Les lois cruelles du marché amoureux

L'as-tu lu,lulu?

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Lors de la présentation de son livre à "L'Architecte", coorganisée par Entre les lignes, François De Smet a été interviewé par Myriam Leroy. Photo © J. Rebuffat

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Et si nous avions tout faux? À lire le dernier ouvrage du philosophe François De Smet, on ne peut pas ne pas se poser la question. Selon lui, on ne peut interpréter les rapports homme-femme (mettre un s si l'on veut à hommes et à femmes) sans en sous-estimer l'aspect économique sous-jacent. D'où le joli titre, «Éros Capital» et le sous-titre, «Les lois du marché amoureux». Au risque de passer pour un abominable machiste, ce qu'il n'est pas, François De Smet développe la thèse selon laquelle l'espèce humaine, depuis des dizaines de milliers d'années, a vu ses deux sexes évoluer dans le sens Mars pour les mâles et Vénus pour les femelles. Je caricature, d'accord, mais il est vrai que cela ne fait en gros que trois quarts de siècle que petit à petit d'abord et toujours plus vite ensuite, dans les sociétés occidentales, l'égalité proclamée entre les hommes et les femmes est érigée en quelque sorte comme une religion. Déterminer si c'est culturel ou inné n'a aucun sens, toujours selon lui, car c'est l'éternel problème de l’œuf et la poule. La nature sélectionnant ce qui est le mieux adapté à la survie de l'espèce, il y a une interaction continue. Quand on observe par exemple comment en quelques milliers d'années, le loup peut donner le chihuahua, on ne peut s'empêcher de conférer quelque fondement à ce point de vue, mais est-ce une fatalité? Or selon François De Smet, il n'est jusqu'au capitalisme qui n'ait comme clef de voûte l'amour, c'est-à-dire l'échange sexe contre ressources. Le mariage bourgeois serait de même nature que la prostitution. Nous vivrions dans un gigantesque refoulement de la nature comptable de l'être humain et de la nature vénale de l'amour, pour reprendre la quatrième de couverture, fatalement un peu réductrice. Quoi qu'il en soit, vraie ou non, en tout cas bien observée, la brillante démonstration du professeur s'étiole un peu au niveau de la conclusion, qui se hasarde au pronostic d'une évolution possible et probablement démentie plus tard, car l'être humain évolue sans cesse et pas uniquement dans les chemins attendus, comme il le note lui-même. Va-t-on vers un monde réellement égalitariste faisant mine qu'il n'y a pas de rapport de force entre Monsieur et Madame et que leurs rôles sont interchangeables, un peu à la suédoise , ceci incluant même la criminalisation de la prostitution? Va-t-on vers ce qu'il semble préférer, à savoir qu'amour et désir ne se confondant point, il faut fonder le couple sur le premier et ne pas se fixer trop d'interdits pour assouvir le second? Personnellement, je me suis senti soudain très suédois, en lisant cet ouvrage dense mais facile à lire, qui a le mérite de faire réfléchir et qui distingue si subtilement les archétypes et stéréotypes du comportement amoureux. Et je l'ai refermé en me disant qu'admettre profondément cette égalité proclamée, même s'il faut pour cela être capable de dominer ses chromosomes, ne doit pas être impossible. Sans cela, cette angoisse existentielle qui malaxe tout être humain, et qui selon Jacques Monod est probablement elle aussi inscrite dans nos gènes, nous obligerait à accepter et à nous soumettre au fait religieux. Or l'incroyance de masse, phénomène lui aussi très contemporain, est limité dans l'espace précisément là où la négation d'une différence de nature entre l'homme et la femme est la plus vive. On pourrait donc retourner l'affirmation du philosophe: non, cette égalité voulue n'est pas une religion, c'est son contraire, la volonté de prendre son destin en main. (Jean Rebuffat)

François De Smet, «Éros Capital», Climats (Flammarion), Paris, 2019, 393 pp, 21€

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