparaît, le dialogue avec l’autre se limite à une tolérance passive. La tolérance n’est plus dés lors un engagement qui vise à la réciprocité : elle n’est plus un effort, un devoir. Le marché nous invite à nous identifier, à nous repérer souvent de manière arbitraire, conventionnelle. Le marché renforce notre essence selon la demande et l’offre. De nouvelles catégories sont ciblées, déterminées. 

La focalisation sur le port du voile traduit le fait que l’on ne voit pas d’autres particularismes marchands identitaires qui marquent aussi la division de l’humanité. On peut reprocher à une femme d’être emprisonnée par son voile mais on ne doit pas alors oublier  que le patriarcat occidental continue aussi à enfermer les femmes dans certaines professions d’assistance (institutrices, infirmières, aides soignantes), dans l’obligation d’être jeunes (nombreuses femmes abandonnées par leur conjoint à l’âge de 40 ans), dans l’obligation de cacher leurs cheveux blancs. A la Renaissance, l’ordre masculin des médecins se forma et les femmes guérisseuses considérées comme des sorcières furent envoyées au bûcher pas seulement par des tribunaux religieux mais aussi par des tribunaux civils. Au Siècle des Lumières, des femmes considérées comme trop indépendantes, non mariées, sans enfants, furent encore torturées, violées, brûlées vives!  Apprendre, ce n'est pas seulement dénoncer les ténèbres qui existent chez l'autre, c'est surtout prendre conscience des dérives qui existent chez nous dans la société dont nous sommes les acteurs. Ainsi l'école devrait contribuer à cet enseignement de notre autocritique et la privatisation est bien un système qui nous menace aussi et que nous laissons agir.  Il faudrait nous tendre un miroir. 

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